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Un écrivain est né

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La Symphonie du Loup à la Une du Temps

Marius Daniel Popescu est Roumain. Il vit en Suisse depuis 1990. Il est assis à une table dans un bar de la place Saint-François, à Lausanne. Il a l'œil aux aguets. Il brandit un exemplaire de La Symphonie du loup, le livre qu'il a écrit en français et qu'il vient de publier chez José Corti, un prestigieux éditeur littéraire, celui de Julien Gracq par exemple. Il s'est fendu d'une auto-dédicace: «Pour les 146 parties de cette symphonie. Marius Daniel Popescu, le 4 juillet 2007 au Café Romand.» Ce livre est un labyrinthe où s'enlacent les épisodes d'une existence, la sienne, en Roumanie avant la chute du communisme, et à Lausanne où il a fondé une famille, avec une épouse et deux enfants, la vie simple, les promenades au parc, les jeux sur le sol du salon, les conseils d'un père soucieux de pédagogie et les inscriptions intrigantes en trois langues inscrites sur les produits alimentaires rapportés du supermarché.

On ne peut pas fêter tous les jours la naissance d'un auteur qui écrit dans la langue du pays qu'il a adopté. L'apparition d'un livre qui captive et qui crée un univers vous accompagnant pendant des semaines, avec ses personnages, ses paysages composés comme un puzzle où finit par se former un monde, où l'on sent croquer sous sa dent le sel de la vie. On ne peut fêter tous les jours une écriture tendue, dont la précision et la distance ne se noient pas dans les détails qui sont pourtant abondants.

Marius Daniel Popescu a un style, qu'on va désormais reconnaître. Il a 44 ans. Il est conducteur de bus à Lausanne. Il l'est devenu le premier août 1991, un an jour pour jour après son arrivée, dans les bagages d'une jeune Suissesse qui était allée en Roumanie assister à la fin du communisme et dont il était tombé amoureux (il s'en est séparé depuis). Ce n'est pas son premier livre. Il a publié des poèmes, là-bas et ici. Il publie régulièrement un journal, Le Persil, qui est le reflet de sa fantaisie. Mais La Symphonie du loup est une entreprise autrement ambitieuse, un ouvrage au long cours, que l'auteur se propose d'ailleurs de poursuivre, parce qu'il n'en a pas épuisé toutes les ressources.

Je, tu, il... Dans La Symphonie du loup, les courts récits s'entrecroisent. «Je», l'auteur parle. «Tu», un grand-père s'adresse à son petit-fils. «Il», c'est le point de vue d'un narrateur qui en sait plus que ses personnages.

Marius Daniel Popescu nous fait visiter le pays du parti unique sur les ailes de ces pronoms, la Roumanie de Ceausescu, un monde absurde et autoritaire où l'on vit pourtant, où l'on peut être heureux, et aussi frappé par le deuil. Le livre commence par l'enterrement de son père, le cercueil monté sur un véhicule brinquebalant, la réunion d'une famille dispersée. «Ton père n'aura pas su», dit le grand-père. On est dans la cour d'une maison chez sa grand-mère, on va à la pêche, on connaît les premiers émois...

Marius Daniel Popescu nous fait visiter Lausanne avec l'ironie affectueuse de ceux qui sont venus de loin et qui en aperçoivent des singularités depuis longtemps oubliées par ses propres habitants. Il nous fait aussi visiter cette langue française dans laquelle il s'est précipité peu après être arrivé chez nous. Il nous rappelle ses pouvoirs et sa vie.

Je, tu, il... Plusieurs points de vue, la tension entre le monde perçu, vécu, tenu à distance par le regard et par la narration, et le désir brûlant de le serrer dans ses bras. Dans La Symphonie du loup, Marius Daniel Popescu raconte comment il s'est retrouvé bloqué sur le marchepied d'un train bondé qu'il avait pris en catastrophe bien que les portes en soient fermées. Il voit à travers les vitres les passagers qui le voient aussi. Il y a un dialogue muet, pendant que la chute et la mort menacent.

Marius Daniel Popescu voudrait serrer le monde dans ses bras mais le monde a des épines. Il est volontiers querelleur. Il s'interpose quand il est témoin de ce qu'il considère comme une injustice, comme dans cet épisode où il prend sous sa protection un ivrogne qui fait scandale. Et il s'insurge avec une colère encore vibrante au Café Romand, parce qu'il a découvert dans une association d'écrivains dont il était membre, et qu'il a quittée, ce qu'il appelle les apparatchiks modernes de la littérature suisse.

Il y a, à la fin de son livre, un personnage dont le destin est pathétique. Argenté est peintre et sculpteur. Il est extraordinairement doué. Il veut pourtant devenir juge dans la Roumanie communiste pour changer tout seul le cours de l'histoire. Il croit qu'il lui faut apprendre par cœur ce qu'il doit savoir. Mais il ne sait pas apprendre, ni par cœur ni autrement. Il échoue encore et encore à ses examens de droit. Sa sœur, qui est juge elle-même et qui est son idole, se suicide dans les toilettes du Palais de Justice. Argenté mettra alors fin à ses jours pendant que le régime du parti unique est en train de s'effondrer.

«C'était mon ami et un être très sensible, nous dit Marius Daniel Popescu. Il avait eu une vie difficile, travaillé dans les mines. Pour lui, tout était mirobolant. Il disait: on va tout changer. Il n'avait pas compris que le passage d'un monde manuel et artistique au monde soi-disant intellectuel suppose une certaine ruse, une certaine adaptation.» De la ruse, il y en a un peu et peut-être plus chez Popescu. A l'écouter parler, on sent qu'il attend l'ouverture. A le lire, on voit qu'il défie le langage et refuse de se faire avoir par ses sortilèges et ses préciosités. «Le loup est rusé, dit-il. Beaucoup plus que le renard qui n'est qu'un rusé de légende. Mais si je l'étais vraiment, je ne serais pas écrivain, je serais ministre».

Le suicide d'Argenté pourrait conclure La Symphonie du loup si Marius Daniel Popescu était un désespéré. En réalité c'est un enchanté, un cueilleur pour qui la vie est un impératif. On revient donc à Lausanne, à sa famille, à ses enfants, aux jeux et à cette phrase qui termine le livre mais pourrait être un commencement: «Elle donne les cartes à couper, à sa droite, attend que l'autre les partage en deux tas, remet le tas d'en bas sur celui d'en haut, se tourne vers sa gauche et commence à les distribuer, une par une, à chaque joueur, jusqu'au moment où chacun a cinq cartes.» Le hasard a fait son œuvre; on ne sait pas encore ce qu'il réserve. La partie continue. Rien n'est écrit de ce qui s'écrira.

Laurent Wolf

7cf57680007aaca34fb554b870a15aaf.jpgMarius Daniel Popescu, La Symphonie du loup, José Corti, 400 p.

PhotoJLK: Marius Daniel et le chien Fellow.

Commentaires

  • ça donne envie de lire...

    C'est le loup et le chien... mais on le voit à peine le chien fellow.

  • On voit moins encore le papillon, qui tire les ficelles. Pourrais-tu reprendre contact avec JLK qui prépare les lendemains qui chantent du Passe-Muraille ? Ce serait cool ma poule.

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