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À l'ouest d'Ouessant

littérature,poésie

Au sud du sud, que je situe à l’instant plein ouest d’Ouessant, sous un ciel de plomb veiné de blanc de zinc qu’une bande de gris ombré sépare du vert bitumé de la mer, je me trouve, encore très petit, quoique je pense là encore avoir déjà sept ans et que c’est le seul sentiment de l’immensité de l’océan qui me minimise ainsi que le plus amenuisé Gulliver – plus exactement : nous nous trouvons là, le Président et moi, et mon grand-père me fait regarder la mer et me fait voir, me fait scruter et me fait observer, me fait observer et me fait scruter, me fait voir et regarder la mer où nous arrivent de partout des vagues et des vagues, et d’autres vagues encore, et d’autres derrière elles qui semblent naître d’elles pour se confondre à elles tandis que d’autres derrière elles les chevauchent soudain et les soumettent avant d’être chevauchées et soumises à leur tour, et chevauchant celles de devant avant d’être chevauchées se busquent et se renversent à la fois comme des piles de tuiles d’eau que le vent dresserait et ferait s’effondrer en même temps, ou comme des briques d’eau s’élevant en murs qui éclatent et nous aspergent jusque sur la berge, et toutes nous arrivant dessus, toutes nous faisant avancer et reculer en même temps en criant et en riant en même temps, le mur écroulé redevenant vague et vagues multipliées sur d’invisibles et mouvantes épaules où s’ébrouent et se répandent des chevelures d’écume sous le vent les ébouriffant et les soulevant, les traversant de son élan fou venu de Dieu sait où…


Regarde-les, me dit mon grand-père, regarde-les toutes et chacune, regarde ce qui les distingue et ce qui les unit, donne-leur à toutes un nom pour les distinguer et donne-leur le même nom si tu trouves ce qui les unit, ou alors donne ta langue au chat, et je pensais à Illia Illitch dans son antre de sous les toits de la maison de mon grand-père, et je regardais la mer, et je cherchais le nom des vagues, mais dès que j’allais en nommer une l’autre la chevauchait et la soumettait. Je ne savais rien encore de l’ondin qui chevauche l’ondine, je n’avais vu jusque-là que le cheval chevauchant la chevale, mais à présent c’étaient les vagues, qui n’ont pas de corps ou tous les corps, les vagues qui ont tous les noms ou rien qu’un seul que seul le chat à sept langues connaissait, qui l’avait dit en secret à l’étudiant Illia Illitch logeant dans les combles de la villa La Pensée, lequel étudiant russe l’avait répété à mon grand-père qui, finalement, ce jour-là, me dit voilà: voilà la secret des noms des vagues.


Regarde la mer, me dit mon grand-père et voici que sa main plonge dans la vague et en retire une main d’eau dont il me dit : voici l’eau de la vague qui est celle de toutes les vagues, voici une main de mer qui est toute la mer. Toi-même que j’aime, comme ton grand frère et tes sœurs que j’aime, tous nous sommes des poignées de mer mais à présent regarde-moi : je te bénis de cette main de vague. La mer t’a giflé et te giflera, mais avec la même main d’eau je te bénis et t’appelle par ton nom...

Image JLK: sur la Côte sauvage...

Commentaires

  • Très belle langue, cher JLK. Je te lis, et je ressens physiquement ton secret des vagues, un conte universel qui réanime en moi le mystère d'une vie que je savais filer, puis se défaire, pour mieux se reformer dans la blanche écume.

  • Quel beau baptême universel! merci
    De la nuit des temps et pour les siècles des siècles...
    Que la manifestation de la cause, de l'Energie de Vie soit ou non nommée, que sont reflet dans les temps et les espaces prenne la croix clouée, la croix ansée, le croissant , l'étoile ou tout autre pour symbole... la puissance de la nature nous donnera toujours à lire la Vérité... et sa continuité.

  • Il y a une grande résonance entre les petits portraits de "ceux qui se positionnent..." et ces vagues singulières, toutes différentes et pourtant d'une même eau. Ce grand-père a formé votre regard et votre plume avec beaucoup de tendresse car, en fin de compte, nous sommes tous des héros et des lâches, de ces "ceux qui"... alternent les blancs et les noirs, les lumières et les ombres de nos vies chaotiques...une "humanité grise" comme l'écrivait Ph. Claudel dans "les âmes grises"...
    Ou vous, quand après avoir tremblé pour les "six cent soixante-six enfants défoncés", les "ennemis crucifiés", devant "les miroirs aux reflets", vous accueillez, muni de votre "précieux café", le lac endormi et les monts de soie de Savoie et que vous écrivez :
    " tout est bleu....Tout est bien ." ...("Par les temps qui courent" - Le passeur )
    Et Bernanos d'ajouter, dans les dernières lignes du "Journal d'un curé de campagne" :
    " Il est plus facile que l'on croit de se haïr. La grâce est de s'oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s'aimer humblement soi-même, comme n'importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ."
    (Pour une fois où je peux copier la phrase en entier, jusqu'à son dernier mot....)

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