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Misanthropie à part

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Pourquoi j’aime J’aime pas les autres de Jacques A. Bertrand
Voilà : c’est le genre de phrases que j’avais envie de voir ce soir écrite : J’aime pas les autres. Cela me rappelle la première règle de nombreux clubs de garçons rebelles: autrui est un con. Le geste est crâne et tout de suite on se sent mieux : tout de suite on sent que la vie va filer doux.
C’est ce dont avait d’ailleurs besoin Jacques A. Bertrand: que la vie se tienne à carreau. Il avait commencé, raconte-t-il d’écrire J’aime pas les autres, puis il apprit, à l’automne 2006, qu’il aurait un autre combat à mener, contre lui-même, ou plus exactement contre un certain nombre de ses cellules en voie de prolifération inconsidérée. Or le combat contre lui-même n’est pas le fort du nonchalant auteur de L’Infini et des poussières et de La course du chevau-léger, plutôt du genre à se la jouer trois hommes dans un bateau, à l’anglaise mais en périssoire solitaire, avec un mot de Lao Tseu en guise de sourire, disant que « la gravité est la racine de la légèreté ». Et de se remettre alors à J'aime pas les autres par manière de thérapie radieuse...

Se dire qu’on n’aime pas les autres revient, pour moi, à sourire un peu mieux aux rares qu’on aime parce qu’ils ne nous rasent pas. Cela met en outre à l’aise par rapport à l’auteur d’une telle phrase, dont on sait qu’on n’aura pas à l’aimer autrement que sur le papier. Or sur le papier, Jacques A. Bertrand m’apparaît comme le plus aimable des interlocuteurs, malgré ou à cause de l’aveu de ses soixante ans, qui me fais le plaindre aussitôt puisqu’il est hors de question que, moi, je me l’avoue. Il a beau dire que « c’est l’âge bête » et de préciser que « c’est l’âge où vous êtes tenté de vous prendre pour quelqu’un », cela ne me concerne pas. D’ailleurs on vient de me le dire : tu ne les fais pas. Mes artères me le scient du matin au soir alors que mon âme est plus claire qu’à vingt ans, mais j’aime néanmoins lire cette phrase de ce traître de Jacques A. Bertrand : « Je me sentirai plus léger à soixante et un. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble ». Et d’enchaîner avec quelque chose que j’aime encore plus lire, même sous la plume d’un autre, tant je me sens cette fois concerné, comme on dit : « N’empêche qu’après tout ça j’ai vécu près de trente ans de bonheur. Oui. Ca ne se raconte pas, le bonheur. Il faudrait avoir énormément de talent pour raconter le bonheur. J’essaierai peut-être, à quatre-vingt-dix ans. On a plus de recul. Je dis : trente ans. C’est trente secondes. Ca file très vite, le bonheur ».
Et la phrase de Jacques A. Bertrand file vite aussi, à la vitesse du bonheur. Il raconte ici l’histoire d’un Anatole Berthaud, qui lui ressemble probablement comme Poil de carotte ressemble à Jules Renard. Cette histoire a autant d’intérêt que toutes celles des autres, sauf que les autres on n’aime pas. Là tout de même on aime Kit Carson et les réglettes volées puis rendues à l'épicière à tête de vache, on aime les dialogues entre parenthèses de Castor et de son Sartre, on aime les premiers émois du garçon déplorant que ces foutus autres le trouvent si gentil, on aime ces premiers flirts et on aime que cette vie qu’ont connue tant d’autres se dise de cette façon si singulière et sur ce ton si familier, mêlé déjà de nostalgie future, on aime le père instituteur et Georgia qui forcément fera plusieurs mariages avant de rencontrer le Suisse allemand de ses rêves - on aime cette chronique douce acide à la Calet mais avec sa calorie et ses mots à elle, on aime bien cet autre qui nous avoue à la toute fin qu’il a fini par trouver l’Autre en lançant du même coup, vu que ça ne regarde pas les autres, que « ce n’est pas du tout le sujet »…
Jacques A. Bertrand. J’aime pas les autres. Julliard, 123p.

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