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  • Lire ou ne pas lire...

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    Lire ou ne pas lire, telle n'est pas la question,
    par Alonso Quijano

    Ah! Sancho, si tu étais à mes côtés, en ce moment, tu te demanderais qui est le plus fou des deux: ton vieux maître ou le monde. Je sais que je ferais mieux de me taire, puisqu' on me croit mort; d'ailleurs ne célèbre-t-on pas, aujourd'hui, les trois cent nonante-quatre ans de l'enterrement de mon créateur? Oui, le vieux Cervantes mourut le 22 avril 1616, et fut enterré le 23. Je m'en souviens comme si c'était hier. Chose étrange, quelqu'un eut, depuis, la brillante idée de faire de cette date la Journée mondiale du livre. Entends-tu, Sancho? Du livre. C'était bien commode. Notre pauvre Miguel mort depuis tant d'années, on évitait ainsi de lui demander son avis. Personne ne se doutait, sans doute, que je serais encore là, moi, pour pourfendre l'injustice, redresser les torts, et décontenancer les falots de quelque rodomontade bien sentie.
    Sache, Sancho, qu'il n'est en ce monde chose plus étrange que de décréter Journée mondiale du livre celle qui vit disparaître mon – que dis-je, notre – créateur six pieds sous terre. Le livre, un enterrement? Le livre n'est pas une mort, et il n'est pas un seul jour. Regarde autour de toi, Sancho! Voilà les peuples d'Europe cloués au sol une semaine durant. Ils pestent, s'entassent, se résignent ou trépignent, s'avachissent sur des valises. Ils sortent scruter le ciel: rien. De l'azur à perte de vue. Ils croient voir des cendres, ce n'est que de la brume. Une légère brise, qui leur semble murmurer ce nom: Eyjafjallajökull...
    Sancho, as-tu jamais entendu nom plus livresque? Histoire plus chevaleresque? Décidément, tu as raison, je dois être fou à lier. Qu'on m'attache, alors, car j'ai beau plisser des yeux: tout ce que touche mon regard est à lire...


    C'est ici la première d'une suite de chronique d'Alonso Quijano, connu également sous le nom de Don Quichotte de la Manche, auteur indépendant. Il prendra régulièrement la plume sur le blog du Passe-Muraille: http://www.revuelepassemuraille.ch/blog/


    A ne pas manquer:: le numéro 82 du Passe-Muraille, prévu pour la fin mai, sera entièrement dédié à la lecture.

    Aux lectrices et lecteurs qui désireraient publier des textes ou des commentaires sur le blog ou le site du Passe-Muraille, un clic vaut un welcome:
    http://www.revuelepassemuraille.ch

  • Ceux qui ne font pas le poids

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    « Tu fais pas le poids, p’tit pois…faut t’y faire… »
    (Céline apocryphe)


    Celui qui se tait dans l’Abbaye en ruines / Celle qui prétend que la Toscane n’est plus ce qu’elle fut en sa jeunesse romantique / Ceux qui se retrouvent à San Galgano pour une partie de canasta arrosée de Brunello di Montalcino cadeau de leur pote Mauro / Celui qui coupe les tresses des jeunes filles hélas de plus en plus rares à se natter / Celle qui ramène tout à l’inessentiel / Ceux qui ferraillent avec des épées de papier de soie / Celui qui perd du terrain miné / Celle qui se voit exclue du Club des Libertine pour refus répété de se laisser sodomiser par le Sénégalais du quartier qu’est tellement super à la chose / Ceux qui se tiennent à la rampe du nihilisme ambiant / Celui qui décide de changer de vie sans trop savoir comment donc y faut qu’y se renseigne / Celle qui renonce à dépoussiérer la cervelle de son beau-père podagre et toujours mal luné / Ceux qui se réjouissent d’avoir toute une journée devant eux à ne faire que peindre des oiseaux sur des tasses de porcelaine / Celle qui prend (dit-elle) l’escalator du ciel pour dire qu’elle va causer avec son Dieu à la chapelle des Oiseaux / Ceux qui préparent (disent-ils) un grand coup d’épée dans l’eau / Celui qui ressent physiquement la présence de l’Adversaire en lui / Celle que la lecture de Dr Jekyll et Mr Hyde plonge dans un saisissement à caractère métaphysique surtout dans la confession finale de Jekyll / Ceux qui restent fidèles par manque d’imagination mais pas seulement /Celui qui essaie de résister à la vague d’indiscrétion submergeant la Toile / Celle qui ne supporte plus les grimaces des intelligents ou supposés tels / Ceux qui font étalage médiatique de leur humilité / Celui qui est tellement barjo qu’il estime urgent de lire la démolition de Freud par le sieur Onfray / Celle que son bon sens paysan a toujours protégée de la niaiserie freudienne de sa cousine psy / Ceux qui se sont libérés de leur complexe d’Œdipe en couchant avec leur père-copain avant de pousser leur mère castratrice dans l’escalier ou du haut de la falaise c’est à choix docteur / Celui qui passe pour réactionnaire parce qu’il réagit à la stupidité massifiée des épigones du freudisme et de l’anti-freudisme / Celle qui trouve que Freud est un formidable écrivain sans prêter aucun crédit à sa petite tendance Père de la Nouvelle Eglise / Ceux qui n’en ont rien à scier de tous ces lacancans / Celui qui conserve ses rêves de jeunesse dans un bocal de formol / Celle qui est royaliste par amour de la langue française qu’elle dit mondialement souveraine / Ceux qui se réconcilient avant qu’il ne soit trop tard pour s’engueuler encore un peu / Celui qui découvre sa première érection et s’exclame : putain mais c’est quoi ça ? / Celle qui ne joue jamais de la flûte de son mari Paul qui s’en ouvre à un sexologue de la place plutôt lucide au niveau du partage des responsabilités et ensuite ça roucoule ma poule / Ceux qui observent le manège nocturne des blaireaux, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui jubilent


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    Celui qui se tire des balles à la seule idée de manquer une des merveilles de la nature et de la peinture à l’huile ou à l’eau que lui offre son bref séjour terrestre d’addict à la nicotine / Celle que la beauté du monde irradie même quand elle n’a pas fait son make up / Ceux qui ne se cachent pas pour admirer ce qui mérite de l’être / Celui que son enthousiasme rend parfois un peu con mais c’est moins grave que de faire la gueule ou de n’aimer rien / Celle dont la seule façon de langer Baby est une louange / Ceux que l’obsession sexuelle entêtante qui les taraude empêche de voir la beauté des corps quels qu’ils soient même moches et sûrement invalides selon les normes de l’industrie à fantasmes tournant à plein régime / Celui qui s’inquiète de tous les modes de dégradation de la personne humaine / Celle qui vit selon la morale à papa et ne s’en trouve pas plus mal en dépit des lazzis et des horions qu’elle subirait dans les boîtes échangistes dont elle ignore à vrai dire l’existence / Ceux qui ont identifié en Cézanne ou en Mozart des espèces de saints / Celui qui fait sienne l’idée selon laquelle Bach serait le cinquième évangéliste / Celle qui se détourne de tout ce qui lui gâche la vue en salissant ce qu’elle appelle la prunelle de ses yeux / Ceux qui apprennent l’art aussi difficile de ne pas se contenter de peu que de se contenter de pas beaucoup / Celui qui épingle les imbéciles au moyen d’aiguilles imaginaires qui ne leur font pas de mal mais qui lui font du bien / Celle qui éprouve un frisson de sauvage magie à lire Lolita dans sa version américaine / Ceux qui plient sous le poids du monde mais ne rompent point / Celui qui estime que l’inattention est un péché / Celle qui étudie minutieusement les cercles hachurés représentant les interactions du bien et du mal dans les métamorphoses de Jekyll en Hyde / Ceux qui portent le masque de celui qui les rêve / Celui qui rêve qu’il est un coruscant scarabée de chocolat retourné sur le dos dans la vitrine de cette pâtisserie jouxtant le Montreux Palace que Vladimir Nabokov fréquentait / Celle qui passe la poussière avec ses gants blancs de mariée proche de fêter ses noces d’or / Ceux qui savent tout de la peinture de Cézanne sauf ce qui les fait l’aimer / Celui qui ramène le goût de certains pour les arts à une surévaluation des illusions psycho-rétiniennes / Celle qui n’a pas assez d’huile pour sa lampe mais n’en éclaire pas moins son entourage par sa seule présence / Ceux qui se réjouissent de ce qu’il y ait trop de tout au lieu qu’il n’y ait pas assez de rien / Celui que la seule vision d’un chevreuil ce matin a suffi à mettre en joie en attendant que se repointent les chèvres bottées / Celle qui nourrit les pigeons au pied de la statue du politicien qui les a tirés toute sa vie / Ceux qui promènent leur corps dans le verger aux tentations et le laissent un peu trotter avant de le ramener au paddock de l’Entreprise, etc.
    Image : Philip Seelen.

  • Pierre Michon en nos murs

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    La bibliothèque idéale de Pierre Michon; conférence ce soir  à Lausanne
    Comptant au nombre des plus fins prosateurs en langue française du moment, Pierre Michon sera de passage en nos murs ce soir, invité de la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) qui fête, par la même occasion, la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. En outre, c’est dans le cadre du cycle (cette expression, le « cadre du cycle », devrait ravir Michon !) consacré à la Bibliothèque idéale que l’auteur des fameuses Vies minuscules évoquera la sienne, après Alberto Manguel (en 2005) et François Bon (en 2008).
    Dans un ouvrage récent consacré à Pierre Michon, assorti d’un CD regroupant divers entretiens intéressants (éditions textuel/INA), Agnès Castiglione affirme, en exagérant peut-être un tantinet, que Michon est « l’écrivain de sa génération le plus reconnu par la critique ». Or le fait est que, sans impact notable sur le grand public, si l’on excepte le recueil « culte » des Vies minuscules (disponible en poche), l’auteur de La Grande Beune, d’un mémorable Rimbaud le fils et, l’an dernier, de la merveilleuse évocation d’un tableau du Louvre inventé de toutes pièces (Les Onze, couronné par le Grand Prix du roman de l'Académie française), incarne par excellence le styliste de haut vol, poète et prosateur, qu’on appelait jadis « petit maître » sans intention péjorative. Pratiquant l’érudition joyeuse et tirant mille saveurs des mots, Pierre Michon ne manquera pas d’attirer ce soir une foule choisie de lecteurs impatients de le suivre dans les rayons privilégiés de sa bibliothèque, à la rencontre de Balzac et Faulkner, en passant par Cingria et Rimbaud...

    Lausanne, BCU, Aula du Palais de Rumine, à 19h.