D’un pèlerinage à la vertigineuse Chapelle du Scex. D’une inscription en grandes lettres blanches proclamant VIVE CHAPPAZ, en voie d’effacement, et d'une nouvelle inscription flambant neuve annonçant: DIEU EST MORT...
Certaine jeune Anglaise qui ne manque ni de candeur ni de grâce dans la silhouette, n’ayant rien à envier en cela à une Kate Moss, en nettement plus frais en revanche, a cru devoir rosir, l’autre soir qu’elle me consultait dans un refuge, en découvrant les toponymes alpins de nos régions où nombre de pics et autres pitons rocheux sont affublés du nom de Scex. Identifiant sur la carte un Scex rouge puis un Scex penché, notre amie semblait toute pensive, jusqu’au moment où je crus de mon devoir de la décevoir en lui apprenant que Scex signifie simplement rocher en langue archaïque…
Ainsi la Chapelle du Scex n’est-elle pas un oratoire phallique mais un édifice religieux encastré dans la roche, au-dessus de Saint-Maurice d’Agaune où précisément j’ai pèleriné ce matin après avoir longé l’amont du Rhône qui a l’air en ces lieux d’une sauvage rivière d’Amérique.
Le sentier de la Chapelle du Scex s’amorce derrière la basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice où toute Anglaise même jeune sait que se trouve déposé l’un des plus précieux trésors de la chrétienté, dont le coffret mérovingien de Teudéric et le reliquaire de la Sainte Epine. On ne cesse d’ailleurs de penser au martyre du Nazaréen en gravissant l’imitation de son chemin de croix, qui serpente dans la falaise abrupte de quelque cent mètres dominant Saint-Maurice, sur la roche de laquelle des lycéens ont inscrit naguère en lettres blanches : VIVE CHAPPAZ.
Il faut alors préciser que Marice Chappaz, grand écrivain valaisan, fut conspué dans ces années par les notables et autres bourgeois du pays pour ses virulentes positions affirmées contre les promoteurs et autres prédateurs immobiliers, dans un pamphlet intitulé Les Maquereaux des cimes blanches. Hélas, l’inscription tend à disparaître, mais les lycéens de Saint-Maurice continuent de lire Chappaz avec le même entrain montré par la jeune Portugaise chargée par le curé de balayer ce matin les 444 marches conduisant à la Chapelle du Scex.
J’ai gravi ces 444 marches avec la satisfaction de ne pas en compter 666. Le triplement du 4, composé d’un mixte de trinité et du symbole de l’UN, est un bon chiffre, que je salue même si je ne pratique la numérologie qu’avec un grain de sel. Je n’ai pas la tripe ésotérique. Mon christianisme composite de fils de huguenots et de vieux-catholiques serait plutôt du genre chestertonien, surtout les jours de beau, avec une nuance évhémériste qui me fait intégrer plus qu’exclure, et sourire même si l’on dit que le Christ ne sourit pas, ce qui n’a pas été prouvé par A + B et ce que G.K. Chesterton, précisément, réfute de toute sa panse.
N’empêche qu’on ne sourit pas en remontant un Chemin de Croix. Celui de la Chapelle du Scex commence avec Pilate et finit au Tombeau. Jusqu’à la 200e marche, le Christ porte sa croix. Toute l’humanité en est affligée avec Lui. Ensuite c’est le supplice affreux, la croix, la mort et le retournement qu’on sait, ou plutôt qu’on ne sait pas : on est seulement prié de croire et voilà tout…
Ce qui est sûr est que la foi continue de s’agripper aux montagnes, comme le prouve la Chapelle du Scex à laquelle on parvient par une dernière volée de marches, les quarante les plus sévères, et qui repose sur une corniche étroite dominant Saint-Maurice.
Et que se passe-t-il là dans le minuscule sanctuaire ? Il se passe qu’une messe s’y achève pour une vingtaine de personnes de tous les âges dont un tout petit garçon turbulent. Le curé ne montre aucune impatience. A cette hauteur on est forcément détaché, semble-t-il. Il sait en outre que tout passe, sauf Dieu. A côté de la chapelle, ainsi, une vieille guérite tombe en ruine, qui servait jadis à la vente de cartes postales, du temps où la chapelle se visitait comme une curiosité, sous un autre pape. On croit que tout se perd, mais non : à la Chapelle du Scex, le tourisme a passé, tandis que la messe repique visiblement. Pour combien de temps ?
Pour ma part, je reste sur le seuil comme je me rappelle que Simone Weil et Léon Chestov sont restés sur le seuil, ces presque chrétiens sûrement mieux vus par Dieu, qui ne passe pas, que la plupart de ceux qui se flattent d’être du Bon Côté - mais il va de soi que je ne me compare en rien à ces deux anges de la pensée. Je ne suis capable quant à moi, à cet instant, que de ruminations moyennes. La preuve : voici que je me demande si j’ai mis assez de pièces dans le parcmètre de la Grand-Rue pour le temps de monter et redescendre les 888 marches du pèlerinage à la Vierge du Scex.
Post Scriptum: aux dernières information, il était question l'autre jour d'une nouvelle inscription peinte à grandes lettres sur les falaises surmontant l'abbatiale de Saint-Maurice: DIEU EST MORT. Après VIVE CHAPPAZ, la pauvre humanité y gagne-t-elle vraiment ?
A signaler enfin: que cette balade figure dans les 24 Itinéraires spirituels parcourus par Slobodan Despot dans son Valais mystique, publié en 2009 aux éditions Xénia.
Commentaires
Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? »
— Le Gai Savoir, Livre troisième, 125.
Redzipéter en volapück suisse romand: cafter en sabir néofrancilien. Mais le redzipet mal nommé est le plus que bienvenu avec des citations rétablies dans le texte original. Merci cafteur !
Il y a aussi le château de Seix (qui donne son titre au journal 1992 de Renaud Camus).