… Je m’appelais encore Paquito quand j’ai connu Paulo Coelho, t’sais, l’écrivain, à l’époque il était encore rocker mais il te sortait déjà de ces pensées mystiques, tu sentais qu’il allait s’envoler celui-là, bref, juste après que Mama Lucia m’a transmis le Don, je demande à voir les mains de Paulo et là qu’est-ce que je vois, je te le donne en mille : $$$ ! Eh bien, depuis ce jour, tu me crois tu me crois pas, chaque fois que Paulo passe par chez nous: c’est $$$ ! pour sa Paquita…
Image : Philip Seelen
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Un rêve
A propos de La possibilité d'une île. Note retrouvée.
J’ai fait cette nuit ce rêve étrange en langue italienne, ce rêve de vraie vie révélée dans la lumière oblique. Je me trouvais dans la grande nuit italienne, revenant d’un long voyage et tout à coup je me trouvais à proximité d’une maison dont une fenêtre ouverte était restée allumée et, m’approchant, je reconnaissais la chambre que j’avais quittée je ne savais depuis combien de temps, et sur la table il y avait ce livre ouvert dont je déchiffrais ces mots en langue italienne dans la lumière oblique: «Un calendrier restreint, ponctué d’épisodes suffisants de mini-grâce (tel qu’en offrent le glissement du soleil sur les volets, ou le retrait soudain, sous l’effet d’un vent plus violent vent du Nord, d’une formation nuageuse aux contours menaçants) organise mon existence, dont la durée exacte est un paramètre indifférent».
Sous le souffle lunaire les pages se tournaient et je lus encore «C’est l’auberge fameuse inscrite sur le livre, /Où l’on pourra manger, et dormir, et s’asseoir…», je lus encore au vol «Je n’entendais même plus ma propre respiration, et je compris alors que j’étais devenu l’espace», enfin ces derniers mots scintillèrent dans la nuit italienne: «Il existe au milieu du temps/La possibilité d’une île»…
A mon réveil, à fleur de conscience, lorsque la mémoire est encore un obscur océan aux haleines mêlées, j’ai resongé à cet autre voyage dans cette nuit étrangère qu’a représenté pour moi la lecture de La possibilité d’une île de Michel Houellebecq, dont le son unique retentit encore en moi. Je n’ai cessé de sourire tout au long de cette lecture, avec une sorte de nostalgie anticipée qui me rappelait à tout instant l’amour que j’ai de la vie et des gens, comme aiguisé par la haine que Daniel 1 prétend nourrir pour la vie et les gens, que je voyais avec le recul de Daniel 25, de son promontoire du quarantième siècle. Tout au long de cette lecture je n’ai cessé de songer avec plus de tendresse à notre pauvre humanité mal fichue et, me rappelant nos interminables débats métaphysiques ou pseudo-métaphysiques de jeunes gens, dans la tabagie des bars, à tous les futurs qu’on aura imaginés de l’aube de l’humanité au quinzième chapitre du récit de Daniel 25 écrivant: «Parfois, la nuit, je me relève pour observer les étoiles».
Peinture JLK. La Punta, acryl sur panneau, 1996. -
Ceux qui ont le regard perdu
Celui qui ouvre ce livre dans la salle d’attente de la gare et lit : « La gare dormait au fond de sa pendule » / Celle qui aime regarder ceux qui lisent / Ceux qui s’aperçoivent que leurs journées ne comptent presque plus de temps morts / Celui qui s’efforce d’échapper au monde de la fausse parole / Celle qui entend la respiration de l’auteur entre les lignes / Ceux qui se photographient dans la neige / Celui qui écoute la pluie dans les arbres / Celle qui rencontre le poète à la lisière des épicéas / Ceux qui regardent passer les nuages comme des trains endormis / Celui qui jubile de se voir dépassé par les événements / Celle qui se demande quel charme les hirondelles trouvent à ce quartier / Ceux qui se lovent dans les phrases des autres / Celui qui sue l’odeur de patate / Celle qui hume les aisselles des lutteurs / Ceux qui se donnent rendez-vous le long du canal / Celui qui n’écrit que sur des feuilles volantes / Celle qui se fait charrier par ses camarades apprentis aux douches de la fabrique de parapluies / Ceux qui ont peur des femmes esseulées / Celui qui écrit un poème dans la chambrée des fantassins crevés / Celle qui hésite à sourire au bibliothécaire argentin / Ceux qui croient entendre la mer à l’orée de la forêt d’aroles / Celui qui contemple le lac gelé depuis la fenêtre de l’autorail / Celle qui roucoule aux trépidations de sa Vespa / Ceux qui repeignent leurs contrevents en bleu ciel / Celui qui ramène une machine à écrire Olympia à son village de brousse / Celle qui aime frôler les nageurs / Ceux qui boivent de l’absinthe aux fontaines de l’arrière-pays / Celui qui se laisse conduire au ministère de l’Amour pour vérification / Celle qui appelle son dictionnaire sa Machine à Rêver / Ceux qui murmurent dans les allées des bibliothèques, etc.
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LA rencontre
… Ce qui est proprement extraordinaire dans notre histoire, Jean-Amédée, qui me fait y voir un Signe du ciel, c’est qu’à nous deux, tous deux stewards et gays évangélistes, mais au service de compagnies sans rapports entre elles, moi sur les grandes lignes et toi sur le réseau intérieur, il nous ait été donné de nous rencontrer et plus : de nous reconnaître sur ce télésiège de Courchevel où rien au monde ne permettait de supposer LA rencontre...Image: Philip Seelen
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Le poids du monde
Notes sur Peter Handke
Je ne sais pourquoi ce qu’écrit Peter Handke me fait penser, toujours, au travail du ver à soie. A le lire je revois ma mère faufilant avant de coudre. C’est cela même quand il parle de sa mère à lui, dans Le malheur indifférent: Handke faufile. A la fin du livre il note d’ailleurs ceci qui le justifie d’avance: “Plus tard, j’écrirai sur tout cela en étant plus précis”. Or, je me sens à la fois attiré et révulsé par la douceur affectée de cette littérature si fine et si vétilleuse, qui esthétise le malheur autant qu’elle l’affronte, et ne cesse de forcer la note tout en l’atténuant. Ainsi de la naissance de la mère dans une famille de paysans nécessiteux est-elle dramatisée à l’excès: “Naître femme dans ces conditions c’est directement la mort”, pour se trouver banalisée aussitôt après: “On peut dire cependant que c’est tranquillisant: aucune peur de l’avenir en tout cas”.
Et tout ce “travail littéraire” d’osciller entre l’effroi et son acclimatation, le cri et la glose, un récit de vie poignant et sa déconstruction simultanée, comme s’il y avait quelque chose d’inconvenant dans la simple émotion - comme si tout le tragique de la vie ne servait qu’à prendre des notes, et ces notes qu’à se tisser un cocon.Au bord de la dépression: ces moments où il semble qu’on ait mal à tous les objets qu’on touche.
Ce personnage qui, après avoir touché le fond de la désolation, se met à s’intéresser passionnément au prix des choses. Il y a là comme un humour du désespoir qui me touche en ce moment précis.
En d’autres temps j’aurais peut-être rejeté ce livre aux observations parfois si vétilleuses, qui m’évoquent des sortes de flocons sensibles à consistance de peluche, à la fois doux et glacés, et pourtant je reviens et reviens au Poids du monde de Peter Handke, comme à une méditation murmurée qui relance à tout moment la mienne, et j’ai beau me reprocher de gratter ainsi ma plaie: je vois aussi la poésie qu’il y a là-dedans, et cet exercice d’attention qui aboutit à tout instant à la cristallisation d’images ou d’idées comme sécrétées par les gestes, les postures, les mouvements les plus imperceptibles du corps ou de l’esprit, celui-là comptant autant que celui-ci et débordant sur le corps de la nature et de l’univers. On dirait en effet la conscience de l’écrivain comme à fleur de peau, dont l’écriture paraît émaner comme une buée. Le lecteur est à la fois dedans et dehors, comme passant sous ses propres fenêtres - et cette phrase buzzatienne me touche alors particulièrement: “Passer devant une fenêtre sombre derrière laquelle un ami a habité autrefois”. Ou encore: “Les voitures mortes devant la fenêtre dans la nuit”. Il y a là une douceur mélancolique dont j’aime la projection en images, et cette sensualité triste, à la limite du lâcher prise dans laquelle je suis parfois immergé moi aussi: “Un homme assis, affaissé, essaie sans cesse de se redresser pour montrer du maintien, mais chaque fois il s’affaisse de nouveau, finalement il est content comme ça”. -
Le Maître
…Vous vous rappelez que la première partie de mes travaux fut orientée par la vectorielle thématique du Double, dont vous trouvez toutes les références sur mon site, et je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance cruciale de ma rencontre avec Nietzsche, puis c’est ma découverte de la Chine, c’est le Choc, c’est la Révélation, c’est la remise en question de toute une Carrière et de toute une Œuvre par le surgissement du vide médian et du Tiers – Mademoiselle, là-bas au fond, voudriez-vous fermez la fenêtre, on ne s’entend plus…Image: Philip Seelen.
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Un lecteur heureux
Hommage à Georges Piroué
C’est une sorte de forêt enchantée que nous font parcourir les Mémoires d’un lecteur heureux de Georges Piroué, dans laquelle s’appellent et se répondent les innombrables voix d’une conversation à la fois intime et universelle. Peu de livres illustrent, avec autant de minutieuse attention, de marque personnelle et de qualité d’accueil, la merveille que c’est de lire et le malheur que ce serait d’en être privé. On verra dans ces pages quel grand lecteur a été Georges Piroué au fil de sa vie, mais ce n’est pas d’exploits que nous aimerions parler à propos de cet homme discret peu porté à la forfanterie, ainsi qu’il l’explique d’ailleurs tranquillement: “Je confesse volontiers mon respect pour l’exercice réussi de la précision. Penchant que je tiens des enseignements de l’école, de mes origines jurassiennes, de la méticulosité horlogère au sein de laquelle j’ai vécu et peut-être aussi du prosaïsme de ma mère qui m’a inculqué le principe de ne jamais dépasser ni ma pensée, ni ma perception des choses. Toute exaltation de quelque nature qu’elle soit a toujours été pour moi signe de mauvais goût ou de ridicule, menace de danger”.
Cela étant, la passion de lire est d’autant plus vive chez Piroué qu’elle se concentre dans l’attention scrupuleuse et l’écoute réitérée à travers les années. C’est d’abord comme à tâtons que le lecteur-écrivain (soulignons l’importance immédiate du second terme) nous entraîne dans la selva oscura de sa mémoire confondue à une manière de soupe originelle d’où émergent, de loin en loin, tel visage ou telle silhouette, l’esquisse de tel geste annonçant toute une scène ou l’écho de telle voix préfigurant le développement de trois fois trente-trois chants.
Les premiers paysages et les premières figures entrevus par le rêveur-lecteur (le premier terme ne sera pas moins important que le second) dans sa remémoration d’une réalité fondamentale dégagée des ténèbres par ses premières absorptions, évoquent une lande désolée où des bergers se retrouvent autour d’un feu (et bientôt l’un d’entre eux va peut-être parler, et peut-être un Tourgueniev sera-t-il là aussi pour écouter dans le clair-obscur), et se regroupent alors diverses réminiscences, comme aimantées par l’image initiale.
Une lecture orale, par sa mère, lors d’une de ses maladies d’enfant, a-t-elle ancré au coeur de l’écrivain le souvenir de La Prairie de Biega, des Récits d’un chasseur, auquel est liée la vision nocturne (et quasi préhistorique) d’une tête de cheval, ou bien sa première lecture de la nouvelle, vers l’âge de seize ans, a-t-elle marqué la scène du sceau de sa vision d’adolescent ? Ce qui est sûr, et qui fonde le développement de toute la méditation qui suit, rassemblant d’autres souvenirs de lecture (Stevenson et son âne dans les Cévennes, les bergers de Tchekhov dans La Fortune, puis le chasseur Maupassant, la guerre, la chasse au loup), c’est que la lecture et la mémoire ont travaillé de concert à révéler la véracité (un mot que Piroué semble bien préférer au terme de vérité) de ces motifs à valeur d’archétypes en les éclairant les uns par rapport aux autres pour mieux les faire signifier.
Ce qui émerveille et qui surprend à chaque pas dans ce parcours, c’est la remarquable liberté que Georges Piroué manifeste dans ses rapprochements, dont la pertinence découle de sa propre autobiographie de lecteur. Le voici par exemple, et avec quelle justesse affectueuse, parler de Thoreau, dont on sent que l’hyperréalisme mystique, et la langue parfaitement transparente, conviennent à sa propre nature contemplative et à son esthétique littéraire peu portée au gongorisme. Or la compréhension en profondeur de Thoreau amène Piroué à une mise en rapport lumineuse (“A travers lui Rousseau et Proust se donnent la main”) qui détermine aussitôt une double mise au point: “Avec cette différence que Rousseau n’est parvenu à son état d’ataraxie qu’après s’être obstiné à échapper à la société de son temps par l’utopie politique. Il voulait d’un réel réformé. Avec aussi, concernant Proust, la différence que celui-ci, en aiguisant ses sens, lorgnait du côté de leur utilisation à des fins artistiques. Il voulait d’un réel esthétique. Et tous deux, de manière différente, conservaient, en bons Français, des attaches avec la société, tandis que Thoreau les avait dénouées.”
Quant à notre lecteur, c’est bien plutôt “en bon Suisse” qu’il progresse avec l’absence de préjugés ou de snobisme des ressortissants des petites nations, l’ouverture à toutes les cultures que favorise naturellement notre éducation, la modestie des terriens et la défiance envers toute rhétorique creuse. Mais son vice impuni n’est pas moins d’un lettré européen, qui le fait tutoyer Leopardi ("Giacomo, amico mio") dans une admirable lettre de reconnaissance, au double sens du terme; éclairer Tolstoï d’une lumière révélatrice, cheminer aussi à l’aise avec Henry James qu’avec Jacques Réda, Peter Handke ou Conrad, en rendant à chacun son dû et sa place.
Nul élan à caractère métaphysique chez ce lecteur-poète qui se confesse “douteur fervent” et dit s’être fait “une religion de l’irréalité narrative”, et pourtant les pages qu’il consacre à Dostoïevski ou à Dante sont d’une pénétration spirituelle rare, de même que tout son livre est traversé par une sorte de douceur évangélique jamais sucrée, qui le porte naturellement vers les humbles et les enfants malheureux chers à son cher Dickens.
L’homme sous le ciel, l’homme à la guerre, l’homme en amour, l’homme et la mer, ou les mères du sud selon Morante, et les Anna, les Emma, les Félicité, Julien Sorel et Lucien Rubempré, notre adolescence Roméo, notre jeunesse Hamlet, notre ultime veillée Lear, tous nos âges, nos travaux, nos grandes espérances, nos lendemains qui déchantent, words words words et salive de Joyce en marée océane, tout cela l’écrivain-lecteur le brasse et le rebrasse sans jamais perdre son fil très personnel.
Or c’est à proportion, justement, de ce que ce livre a de très personnellement impliqué qu’à son tour le lecteur de l’heureux mémorialiste s’immerge dans les eaux profondes de sa mémoire, s’interroge et se met à “écrire les yeux fermés.” Femmes de Keller, orages de Faulkner, paysans déchirés de Ladislas Reymont et notre cher Buzatti à l’étage des cancéreux, Oblomov lu et relu sous toutes les lumières, une Vie de Rancé de plus pour se nettoyer de trop de “carton” contemporain, ou l’autre jour Par les chemins de Marcel Proust d’un certain bon Monsieur Piroué...
Georges Piroué. Mémoires d’un lecteur heureux. L’Age d’Homme, 1998, 380pp.
Georges Piroué est mort au début de l’année 2005.
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Junior
… Ils m’ont dit que c’était un drame de l’Alcool et que je ne pouvais, moralement, m’opposer à la publication du photo-montage, vu que c’était une Bonne Cause, et ils m’ont même proposé 500 euros, mais je reste absolument convaincue, Junior, que tu n’avais rien bu ce soir-là et que si le test avait été possible tu aurais été innocenté, en plus la seule idée qu’ils aient pu foutre le feu à ce pneu après la levée de vos corps me fait très mal, comme si l’on vous avait cramés une seconde fois...Image: Philipe Seelen
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Néo-impérialisme
… Camarades, ce que je tiens à vous dire, malgré la liquidation de notre malheureux Parti, c’est que nous restons comptables de la morale de notre jeunesse, en tout cas nous autres de l’ancienne garde de Minsk, dont l’idéal perdure dans le kolkhoze de la Bélarus, or nous nous inquiétons de l’apparition en ville de certaines boutiques, exposant certains objets sans rapport avec notre tradition d’ouvrières agricoles, il semble ainsi au conseil des Anciennes que ce thème d’une nouvelle percée impérialiste doit faire l’objet de notre premier débat, même en l’absence d'aucune représentante de la nouvelle garde, je vous propose donc de modifier l’Ordre du Jour par simple acclamation…
Image : Philip Seelen -
Perfo
… Il est évident, petit, que t'as de qui tenir, ton grand-oncle a véritablement été LE modèle de la génération de tes pères, une tronche comme ça, la coqueluche de la France profonde que tu peux pas t’imaginer, tu te figures qu’en 47, Robic a gagné la Grande Boucle sans porter un seul jour le maillot jaune, tout au finish après avoir attaqué dans la côte de Bonsecours, avec 3 min 58 s d'avance sur Fachleitner, et 10 min 17 s sur Brambilla, mais bon ça c’est de l’histoire ancienne, petit, maintenant t’oublies tout ça et tu penses qu’à la perfo, je veux te voir les tuer l’un après l’autre, tu sais ce que t’as dit Monsieur Fletcher au nom de l’équipe, t’es LE tueur de la Marque, petit…
Image: Philip Seelen.