Rentrée littéraire française 2007
ou comment sy' retrouver sous la déferlante...
Une fois de plus, la rentrée littéraire française touche à la pléthore : 727 nouveaux livres, dont 493 romans francophones. Faut-ils s’en réjouir comme d’un signe de vitalité ? C’est ce que prétendent toujours certains éditeurs bien installés à la tête de leur empire, mais ce ne sont pas leurs livres « stars» qui seront noyés dans la masse. L’an dernier, ainsi, le seul succès public des Bienveillantes, de Jonathan Littell, également consacré par deux grands prix (Académie française et Goncourt) a permis à Gallimard d’assurer sa saison. La course aux prix littéraires d’automne, qui peuvent centupler la vente d’un livre, est d’ailleurs le point de mire de cette concentration des publications sur quelques mois, inconnue dans les autres pays d’Europe.
Et la qualité là-dedans ? Et le lecteur ?
Dans l’emballement médiatique qui préside au lancement de certains livres, comme ceux de Mazarine Pingeot ou de Yasmina Reza, après le phénomène Houellebecq de l’an dernier, la qualité compte évidemment moins que le battage. Mais il serait faux de l’exclure. Ce qui est sûr en revanche, c’est que nombre de bons livres sont noyés dans la masse. Or il arrive, et plus souvent qu’on ne croit, que lesdits bons livres soient sauvés par le bouche à oreille des libraires et des lecteurs. Le meilleur exemple en est L’Elégance du hérisson de Muriel Barbery, qui a passé le cap des 200.000 exemplaires après avoir été inaperçu lors de la rentrée de 2006.
D’aucuns prétendent que les livres « stars » aident les autres à survivre. C’est plus que douteux, dans la mesure où les « produits d’appel » bénéficient seuls de prix réduits et monopolisent l’attention. Autant dire que le rôle des « passeurs » est plus important que jamais, qui aident le lecteur à ne pas se noyer à son tour…
Ainsi, la production éditoriale française donne dans le tir groupé, avec 493 romans francophones sur un total de 727. A défaut d’une révélation comparable à celle des Bienveillantes de Jonathan Littell, l’an dernier, divers « coups » éditoriaux ont déjà été annoncés, à commencer par L’aube le soir ou la nuit, chez Flammarion, où la dramaturge-star Yasmina Reza raconte « son » Sarkozy. Déjà pimenté par une polémique sous prétexte de « plagiat psychique», Tom est mort de Marie Darrieussecq, publié par P.O.L., devrait lui aussi « cartonner » vite fait, de même que le nouveau récit japonisant d’ Amélie Nothomb paru chez Albin Michel sous le titre de Ni d’Eve ni d’Adam. Au rayon messieurs de la célébrité, Philippe Sollers nous revient avec ses mémoires sous le titre d’Un vrai roman, chez Plon, alors que sont annoncés, pour un peu plus tard, de nouveaux livres de Daniel Pennac (Chagrin d’école, chez Gallimard) , Pascal Quignard (La nuit sexuelle, chez Verdier) et Patrick Modiano (Dans le café de la jeunesse perdue, chez Gallimard).
Dans le peloton des auteurs plus ou moins chevronnés, quatre dames qui n’ont rien de bas-bleus se (re)pointent au portillon : Lydie Salvayre avec Portrait de l’écrivain en animal domestique, au Seuil, où l’on assiste à un jeu entre littérature et pouvoir qui rappelle celui de Reza ; Alina Reyes, au Rocher, dont la Forêt profonde exhale la confession lyrique et virulente d’une amoureuse désespérée errant dans un monde en ruines; Linda Lê, elle aussi très incisive dans In Memoriam, chez Bourgois, où le portrait d’une femme suicidée se trouve retracé post mortem par l’un des deux frères qu’elle a aimés, et la Mauricienne « genevoise » Ananda Devi, accueillie dans la « blanche » de Gallimard avec Indian Tango, beau roman évoquant les tribulations d’une quinquagénaire bousculée entre passé et présent à l’unisson de la ville de Delhi.
Autre retour en lice d’un « renaudoté » peut-être « goncourtisable », à savoir Philippe Claudel avec Le Rapport de Brodeck, chez Stock, où l’auteur des Ames grises passe de la Première à la Deuxième Guerre mondiale. L’histoire est également revisitée par Antoine Volodine, mais de façon plus follement imaginative, dans les Songes de Mevlido, au Seuil, où le romancier poursuit sa construction d’un univers parallèle poético-politique dans un vrai pavé (461p.). Comme le précédent, Eric Reinhardt, se déploie largement (près de 600 pages) avec Cendrillon, autofiction ambitieuse d’un quidam à transformations.
Entre tant d’autres ( !), signalons enfin cinq « outsiders » à recommander : Canapé rouge de Michèle Lesbre, roman intimiste de deux bonnes dames complices, publié par Sabine Wespieser et déjà encensé par les très attentifs libraires français (ceux-là même qui ont consacré L’élégance du hérisson de Muriel Barbery), et le premier roman d’ Alizé Meurisse, Pâle sang bleu, chez Allia, qui nous plonge dans l’univers « djeune »; ou encore, nos propres coups de cœur inconditionnels : La Symphonie du loup, chez Corti, du Roumain lausannois Marius Daniel Popescu, superbe récit autobiographique sur lequel nous reviendrons sous peu ; la chronique fraternelle et très savoureuse de la Résistance française des maquis du Sud-Est, dans le libertaire Insurgés d’ Alain Dugrand, chez Fayard ; et l’admirable roman choral de l’écrivain wallon François Emmanuel, paru au Seuil sous le titre de Regarde la vague et représentant, à nos yeux, l’honneur de la littérature survivante d’émotion et de style dans le bruit du monde…
Des étrangers frères de « patries imaginaires »
Les livres qui nous semblent réellement importants, en cette rentrée, nous arrivent le plus souvent des quatre coins du monde, et le premier à nous replonger immédiatement dans le grand souffle de la littérature est un très impressionnant roman du Russe Mikhaïl Chichkine, Le Cheveu de Vénus, dont le narrateur est traducteur au service d’accueil des requérants d’asile, à Zurich, les confessions et autres affabulations qu’il recueille se mêlant à la rumeur du monde et des siècles au gré d’une fiction magistrale.
Un souffle impérieux se dégage aussi de la lecture de Zoli, où l’Américain Colum McCann, auteur des Saisons de la nuit et du Chant du coyote, notamment, se lance dans la chronique épique et émouvante d’une vie de femme recoupant la tragédie européenne, entre les années 30 et nos jours. Trois autres revenants des States se pressent dans la foulée : Jonathan Franzen avec La Zone d’inconfort, à L’Olivier, constituant un autoportrait d’un rejeton de la classe moyenne américaine en apprentissage existentiel dans les seventies ; William T. Vollman, toujours aussi prolixe, dans Central Europe, chez Actes Sud, qui traverse le XXe siècle européen au fil d’une trentaine de récits entremêlés ; et Mark Z. Danielewski, dont on se rappelle l’expérimentale Maison des feuilles, qui remet « ça » dans O Révolutions, chez Denoël.
Au chapitre des retrouvailles, nous ne ferons que signaler en passant de nouveaux romans de l’Anglaise Doris Lessing (Un enfant de l’amour, chez Flammarion), de l’Américain Norman Mailer (Un château en forêt, biographie romancée d’Hitler, chez Plon), du Canadien Michael Ondaatje (Divisadero, à L’Olivier), de l’Irlandais Joseph O’Connor (Redemption Falls, chez Phébus) , de l’Italien Alessandro Baricco (Cette Histoire-là, chez Gallimard) ainsi que le récit autobiographique attendu de Günter Grass, Pelures d’oignon, au Seuil.
Nouvelle venue en revanche : voici Marisha Pessl et La Physique des catastrophes, chez Gallimard, évoquant la société de consommation américaine vue par une lycéenne endiablée non moins qu’entichée de son paternel…
La cour est loin d’être pleine, mais achevons sur l’annonce du vingtième roman traduit de John le Carré (Le chant de la mission, au Seuil) et, en attendant la prochaine déferlante de mars 2008, du déjà fameux Un Homme de Philip Roth, en novembre chez Gallimard…
Trois Suisses sur Seine
Jean-François Haas, Dans la gueule de la baleine guerre. Seuil, 374p.
Le premier roman du Fribourgeois Jean-François Haas a été envoyé aux éditions du Seuil par la poste, selon l’expression consacrée, dont il constitue l’un des titres les plus singuliers de la rentrée, par ailleurs substantielle. Remarquable par son travail de malaxage de la langue, qui ne va pas toujours sans difficulté de lecture, Dans la gueule de la baleine guerre est une impressionnante traversée de la Deuxième Guerre mondiale, dans la mêlée germano-russe où sont impliqués trois braves jeunes gens civilisés. L’un des deux rescapés raconte…
Metin Arditi, La fille des Louganis. Actes Sud, 245p.
Metin Arditi se sent bien en Grèce, et plus précisément dans la petite île de Spetses où il a situé l’intrigue de son nouveau roman, qui s’ouvre sur ce qui semble un accident et cache à la fois un crime et un suicide, fatal aux deux frères Spiros et Nikos Louganis. Cette tragédie initiale pèse sur la destinée de Pavlina, autant que le legs d’une faute commise par sa mère. A cela s’ajoute un autre coup du sort, qui aura pour elle de plus lourdes conséquences, et que le lecteur découvrira lui-même dans ce roman de la filiation et de l’arrachement.
Daniel de Roulet, Kamikaze Mozart. Buchet-Chastel,
Quel fil rouge peut-il bien conduire de Californie, en 1939, à Lucens dans le canton de Vaud, en 1968, en passant par le Japon des kamikazes ? C’est ce que découvrira le lecteur du nouveau roman de Daniel de Roulet, qui nous emmène assez loin des sentiers battus par la littérature romande ordinaire. Documenté, à commencer par son aperçu du sort des Japonais aux States, et militant en filigrane, ce « reportage » romanesque intéresse essentiellement par ses thèmes et ses aperçus historiques.
Ces articles ont paru dans l’édition de 24Heures du 28 août 2007
Commentaires
ce n'est pas Mozart kamikaze
Mais Kamikaze Mozart
salutations
ddr
Trop, trop, trop c'est trop. Comme la table dressée d'un festin où le meilleur côtoierait l'assez moyen, le salé le sucré, le chaud, le froid. Par gourmandise, alléchés on se précipite mais finalement ce n'est qu'assez longtemps après qu'on reviendra y picorer, en gourmets.
Oh je trouve la rentrée littéraire indigeste et votre article ..étourdissant, il y en a trop disais-je ..mais je voudrais encore en ajouter...humm Alain Fleischer pour "L'ascenseur"et "Quelques Obscurcissements", tenez ;) !
Pardon, cher Daniel, pour cette erreur grossière liée à la masse de détails à traiter dans ces papiers impossibles. Je reviendrai sous peu à ton roman qui m'a beaucoup intéressé à certains égards et frustré, une fois de plus, par son manque de chair et son écriture aussi lisse que ta ligne de coureur...
Entièrement d'accord avec Marie, mais mon travail de mercenaire m'oblige à ces exercices d'acrobatie. "Ma" rentrée, pour le moment, se borne à une vingtaine de vraies lectures, de Dantec qui m'a intéressé et déçu (et que je n'ai pas cité) à Natacha Allanah, dont Le dernier frère (à L'Olivier) me semble remarquable, que je n'ai pas encore fini, pas plus que le roman de Daniel de Roulet. Sur cette vingtaine de lus ou en train de l'être, quatre livres m'ont profondément touché: de François Emmanuel, Marius Popescu, Alain Dugrand et Mikhaïl Chichkine, celui-ci renouant avec les grands deseins littéraire - j'y reviendrai sous très peu. Et Fleischer ? Je le laisse à d'autres, en l'estimant fort au demeurant. Et Bégaudeau ? M'a déçu. Ainsi de suite, en attendant d'autres probables découvertes...
merci en tous les cas du remarquable travail de filtrage
le vigneron amateur et le documentaliste que je suis apprécient
vis fort
lis bien
Oh je citais Alain Fleischer non pour pointer les absents de votre article, ce qui serait terriblement bête , mais pour souligner le paradoxal de ma réaction: d'abord je crie à la saturation et dans un deuxième temps j'ai envie d'allonger la liste, encore et encore!!
Plus sérieusement : vous citez à nouveau François Emmanuel et voilà que je me prends à douter de mon appréciation négative à son égard,à la lecture de La Chambre voisine il y a quelques années... Avant de plonger dans sa dernière vague je voulais lire un article que vous lui avez consacré récemment mais.. soit je rêve et l'ai imaginé , soit je me perds dans vos colonnes... enfin je ne le trouve pas!
Personnellement j'ai mis un an pour lire les Bienveillantes et comme je ne suis pas satisfait de ma lecture je recommence... je m'intéresserai à la rentrée littéraire 2007 l'année prochaine ! Bravo pour votre blog foisonnant, étonnant et parfois intimidant !
Je vous propose un compromis à votre avantage certain : vous relisez 10 pages des Bienveillantes et ensuite 20 pages du formidable roman de Mikhaïl Chichkine, Le cheveu de Vénus, ensuite 10 pages de Littell et 20 pages de La symphonie du loup de Marius Danuiel Popescu encensé hier par L'Huma (nul n'est parfait), ensuite 10 pages des Bienveillantes et 20 pages de Regarde la vague de François Emmanuel. A ce régime vous arriverez à Noël heureux et vous m'enverrez un biscôme de reconnaissance...