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Bukowski ou la grâce du dégueulasse

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Retour sur la bio d’un affreux, sale et méchant poète, entre autres éclairages latéraux... 

Son père était un sale type borné qui le battait, sa mère une méchante garce, ses jeunes années furent empoisonnées par la purulence de l’acné le complexant et l’isolant comme un paria : bref c’est sous les pires auspices que Charles Bukowski (1920-1994) fit ses débuts dans une vie où il ne cessa d’accumuler « un gros lot d’emmerdes », incessamment aggravé par un caractère de sanglier et une sorte de pureté dans la déchéance qui le fit toujours se comporter plus mal qu’on ne s’y attendait, même s’il ne viola pas tout à fait Catherine Paysan sur le plateau de Bernard Pivot ni ne chia vraiment dans les lieux branchés ou snobs qui s’ouvraient à lui. Or cet affreux personnage que l’alcool rendait encore plus méchant et sale qu’au naturel, était également une espèce d’écrivain et une sorte de poète, un écrivain « culte » comme on dit et un poète que d’aucuns dirent aussi important que William Blake, ce qui est aussi exagéré que faux. Mais le réduire à une nullité surfaite serait également injuste. Abstraction faite du mythe vivant et des séquelles de l’iconolâtrie d’époque, Charles Bulowski, dans la lignée de John Fante dont la découverte lui révéla les virtualités d’une poésie de la gadoue et du « vrai », a bel et bien laissé une œuvre, et considérable quoique inégale, dont la large partie autobiographique (mais aussi transposée que chez Céline, en nettement moins tenu quant à la musique et à l’inventivité verbale), autant que les nouvelles parfois étincelantes (disons une vingtaine de vrais joyaux dans un amoncèlement de choses excellentes ou de tout-venant vite fait sur le gaz) et les poèmes de plus en plus abondants, véritable ruissellement sur la fin, méritent plus qu’un regard condescendant ou qu'un engouement écervelé.
Etait-il, pour autant, indispensable de consacrer 386 pages à cette « vie de fou », qui confirme absolument la rumeur selon laquelle le vieux dégueulasse l’était plus encore qu’il ne l’a dit lui-même ? A vrai dire le ton et la façon de cette chronique signée Howard Sounes plaident pour les grandes largeurs de ce récit plongeant immédiatement le lecteur dans le vif du sujet avec le récit d’une lecture publique, datant de 1972, au début de sa gloire dans l’underground californien, qui finit en imprécations et en injures comme à peu près toutes les interventions publiques de l’énergumène.
Retraçant ensuite les tenants et l’évolution de cette vie longtemps mal barrée, l’auteur brosse son portrait en mouvement sur fond d’Amérique des marges, avant d’illustrer les accointances du poète « maudit » avec l’univers doré sur tranche de Hollywood (qu’il a lui-même décrit dans le récit éponyme), notamment dans ses relations avec un véritable ami, en la personne d’un certain Sean Penn, qui ne faillit lui casser la gueule qu’au soir où il se montra désobligeant à l’égard d’une certaine Madonna.
Loin de se borner à de l’anecdote pipole, même si son livre en fourmille assez plaisamment, Howard Sounes s’attache également à l’évolution de l’œuvre et montre bien en quoi la poésie de Bukowski participe d’une sorte de rédemption, lacunaire mais réelle. Schubert dans le merdier, lumière très pure des choses ordinaires, proche parfois du lyrisme des poèmes de Carver, pas toujours faciles à traduire. Comme Verlaine filait de l’or pur dans sa propre abjection, « Hank » touche parfois à la grâce, souvent à l’émotion.

De l’émotion :


« …j’étais là à regarder passer
les voitures dans la rue et je pensais
ces veinards de fils de pute ne
savent pas la chance qu’ils
ont
d’être niais et de pouvoir rouler au
grand air
pendant que je suis assis au bout de mon âge
piégé
rien qu’un visage à la fenêtre
auquel personne n’a jamais
prêté attention. »

Et de la grâce :


« et quand je pense qu’après ma mort,
il y aura encore des jours pour les autres, d’autres jours,
d’autres nuits,
des chiens en maraude, des arbres tremblant dans
le vent.
Je ne laisserai pas grand-chose.
Quelque chose à lire, peut-être.
Un oignon sauvage sur la route
écoeurée.
Paris dans le noir ».


1623343525.JPGBukowski à Apostrophes

"Ha ! Ha ! Ha ! Je me fous toujours dans des situations pas possibles. Mais quelle coterie de snobs ! C'était vraiment trop pour moi. Vraiment trop de snobisme littéraire. Je ne supporte pas ça. J'aurais dû le savoir. J'avais pensé que la barrière des langues rendrait peut-être les choses plus faciles. Mais non, c'était tellement guindé. Les questions étaient littéraires, raffinées. Il n'y avait pas d'air, c'était irrespirable. Et vous ne pouviez ressentir aucune bonté, pas la moindre parcelle de bonté. Il y avait seulement des gens assis en rond en train de parler de leurs bouquins ! C'était horrible... Je suis devenu dingue."

(Extrait de l’entretien accordé par Charles Bukowski à Jean-François Duval en 1986)

Howard Sounes. Charles Bukowski, une vie de fou. Le Rocher, 386p.

Jean-François Duval. Buk et les beats. Michalon, 1998.

A recommander aussi: la présentation du DVD consacré à Bukowski, assorti de séquences filmées où l'on entend la (belle) voix du malandrin: http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/search/label/Bukowski

Commentaires

  • Bukowski est avant tout poète et il était un être extrêmement sensible qui se protégeait derrière un masque de gros dégueulasse. Il y a un très bon DVD de John Dullaghan à son sujet.
    A noter dans l'interview de Pivot l'attitude de Cavanna, l'anarchiste (je ris), qui s'offusque de l'attitude du géant américain. L'anarchie, oui, mais en dehors de l'institution... Pitoyable.

  • Merci pour ces précisions. Vais tâcher de me procurer ce document. Quant à Cavanna, suffit de voir ce qu'il est devenu pour ne pas s'étonner de ce qu'il était ce soir-là.

  • Tant pis. J'ose : j'ai fait un papier sur ce DVD ici :

    http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/search/label/Bukowski

    C'est sans prétention.

  • Osez Joséphin: ça ne mange pas de pain.

  • @ Fellow : je me suis mal exprimé. C'est simplement que je déteste l'auto-promotion... C'est indécent et j'ai été indécent.

  • Trop tard mon canard: JLK a référencié ta présentation. C'est la honte, dilacère-toi, pluie de cendres...

  • Je m'étonne tout de même qu'une biographie de 400 pages soit nécessaire. Car c'est évident, d'autres avaient été écrites bien avant, en lettres de feu sur papier de boue. Je pense notamment à Souvenirs d'un pas grand-chose, et nul besoin d'en rajouter, Bukowski suffisait bien à écrire sa propre bio (nécrologie?). Lui et le reste, le tout vu de l'extérieur, à la lumières des néons de chambres d'hôtel à tendre les arcs du verbe lorsqu'il n'insultait pas des snobinards. Bien que souvent répétitif, on ne s'en lasse pas.
    Alors, tant de pages pour un homme qui se donnait en écrivant (se donnait avant tout à lui-même, l'on en convient), n'est-ce pas trop en faire...

  • Je comprends très bien, Mike, ta réticence de vieux bukowskien de vingt ans, que je partage d'ailleurs, mais n'empêche: la bio éclaire bien des aspects du personnage dont lui-même ne pouvait parler, et c'est jusque dans ses réactions les plus déjantées, voire les plus odieuses, mais aussi dans ses refus intransigeants (quand on lui propose de se mouiller dans une série télé usant de son personnage) que le vrai Hank se révèle aussi bien. C'est un peu pareil qu'avec Céline: la musique incarnée d'un côté, et les faits de l'autre qui en disent parfois un brin, tout de même, sur la présumée vérité de chacun.

  • REAL HANK

    Real Hank is under lines
    Of black ink
    Coming from the gutter
    In whispers of whisky
    Travelling by telephone
    On a lightning bull's eye
    Appearances are scraps
    Entertainment for blind people
    Who forget to look at
    What's behind the watermak

  • watermark, sry

  • Don't be sorry, man, t'is gracious.

  • "affreux, sale et méchant poète", "grâce du dégueulasse". Marre des clichés de bon garçon, on peut pas le présenter juste "Bukowski poète" ?

  • Bah, le moins qu'on puisse dire est que Bukowski a été le premier à alimenter ces clichés, et jusqu'à plus soif, si j'ose dire; et si la poésie seule vous importe, ne prenez que la poésie, sans l'emballage crado...

  • JLK merci je n'y avais encore jamais pensé ! D'ailleurs je découvre tout juste bukowski en 2008 voyez vous, alors merci du conseil ! lol... Non mais je suis simplement lassé de voir toujours les mêmes titres de pigiste accrocheurs quand on cherche un article sur bukowski, c'est redondant, tellement cliché. Et les auteurs ont tjrs le sentiment d'être originaux, les premiers a avoir pensé " MOI je vais chercher sous la carapace de gros degueulasse, MOI je trouve que derrièreeeeeeee ces saouleries de vieux clodo pervers il y'a de la beauté, de la vérité, quel génie ce Buko, un poète maudit !!!" lol... Soyez personnels parfois, merde.

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