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Lamento solipsiste

6094065f2ca183cdd724c2090132d3eb.jpgNotes de 2007, sur un essai que Langue fantôme prolonge aujourd'hui en un peu plus crispé et provocateur...

 

Le désenchantement de Richard Millet (une lecture)

- En exergue, cite Gombrowicz qui pense qu’il faut « redécouvrir l’individu ». 
- Et Nietzsche qui annonce la fin de l’Europe, ruinée par la démocratie. Jawohl.
- Le texte émane d’une conférence à la BNF, en juin 2006.
- Fait pendant à Place des pensées et au Dernier écrivain, triptyque consacré à la littérature et à la place de l’écrivain dans la société du XXIe s.
- Sent chez lui une contradiction entre son exécration de l’espèce et son amour de l’individu.
- Evoque son « catholicisme dissident ».
- « Cette éternité que me garantit ma foi, la littérature aussi me la proposait d’une autre manière ».
- Se voit « au désert ».
- Se dit « seul, démuni mais soucieux de rectitude ».
- Se dit « à mille lieues » des Vrounzais, selon l’expression de Céline.
- Se dit « aussi loin des petits insolents que des déclinistes, des sociologues que des bondieusards et des dissidents professionnels ».
- N’a pas assez mesuré l’ampleur du nihilisme jusque-là.

1. « Tout homme qui parle est hanté par la nuit – Il est plus nu qu’une bouche d’enfant ».
- Belle formule, et après ?
- « Je ne suis certes rien et, devant l’obscurité qui vient, je ne vaux guère mieux qu’un autre ».
- « Nous sommes entrés dans un étrange hiver : celui de la langue ».
- Evoque la disparition de la figure littéraire, sauf quelques vieux routiers sud-américains et surtout Soljenitsyne.
- Que le corps devrait disparaître.
- La littérature vue comme « écart réfutant le langage mortifère de la communication ».
- Se sent « requis de plus en plus par cette quête quasi insensée de l‘anonymat qu’il y a au cœur de toute démarche littéraire ».
- Ah bon ? Et pourquoi signe-t-il alors ses livres ?
- Evoque les chiens du soir de son enfance limousine.
- Ces chiens n’avaient-ils pas de noms ?
- S’en remet alors, non à Valéry, selon lui l’un des seuls Français qui ont su penser et la littérature et la littérature européenne », mais à Hoffmanstahl qui lui rappelle Handke, dont il salue l’opprobre.
- L’opprobre visant Handke pose la question de ce qui peut être maudit aujourd’hui.
- En effet.
- « La condition de victime seule m’intéresse ».
- L’a-t-il prouvé ?
- Vise la déprogrammation de l’écrivain.
- Besoin de retrouver « l’aventure intérieure qu’est le fait d’écrire ». Words.
- Seul comme Kafka ou Handke : « Je suis seul, et quand on vit seul, on a tendance à se sentir coupable (c’est la tendance Kafka) ou magnifique. Je ne suis i coupable ni un héros. Je suis le troisième homme ». (Handke, dans Le Monde).
- Cite le sarcastique Leopardi dans ses Œuvres morales, en 1827 : «Je crois et j’adhère à la profonde philosophie des journaux qui, en tuant tout autre littérature et toute autre étude, surtout les études sérieuses et pénibles, sont les maîtres er la lumière de l’âge présent ».
- Excellent citation, merci.
- Puis en revient à Lord Chandos.
- Rappelle qu’il a voué, lui RM, sa vie à la littérature.
- Evoque l’adhésion spirituelle qui fonde une communauté nationale.
- Dont la langue est le lien par excellence.
- Fondant la cohésion entre contemporains et générations successives.
- Hofmannstahl écrit que « la littérature des Français leur garantit leur réalité ».
- Très d’accord avec ça. Sauf qu’il y a d’autres façons de garantir sa réalité. Civilisation des nations et culture des pays.
- La référence à la nation ne signifie pas forcément nationalisme, mais recherche d’une aspiration commune.
- « L’effondrement du vertical au profit de l’horizontal n’est pas seulement emblème de la fin du christianisme : il est actualisation d’une dévalorisation générale ». Yes sir.
- Affirme que nous n’avons plus de conception du monde.
- Généralité abusive.
- « Celui-ci est, on le sait, désenchanté ». Généralité.
- « Nous ne le lisons plus, ne l’écoutons plus, ne le voyons plus, et il nous faut consentir à la mort française, à une appartenance qui est en vérité une forme d’esclavage déguisé en progrès ».
- Drôle de glissement. Glissade.
- Comme si tout écrivain n’était pas toujours allé contre le « progrès »…
- Postulat assené: « Le destin de l’individu est sa dissolution hic et nunc dans la masse ».
- Vrai et faux. Catastrophisme nécessaire mais insuffisant. Witkiewicz disait cela en 1924. Est-ce pire hic et nunc ?
- Parle de la liberté comme d’un « hochet ».
- Je vais te l’ôter, ton hochet, et on discutera…
- Stigmatise la nouvelle servitude volontaire.
- Affirme que les grands herméneutes de la modernité, de Barthes à Baudrillard via Foucault et Derrida, sont désormais recyclés et récupérés.
- N’y a-t-il donc plus de lecteurs ? Plus d’étudiants ? Plus de profs ?
- Désigne la « fausse apocalypse» des révélations médiatiques.
- Pompeuse platitude. Kraus donnait des exemples.
- Voit, en le Prix Nobel, un signe de l’effondrement de la littérature dans la démocratie. Naipaul, Grass, Coetzee, Canetti, pires que Sully Prudhomme ou Claude Simon ? Hum.
2. Nous voilà donc des orphelins.
- Il parle de Godard, aussi désenchanté en effet, de ceux qui retirent l’échelle derrière eux.
- Evoque l’après-Auschwitz et la « douceur implacable » des témoignages de Shoah.
- Pas un mot des Bienveillantes.
- Stigmatise la « narrativité » à l’américaine de façon réductrice.
- Affirme que les romans à la Proust ou les essais à la Montaigne n’auront plus cours.
- Pourquoi pas de Claudio Magris demain ?
- Tout se jouerait désormais entre islamisme purificateur et libéralisme « d’inspiration protestante ».
- Très catho français à la Dantec.
- Récuse « toute forme de sagesse ».
- Invoque la « dimension spirituelle » pour récuser « l’emballage éthique du concept d’humanité ».
- Très évangélique cela…
- D’ailleurs pas trace du Christ dans son catholicisme.
- Se défend d’être réactionnaire à l’instant où il l’est à plein.
- Voit en l’Europe chrétienne le seul Etat supranational admissible.
- La démocratie est une ruse de Satan.
- Selon lui, les Lumières ont abouti aux catastrophes du XXe siècle et « peu à peu réduit la seule littérature au seul roman, c’est-à-dire à la mort ».
- Voit en le roman la fin de la littérature.
- Inepte selon moi : c’est le seul feuilleton, ce que Céline appelait la « lettre à la petite cousine » qui est seul en cause.
- Affirme que la littérature s’est effondrée dans la démocratie.
- Encore une généralisation.
- Affirme qu’il n’y a plus de grand écrivain. Vrai pour la France. Mais le dit aussi pour le monde entier. Moins vrai selon moi.
- Prétend que les Américains n’ont jamais reconnus leurs vrais grands écrivains.
- Foutaise : Thomas Wolfe, Faulkner, Dos Passos, Hemingway, Fitzgerald n’ont pas été reconnus que par la France…
- Prétend que Philip Roth n’est pas intéressant. Foutaise.
- Présente ensuite la France comme « pays idéologique ».
- Son essai en est la meilleure preuve.
- Oppose la langue de Merleau-Ponty à celle de Deleuze. Ferait mieux de viser le galimatias de Bourdieu, mais vrai que la langue de Merleau domine.
- Se réfère à Walser et TB pour s’exclamer : « soyons ironiques ». A la bonne heure, mais c’est plutôt de l’humour qu’on attendrait de RM.
- Attaque Todorov en lui reprochant de ne pas citer de bons auteurs français contemporains. Et lui-même ?
- En revient aux éructations d’Artaud, style tout est foutu etc.
- Words, words, words.
4. Voit l’Union européenne comme un empire dépourvu de centre.
- Ne semble pas avoir entendu parler de l’Europe des cultures selon de Rougemont.
- Ne veut pas croire à aucune renaissance.
- Lui qui prône le style et le génie de la langue français, pèche ici par rhétorique souvent fumeuse ou pompière.
- Se demande s’il ne va pas migrer aux States…
- Voit le choix de l’anglais par Nabokov comme un signe de déclin de la langue française.
- Délire sur la fin de la France liée à la perte de ses colonies américaines et indiennes.
- Délire nietzschéen : « La pitié, c’est la pratique du nihilisme ».
- Et de se demander qui serait indigné par la disparition de l’espèce humaine.
- Me rappelle le délire d’Albert Caraco, en plus confus.
- Et Caraco ne se disait pas chrétien !

5. Nouvelle envolée : « Nous flottons dans une langue de bas-empire, dont l’arrogante oralité a rendu en peu d’années obsolètes des siècles de rhétorique ».
- Du moins la rhétorique survit-elle avec RM.
- Me rappelle le lamento de Jouhandeau qui ne sauvait de la littérature française que le XVIIe, et encore.
- Nivellement par les hauteurs sublimes. Vatican de la grammaire…
- Autre délire : « La liberté démocratique n’est qu’une forme de servitude, puisqu’elle tend sans cesse à se limiter au nom même de la liberté d’autrui ».
- Cite la merveilleuse phrase de Rilke (p.54) sur l’américanisation du monde.
- Mais les nostalgies de nos enfants n’ont pas à être refusées au non des nôtres.
- Le hic, c’est que Richard Millet n’a aucun sens de la filiation aval. Aucune générosité. Aucun amour. Sécheresse d’homme de lettres et d’homme à femmes.

6. Décrit la réduction de monde par la technique. Redites.
- « La culture s’achève paradoxalement au moment où tout homme, chez lui, grâce à un ordinateur, peut disposer d’à peu près la totalité des savoirs de l’humanité et n’en veut ou n’en peut rien faire, pas même comme divertissement.
- Complètement réducteur, faux et stupide.
- L’ordinateur est un outil dont chacun peut user selon son savoir.
- Mais « chacun » n’existe pas pour Richard Millet.
- Remet ça sur le « nous sommes en guerre ».
- Chesterton l’aurait dit plus gentiment, sans se poser seul combattant au monde.
- Millet, comme Dantec guerroie seul sur sa Rossinante. Même pas de Sancho pour rire un peu. Et son épée n’est pas de fer-blanc mais de coton.
- Je le rejoins quand il déplore le passage de la verticalité à l’horizontalité.
- Mais j’enrage de lire cette ineptie : «Nous sommes sortis du temps infini de la lecture individuelle ».

7.
- « Nous serons bientôt seuls ». Qui ça nous ? Toi et ton canari ?
- Même délectation que celle des vieilles ganaches de l’extrême-droite et de toutes les sectes élues : nous les bons, nous les purs, nous les derniers.
- Et de se voir aux catacombes.
- Et de s’interroger en dernier recours sur « le mal comme chance de la littérature ». On ne saurait mieux s’égarer.
- Et de culminer dans la jobardise littéraire : le geste de Mishima se faisant seppuku ne serait plus « pensable » parce que nous sommes « déjà morts ».
- On ne fait pas mieux dans la sophistique de salon. Je trouve cela consternant.
- La toute fin est plus personnelle et plus émouvante, qui voit l’écrivain se demander si la fin du roman qu’il prophétise n’est pas le signe de son impuissance personnelle…
- Evoque en outre son destin en termes de musique. Beaucoup mieux.
- Ne devrait pas quitter cette zone de la sensibilité personnelle et de sa mélancolie à lui.
- La posture du prophète ne lui va pas du tout.
- Il se réclame de Sloterdijk mais sa pensée flotte dans tous les sens et n’a pas du tout les assises ni les visions qui puissent fonder sa polémique.
- L’essai me semble défendable et à certains égards, mais quels ravages fait l’idéologie une fois de plus.

Richard Millet. Désenchantement de la littérature. Gallimard, 66p.

Commentaires

  • Et bien merci, encore un livre que je ne lirai pas. Ce serait utile à bien des libraires, une liste de livres à éviter.
    Il aurait fallu agir en amont, chez l'éditeur, sauver des forêts... mais ça nous aurait privé de ce billet. Ca me plait bien, cette forme de résumé critique, qui épouse le cours bouillonnant et vaseux de l'ouvrage. Qui en relève aussi les rares scintillements... c'est décidé, je le marquepage, ce blog fera partie de mes lectures quotidiennes

  • Merci JLK pour ce billet, non pas tant pour votre avis mais pour l'analyse et le relevé précis que vous faites de cet essai. Cette vision nihiliste de la littérature française est néanmoins, quoiqu'en dise l'éditeur, très à la mode.
    Par curiosité et parce que j'aime les romans de Millet en général, je mettrai mon nez dans cet essai.

  • Merci à Pascal et merci à Anne-Sophie, qui a compris que le romancier n'est aucunement visé par mes flèches.

  • La littérature me divertit, la littérature me saisit, la littérature m'allège de quelques préjugés parfois pesants.
    Mais surtout la littérature, encore vivante quoiqu'on en dise, évolue avec le monde qu'elle m'aide à observer et avec l'individu qu'elle m'aide à comprendre. Mr Millet aurait-il peur d'aimer ?

  • Bonjour cher ami.
    Je ne sais si vous avec jeté un oeil, voire deux, sur ma critique de ce livre pour le moins bizarre...
    Amitiés.

  • Pas encore. Je vais le faire. Pour le moment, je me bats avec (je n'ai pas dit contre mais avec) vos intéressantes fulminations à contre-nuit, et j'essaie de lire un peu les autres aussi, ce qui me laisse trop peu de temps pour la peinture à l'huile et à l'eau, je trouve...

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