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Ecrire sur du sable

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Notes sur la blogosphère (2007)

« La blogosphère, c’est l’infini à la portée des rats », note aimablement Alina Reyes dans Forêt profonde, son dernier roman, détournant la non moins charmante formule de Céline selon lequel « L’amour est l’infini à la portée des caniches ».
Forêt profonde est un livre émouvant et passionnant à divers égards, dont le mélange de désarroi et de désespoir, et la force d’expression, la vitalité, l’intelligence, la poésie de sa ressaisie littéraire, composent un mélange détonant, pure émanation d’époque.
Ce qu’Alina Reyes dit de la blogosphère, des fantasmes qu’elle suscite et des rapports (ou pseudo-rapports) qui s’y tissent, de ce que beaucoup en attendent et qui en frustre tout autant, est à la fois pénétrant et vrai à 99%, ce qui nous donne un bon espace d’1% pour continuer d’y converser tranquillement, n’est-ce pas ?
Alina avait un amant de chair et d’osses, ils se sont perdus de vue longtemps puis se sont retrouvées sur le web et une nouvelle liaison en a découlé, qui constitue l’un de motifs de la fiction de Forêt profonde, autour de la figure plus ou moins démoniaque de Sad Tod.
« J’ai un amour virtuel. J’ai des amis virtuels, qui peuvent être aussi des ennemis virtuels. Je vais converser chez les uns, chez les autres. Je guette les manifestations de mon amour virtuel. Je joue à vivre en ligne, je me donne l’illusion de jouir du jeu, j’en jouis. Mais une angoisse sans nom me vide chaque jour, nuit après nuit, lentement, sûrement. Je sais, au fond, que je suis en train de me transformer en simple élément du jeu, en objet virtuel que le jeu manipule lui-même.
La blogosphère, c’est l’infini à la portée des rats. L’internaute est un visiteur potentiel de millions de blogs, dont beaucoup apparaissent ou disparaissent à chaque instant. De site en site, de lien en lien, il peut surfer sans limites, courir et gratter de ses petites pattes l’infinité des trous, passages et couloirs souterrains de la vie. Sans limites dans l’espace virtuel, sans limites dans la variété de l’offre : toutes les voix du monde semblent s’y faire entendre, alors qu’évidemment rien n’est plus faux, seuls résonnent dans ces catacombes des échos assourdis, des rires enregistrés et des bruitages de cinéma. Ni la voix de l’enfant en train de jongler avec les démons de ses rêves ou de sa boîte à jouets, ni celle de la femme en train d’accoucher, ni celle du vieil homme en train d’agoniser ne s’y entendent. Encore moins celle de l’enfant qui travaille en usine ou mendie, celle de la femme cloîtrée, celle du SDF, celle du soldat qui chie de peur dans son treillis. Ni celle des milliards d’hommes sur cette terre qui sont trop occupés à survivre ou à vivre pour s’offrir le luxe décadent d’une pseudo-vie. Et les entendrait-on sur son ordinateur ou à la télévision, on ne les entendrait toujours pas. La voix n’est pas seulement une série de sons, pas plus que la chair n’est qu’une image.
Régulièrement j’ai la gueule de bois. L’écoulement verbal dans la blogosphère me révulse, je voudrais ne plus jamais boire ce jus d’impuissant, pauvre épanchement d’être physiquement morts, psychiquement anorexiques-obèses, semence stérile et frelatée qui ne saurait enfanter que toujours plus de monstres pour grossir les rangs des armées de la Mort, que nous appelons contre nous-mêmes."

2d18aad82cdd6bef35c1ee43a5cae6c9.jpgAux dernières nouvelles, j’ai constaté qu’Alina Reyes avait fermé son site, après avoir fermé son blog depuis un certain temps déjà. A-t-elle eu raison ? Sans doute, en ce qui la concerne, et son livre l’illustre évidemment. Mais a-t-elle raison de réduire ceux qui pratiquent la blogosphère à des rats morts ? Je ne le crois pas. D’ailleurs les accents qui se veulent prophétiques, dans le genre catastrophiste, de Forêt profonde, sont à mes yeux la partie la plus faible du livre, et qui vieillira vite n’était-ce que par ses lourdeurs d’écriture, alors que le souffle de l’Eros, le souffle de la vie et le souffle de l’amour en traversent mainte pages superbes et qu’on relira demain.
Alina Reyes prétend qu’il n’y a aucune place pour la vraie vie dans la blogosphère, ce qui me semble aussi discutable que de prétendre qu’il n’y a de vraie vie ni dans les mails ou les SMS. En ce qui me concerne, je vois de la stupidité partout, et des simulacres de relations, de la perversité et de la malice, autant que des surprises de bonté et de désintéressement, de curiosité bonne ou de sincère désir de frayer, dans l’espace d’1% que représente internet dans ma vie occupée à 99% par de l’encre réelle, des arbres à racines, une femme à humeurs et un chien chiant vraiment partout à sa seule guise, sans compter les enfants-soldats et les prolétaires du Kerala central. 
Les Français eux aussi, hélas, sont souvent chiants avec leur vision binaire de la réalité, qui les fait ignorer les échappées tierces. François Cheng me le disait le jour précédant son intronisation à l’Académie, qui n’en a pas fait un cartésien crispé pour autant. Imagine-t-on un Descartes, un Sade anglais ou italien ? Nullement. Or il faut écouter les Italiens. Nul cinéma n’a si bien brocardé le cinéma que le cinéma italien, ni si bien dégommé l’imbécile télévision que Fellini, comme en s’en jouant. Et les Anglais mes aïeux : encore un peu de Chesterton sur la blogosphère et nous serons moins rats. Enfin les Suisses qui sont des composés d'Etrusques, de Celtes et de Wisigoths...
Résumé de cette divagation du soir d’un optimiste se réjouissant de voir que l’espoir nous est encore permis à un taux d’1% : ne prenons pas la blogosphère pour une terre promise ou un paradis artificiel, ne nous camons pas à l’internet, n’écrivons pas ici comme sur du marbre ni même comme sur du papier, mais comme sur du sable…

Alina Reyes. Forêt profonde. Editions du Rocher, 376p.

Commentaires

  • Je viens de découvrir la blogosphère... Mais je ne m'y perdrai pas. Une minuscule prairie me suffira, de temps en temps, dans cette forêt profonde. Les vrais arbres et les vraies gens m'appellent trop fort pour que j'y passe plus qu'un% de ma vie, et encore!

  • -Comme sur du sable... oui c'est juste: entre deux vagues.

    -Le cinéma italien existe-t-il encore??

  • Marie vous avez une seconde vue, car je suis en train de me repasser l'histoire du cinéma italien de Scorsese, qui est une pure merveille. Hélas c'est du passé. Actuellement on va de feuilleton en feuilleton. Après Nos meilleures années de Gordana, voici Mio fratello è figlio unico, Mon frère est fils unique, très jolie chronique des années 60-70 dans une famille dont un fils devient terroriste tandis que l'autre renonce au fascisme dans lequel il s'est lancé pour embêter les siens. C'est de Lucchini et cela va débarquer sur les écrans français. On est loin de Rosselini-Visconti-Fellini-Pasolini, mais cela existe comme l'Italie existe...

  • hé ça m'arrive ...mais c'est une autre histoire ;)
    Oui actuellement on est loin de ces fab four que vous citez même si ça bouge encore bien-sûr, joliment et de façon intéressante. La télévision berlusconienne a complètement phagocyté le cinéma.. à propos de celle-ci Antonio Tabucchi n'a pas de mots assez durs, je me souviens d'une de ses conférences l' automne dernier où il était réellement hors de lui. La fin de son "Tristano meurt"(http://livres.lexpress.fr/critique.asp?idC=8963&idR=10&idTC=3&idG=4) est du même tonneau. Un livre admirable par ailleurs...

  • Eccolo !

  • Ouch !!! Effet de sidération :O
    Votre texte sur Tristano meurt est impossible à commenter .Un bug? la page ne veut pas s'ouvrir... Heureusement peut-être... vous avez échappé aux premiers "oh" et " Ah!!!" que j'y aurais écrit d'emblée ;)
    Beaucoup aimé découvrir votre vision de ce livre, de mémoire affleurée.., qui coïncide avec la mienne sans avoir tout à fait le même angle, la prolonge, approfondit certains aspects... De cet hallucinant-halluciné soliloque, chacun retient ce qui l'interpelle, le hantera("Qui témoigne pour le témoin", j'ai cette phrase en tête depuis des années ... ) C'est un livre qu'il faut relire je pense, lecteur-orpailleur qui passe et repasse. Oui "Il se fait tard, de plus en plus tard"que vous citez avec un bel à-propos est un grand Tabucchi aussi. Très différent, mais tous ses livres ne le sont-ils pas.. différents? Le "petit " Rêves de rêves par exemple est à part, totalement atypique. Quel bijou!

    merci pour cette note
    m a r i e

  • Je viens justement de constater la disparition du blog d'AR: légère déception. A travers la toile, nous tendons nos antennes les unes vers les autres, soif de contacts et le monde est un miroir, blabla... J'explore le net, terrain de jeu, comme mon inconscient et il est aussi un lieu de rencontre au même titre qu'un bistrot glacial enfumé.
    Il s'y passe des choses. Autrement.
    Une autre optimiste, sans doute...

  • La différence entre le Net et l’écrit classique ne tiendrait-elle pas à l’absence de légitimité de ce premier support?
    Quelle différence, finalement, entre un article que je ferais paraître dans une revue et le même article que je publierais sur mon site ? Le nombre de lecteurs n’entre pas en ligne de compte. A la limite, il pourrait même être supérieur sur le site. Pourtant, parce qu’il aura été accepté par le directeur de la revue, cet article prendra un caractère pour ainsi dire officiel. Il peut être bon ou mauvais, on peut le critiquer ou pas, mais dans tous les cas il existe. A l’inverse, sur le blogue, il ne sera qu’un élément de plus dans une immense logorrhée verbale.

    J’ai aussi l’impression que l’écriture sur Internet n’a pas d’impact. Certes on peut avoir des lecteurs, qui vont approuver (ou désapprouver) ce que vous dites, mais finalement, les opinions (politiques, littéraires ou autres) que je défends restent paroles dans le désert. Elles ont sans doute eu un effet cathartique pour moi (j’ai pu transmettre mes idées, mes peurs, mes révoltes et cela m’a fait du bien), mais elles n’ont changé en rien la face du monde. Dès lors, Internet devient une sorte d’exutoire où chacun vient avouer ses frustrations ou clamer sa désapprobation à l’encontre du monde dans lequel il vit. Parce qu’il est à la portée de tous, ma parole, du coup, n’a plus de poids. Prenons le cas d’un politicien. S’il écrit une rubrique dans Le Monde dans laquelle il expose se conception de la société, cet article fera date. On le citera, il fera réfléchir les gens, on en discutera. S’il s’était contenté de publier le même texte sur son site, cela serait resté lettre morte.

    L’autre problème d’Internet, c’est son « immédiateté ». Vous dialoguez directement avec les gens, même avec des célébrités. Du coup, le moindre rat, comme disait Alina Reyes, a l’impression d’accéder à l’infini. Je lisais toujours son blogue et j’ai échangé des idées avec elle. Ce fut enrichissant, en tout cas pour moi. Car Internet permet précisément de « rencontrer » des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêts que vous. Même si vous ne les voyez pas et même s’ils sont distants géographiquement, ils existent pour vous. Ils sont même sans doute plus proches de vous (mentalement parlant) que votre voisin ou votre collègue de bureau. Cependant, elle a sans doute bien fait, cette chère Alina, de prendre du recul et d’éviter les rats que nous sommes tous devenus. Internet est aussi une drogue dans laquelle on risque de se perdre. C’est finalement un microcosme qui reproduit tous les travers de la société réelle, avec ses rivalités, ses prises de pouvoir et ses jeux d’influence. Il ne faudrait pas que le « moi » profond en sorte amoindri.

  • A peu près d'accord avec vous, sauf que nous sommes à un moment d'évolution de la communication et que nous pourrions être surpris... La blogsphère n'est que ce que chacun en fait, du pire au meilleur. Il faudrait n'en rien attendre, comme il faudrait ne rien attendre de la publication d'un livre. Propos angéliques ? Je ne le crois pas, ou disons que je ne le vis pas ainsi. Tant mieux si ce que nous écrivons touche 10, 100, 1000 personnes. Mais faut-il le rechercher ? Le premier mois de ce blog, j'ai relevé 300 visites. Le mois dernier: 15.000. Et que cela signifie-t-il ? J'essaie d'être honnête sans penser blog. D'ailleurs celui-ci n'est qu'un vecteur d'expression parmi d'autres... Le "moi profond" n'y risque pas plus qu'il n'en est magnifié. Mais je parle pour ma firme et chacun la sienne...

  • En lien, une de mes vieilles notes consacrée à la blogosphère.
    JLK : exactement ! La Toile est ce que l'on en fait et, en ce qui me concerne, sans la défendre aveuglément (99% des blogs sont de la pure merde...), il m'a bien fallu constater que l'imprimé devenait un territoire de plus en plus... compliqué, alors même que je suis l'exemple d'un blogueur ayant à son actif quelques pages publiées en livres ou revues...
    Vous avez raison encore : je n'en attends rien, seulement l'essentiel, amener quelques lecteurs, le plus possible bien sûr (et la Zone en a de plus en plus !) à découvrir les auteurs ou les livres que j'évoque.
    Ce n'est rien et c'est pourtant énorme, alors que tant d'autres, pas seulement blogueurs, n'écrivent que pour faire reluire leur égo, qui n'est pourtant pas franchement élimé...
    Feuilly : le moi profond ? Expression idiote, je connais quelques "moi" qui ont l'épaisseur d'une feuille de cigarette, c'est dire. Toute exposition transforme le moi, y compris l'écriture d'un texte qui ne sera jamais publié, vous avez d'autres banalités à nous assener ?
    Effectivement, vous avez raison sur un point cependant : l'immédiateté, voilà le vrai danger, à mon sens totalement incompatible avec le recul que nécessite l'écriture, en tous les cas l'écriture d'un livre mais...
    Mais voyez notre chère Alina, si peu délivrée de la méchante Toile qu'elle lui consacre bien des pages de son roman et même, vers la fin de ce dernier, évoque un certain Zonard du nom de... Stalker !
    Amitiés.

  • Singulier de relire ceci avec l'affaire de plagiat dont Alina Reyes semble la victime assez peu consentante... Plus de détail sur mon blog (deux notes) et celui du Stalker.

  • Déraillez-vous complètement, vous et Asensio ? Avez-vous lu Cercle de Yannick Haenel ? Pour ma part, je n'en ai lu depuis hier que cinquante pages, qui me semblent le sommet de la niaiserie chic et du cliché choc. Défendre Alina est certes chevaleresque, mais de quoi parle-t-on ? Quels sont les passages incriminés ? Ce livre me semble un collage de références sur un fond de vacuité élégante, dont la première scène des feuilles jetées au vent par celui qui a décidé de rompre d'avec sa "via smarrita" est déjà un cliché et un pastiche. J'y ai cru sur quelques pages et l'écriture a des qualités de vivacité, mais pour dire et pour chanter quoi ? O Joie ! O moi ! O mon cher Moi plein de Joie ? O mon corps ! O la corporéité corporale de mon corps ! Ce genre de choses. Et n'est-ce pas une niaiserie de plus de ferrailler contre un tel sac de bourre ?

  • Mon cher Jean-Louis... Le sac de bourre est véhiculé par un certain potentat du nom de Philippe Sollers. Connaissez-vous ? Trouvez-vous niais (ou vain, peut-être) de ferrailler contre son système, comme Jourde a pu le faire et continue de le faire ? Moi, pas. Je n'ai lu aucun des deux romans, mais je suis convaincu par la démonstration d'Alina et séduit par la manière assez peu hargneuse dont elle défend sa cause.

  • Bon jour Melle Alina Reyes,

    La vie n'est-elle pas une grande Blogosphère?

    Admettez-le!...Et puis tout ira sûment beaucoup mieux.

    De mon côté je ne doute pas un instant de votre talent, mais le plus grand talent des talents n'est-il pas celui de savoir reconnaître le talent de l'autre qui n'est finalement que la continuité du sien...

  • Bon, eh bien je me lance. J'ai fini par tout lire ce qui concernait cette vile querelle mercantile entre Alina Reyes et Haenel. Tout lu, c'est beaucoup dire. Tout; beaucoup dire. Le souplinisme, et surtout les très intéressants textes de Asensio.
    Inutile de dire que j'apporte mon total soutien à Alina Reyes, tant toute cette histoire pue le fric. Soutien dont elle se fiche sans doute comme de l'an quarante, tant il est vrai que soutenir n'est pas agir et que je ne suis qu'un microscopique vermisseau. Néanmoins, si l'on part du principe que les petits ruisseaux font les grandes rivières, il ya de l'espoir.
    Précision: j'ai lu le livre d'ALina Reyes. Non, je précise, parce qu'étant un bloggeur assoulinesque, la mode est de parler de livres qu'on a pas lu. Ce livre, donc, je l'ai lu et beaucoup aimé.
    Mais cette histoire me rappelle la pichrocholine (merci Asensio!!) querelle entre Darrieuscq et Laurens. Piteux. Pitoyable. Mesquin.

  • Montaigne à cheval, je vous aime !

  • Hier, dans la cour de mon palais, glissaient de mes mains les quelques trois cent septante feuilles de l'arbre qui cache sa Forêt. Tombé dans les graviers des futures oubliettes le livre ? Pile plume au même instant, à une dizaine de mètres juste au-dessus de presque toute ma tête à moi, EXACTEMENT (pas à côté, pas n'importe où), un carré sur pointe de corneilles à nouveau sorties de Dieu sait où prennent la poudre d'escampette aux quatre coins de la rrose des vents à grands battements d'coeur et dans le vacarme que pratiquement seuls ces sinistres volatiles sont capables de produire...

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