Maurice Chappaz, l'un des plus grands écrivains romands, est mort à 92 ans.
« C’est du pur cristal qu’enfin nous respirons », écrivait Charles-Albert Cingria en 1953, une année avant sa mort, à Maurice Chappaz qui venait de lui envoyer son Testament du Haut-Rhône. Or ce cristal est resté le même dès le premier texte publié (en 1939) du jeune poète, Un homme qui vivait couché sur un banc, jusqu’à ses derniers écrits de nonagénaire encore vif d’esprit et de plume. La meilleure preuve en est l’étincelant recueil de pages de son journal (années 2003-2004, réécrit en 2007-2008) publié en novembre 2008 sous le titre de La Pipe qui prie et fume. «Je mordille dans l’au-delà » y écrit-il, et cela encore: «Il faut accepter un absolu où l’on meurt. Je ne puis y songer qu’en disant le fameux Merci à l’instant qui me sera donné ».
Toute l’œuvre de Maurice Chappaz, qu’on pourrait situer dans un Valais «tibétain » et un temps qui serait à la fois celui des Géorgiques de Virgile et du voyant Rimbaud, est aussi bien de la même eau, qu’elle se module en vers libres ou qu’elle se décline en chroniques, en récits épiques (dont le fameux Match Valais-Judée), nomades ou polémiques, et jusque dans son saisissant Evangile selon Judas, paru en 2001 chez Gallimard et passé quasiment inaperçu de la critique française.
S’il y avait du bohème et de l’errant en Chappaz, qui s’est heurté violemment à la volonté du père, notable valaisan, pour obéir à sa vocation, lui-même connut cependant les responsabilités d’une charge de famille après son mariage avec S. Corinna Bille, en 1947, avec laquelle il eut trois enfants. L’expérience de la guerre, sa participation à la construction du barrage de la Grande-Dixence, et le travail sur les domaines vignerons de la famille, constitueront, avec maintes virées proches et autres grands voyages, autant d’expériences formatrices ou lucratives qui distinguent nettement son mode de vie de celui d’un homme de lettres, d’un professeur ou d’un journaliste, même si le poète écrivit lui aussi de nombreuses chroniques pour assurer la matérielle. Mais là encore, le combat de Maurice Chappaz s’inscrit dans l’ensemble d’une vision du monde marqué au sceau de la poésie. En dépit de son titre provocateur, le pamphlet qui a valu au poète haines privées et injures publiques, Les maquereaux des cimes blanches, est un poème autant qu’une attaque frontale des affairistes immobiliers et autres marchands du temple valaisan.
« J’ai assisté à la fin des visages », écrit le poète en colère, rappelant les « visages sortis et imprimés dans les torrents de montagne », auxquels a succédé « l’effacement par la graisse ». Et d’assener : « Les plus importants de mes compatriotes portent ce masque de bandit propret. De bandit de bureau qui culotte l’illégalité ».
L’œuvre de Maurice Chappaz, dans sa double nature lyrique et prophétique, ne saurait être séparée de la tradition biblique et de la foi catholique, comme l’a montré Christophe Carraud dans le premier essai substantiel consacré, en France, à l’écrivain. Cela étant, loin des tourments de conscience de l’âme romande, à dominante protestante, le catholicisme de Chappaz et sa poésie sont tissés de sensualité et de saveur.
Bien enracinée dans sa terre d’origine et faisant écho aux préoccupations de notre temps, non sans résistance farouche, l’œuvre de Chappaz nous transporte à la fois autour du monde et hors du temps, ou plus exactement au cœur de ce noyau temporel que figure l’instant « éternisé » de la poésie.
Pour Lire Maurice Chappaz
Un Homme qui vivait couché sur un banc, [Revue Suisse romande], 1939. Castella, Albeuve, 1988.
Testament du Haut Rhône, Rencontre, Lausanne, 1953 et 1966. Fata Morgana, 2003.
Portrait des Valaisans en légende et en vérité, L’Aire, 1983.
Les Maquereaux des cimes blanches, Galland, Vevey, 1976. Zoé, Genève, 1984, 1994.
Maurice Chappaz, pages choisies. L’Age d’Homme, Poche Suisse, 1988
Le Garçon qui croyait au paradis, L’Aire, 1995.
Evangile selon Judas. Gallimard, 2001.
La pipe qui prie et fume. Editions Conférence, 2008.
De nombreux recueils de Maurice Chappaz ont été réédités chez Fata Morgana.
Cet hommage a paru dans l'édition de 24Heures du 16 janvier 2009.
Commentaires
un poème, peut-être? ce serait gentil de votre part, jlk
Il va m'achever, GMC, mais il va l'avoir, son foutu poème. Même deux, vingt dieux...
les poèmes parlent pour le poète, jlk, mieux que ne peuvent le faire d'autres langages.
merci de votre compréhension