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  • Dame de coeur

    c0cced9b53b145ba32ee7c95e844c0a9.jpgA propos de Mal de pierres, de Milena Agus
    Le sort des livres est souvent impondérable, qui peuvent passer complètement inaperçus en dépit de leur qualité, quitte à être redécouverts plus tard ou ailleurs, et c’est ce qui vient d’advenir au remarquable récit de Milena Agus, Mal de pierres, qui connaît ces jours une seconde vie en Italie après que sa traduction française l’eut « révélé ».
    C’est l’histoire d’un tardif amour, réalisant enfin le rêve d’une Sarde mariée quasi de force en 1943 à un homme qu’elle n’aimait pas plus qu’il ne l’aimait, et qui gagne le continent en 1950 pour une cure nécessitée par le mal de pierres (ce qu’on appelle moins poétiquement colite néphrétique ou calculs rénaux) qui la torture et qu’elle bénira plus tard puisque c’est à cette occasion qu’elle rencontre celui qu’elle surnomme le Réfugié, beau personnage à jambe de bois et grande délicatesse qui reconnaît aussitôt en elle une femme aimable. La rencontre des deux personnages est une oasis de lumière dans un tableau plus âpre mais néanmoins très vivant et contrasté, dont la narratrice (l’auteur probablement) ressaisit les détails avec beaucoup de relief et, souvent de drôlerie. L’évocation, par exemple, de la cohabitation des deux conjoints qui ne s’aiment pas, couchant dans le même lit sans se toucher et en tombant alternativement, est irrésistible. Ou, plus tard, la description des « prestations » érotique que son mari, client régulier d’un bordel, a enseignées à la protagoniste, qui les détaille à l'attention du Rescapé, est un autre moment savoureux. L’humour qui se dégage de ce livre va cependant de pair avec un mélange de mélancolie et de fatalisme, qu’accentue un dénouement qu’il faut se garder de dévoiler.
    Toute l’originalité du livre, à part le superbe tableau de mœurs et d’époque (de la fin de la guerre aux années récentes) qui s’y trouve brossé, tient aussi bien à la mise en abyme de la narration, conduite par la petite-fille de l’étonnante dame. D’un remarquable pouvoir d’évocation, au fil d’un récit aux points de vue multiples qui nous révèlent peu à peu les secrets de cette femme singulière et de son entourage, Mal de pierres est un livre qui dit enfin la vertu d’exorcisme de l’écriture.
    30c3808aa9e737734c150315b95218a3.jpgMilena Agus. Mal de pierres. Liana Levi, 123p

  • La danse du génie galactique


    Louis Soutter, delirium psychédélique
    Louis Soutter est cet ange foldingue aux yeux de charbon radioactif et aux pompes jaunes de dandy qui n’en finit pas de danser autour de nous, ayant atteint l’immortalité à force de souffrance existentielle et de saint effort de surmonter celle-ci par le truchement de son art. Ses dessins pourraient être d’un enfant ou d’un jeune sauvage endiablé, avec la maîtrise dépassée des vieux maîtres et la véhémence panique ou candide des artistes dits « bruts ». Son œuvre figure une sorte d’éblouissant trou noir dans la nébuleuse du XXe siècle. Quoique défendu de son vivant par certains (Le Corbusier, Ernest Manganel, René Berger, Pierre Estoppey, Victor Desarzens), le « fou pornographique » de Ballaigues reste pourtant un maudit de la race des Van Gogh et autres Artaud, avec la même intensité existentielle et la même incandescence créatrice.
    La présumée « folie » de Louis Soutter, étiquetée par les psychiatres mais défiant toute norme, ne pouvait qu’intéresser Henri-Charles Tauxe, braconnier de tous les savoirs (de la philosophie de Heidegger, auquel il a consacré une thèse, à la biologie comportementale qu’il a étudiée avec Laborit, jusqu’à la micropsychanalyse vécue en pratique) et polygraphe passionné par les « monstres » créateurs, de Picasso à Simenon. Pourtant une chose est de s’intéresser à une destinée de grand brûlé existentiel, et tout autre chose d’incarner celle-ci. Or c’est le miracle de Louis Soutter, délirium psychédélique, que de mêler le discours analytique et la parole d’un être à vif, les questions d’Henri-Charles (notre confrère à la folle jeunesse, curieux de tout) et les réponses d’un Soutter fulgurant sur le papier sous toutes les formes, de la valse des molécules au multiple visage de la femme ou à la silhouette crucifiée du Christ. Et voilà : du Big Bang originel au personnage bouleversant que Soutter intitule Sans Dieu, le récit palingénésique de la vie et de l’humanité se trouve ici résumé, traversé par la hantise de la mort et redéployé en poussière d’étoiles picturales.
    Tout cela que le texte de Tauxe, de plus en plus habité, concrétise, pour être magnifié sur scène par Jacques Gardel, musique et icônes souttériennes à l’appui. La démarche clôt un cycle « folie et création » où Gardel et Québatte se sont engagés à fond. Dans le rôle de Louis Soutter, Miguel Québatte est proprement bouleversant, alternant la gravité désespérée et l’humour sublime.

    Lausanne. Théâtre Kléber-Méleau, Louis Soutter, délirium psychédélique, d’ Henri-Charles Tauxe, mis en scène par Jacques Gardel, avec Miguel Québatte.  Du 11 au 16 décembre. Durée : 1h.45.