Un Roman russe d’Emmanuel Carrère.
Immergé ces jours dans la frénésie de la phrase dostoïevskienne, après avoir repris la lecture de Crime et châtiment dans la traduction radicale d’André Markowicz (radicale en cela qu’elle prend littéralement la langue à sa racine), je me suis rappelé le reproche que j’avais fait à L’Adversaire d’Emmanuel Carrère à sa parution: de n’être pas, justement, assez abandonné à la frénésie intérieure de son sujet - autant dire de n’être pas assez russe…
Or voici que, me lançant dans Un roman russe, qui part en flèche dans un récit immédiatement captivant et surtout rythmé par une écriture à la fois plus physique et plus intimement tenue et teigneuse que dans L’Adversaire, je trouve illico cet engagement existentiel et ce défi d’un « tout dire » qui va chercher précisément, ici, le secret qui fait mal, au risque de faire mal à celle qui tenait précisément à la préservation de « son » secret – à savoir la mère de l’auteur.
On sait qui est Emmanuel Carrère et sa brillantissime académicienne de mère, mais on voudrait l’oublier en l’occurrence. On l’oublie en tout cas au début d’un récit-reportage qui nous amène très loin du Tout-Paris, au fin fond de la Russie actuelle, dans un asile psychiatrique que l’auteur compare à la terrible Salle No 6 décrite par Tchekhov, où un malheureux soldat hongrois capturé par les Soviétiques a passé les dernières années de sa vie avant d’être découvert et ramené en Hongrie comme un «héros» alors qu’il n’aspirait qu’à une vie retirée à la Walser après qu’on lui eut coupé la jambe et qu’on l’eût déclaré mort dans son pays…
Cette histoire triste parle de la Russie d’aujourd’hui et d’un homme perdu, mais c’est d’un autre paumé de l’Histoire que l’écrivain, revenu en France avec son équipe de filmeurs, va tenter de retrouver la trace, en la personne de son grand-père maternel, raté cultivé qu’attiraient les thèses fascistes et qui disparut en 1944, l’année même où le jeune Andras Toma fut fait prisonnier sous l’uniforme de la Wehrmacht - mais cela n’a aucun rapport n’est-ce pas ? n’était ce relent de Russie au cœur de Carrère, qui passe par son enfance et celle de sa mère et fouette son écriture d’un knout revigorant. (Lecture à suivre…)
Emmanuel Carrère. Un roman russe. P.O.L. 356p.
Commentaires
Mais pourquoi en parle-t-on autant?
Je ne doute aucunement du talent de l'auteur et il n'est certes pas responsable de l'haleine de chacal des médias qui se gargarisent de l'histoire "vraie" (et ce mot "vrai": une"vraie question", un"vrai bon film" etc....Ca sent/pue l'artificiel qui se pique de naturel, du faux-semblant halluciné de veritas. Bon mais ce n'est qu'une digression). Voilà ça gâche un peu mon plaisir de n'être pas censée ignorer la vraie histoire de l'auteur...Alors je retarde la lecture de son livre, je laisse le désir survenir.
Ce coup de gueule ne vous est pas destiné bien que je me sois pour cela immiscé dans votre espace.
Votre coup de gueule est bien naturel, sauf qu'il est dommage de juger d'un livre sur ce qu'il suscite dans les médias de trop ceci ou de trop peu cela. Jugeons pièce en main ou n'en parlons pas, après tout personne n'est obligé de lire ceci ou cela et vous non plus n'êtes pas censée connaître ceci ou cela si ça ne vous chante pas...