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  • Compères de blogs


    Quatre romans de Jean-Jacques Nuel, Raymond Alcovère et Joël Perino
    Les liens qui se tissent sur la toile sont moins hasardeux ou stériles qu’on ne pourrait se le figurer, même s’ils sont rares ou restent le plus souvent virtuels. Or la passion commune de la littérature aboutit parfois à de vrais échanges, comme j’ai eu le privilège de le vivre personnellement depuis quelques mois avec divers correspondants de qualité – tels Alina Reyes, Thierry Laus, Bernard Deson, Christian Cottet-Emard, un certain Ornithorynque aux proses fascinantes - et quatre livres reçus ont aussi prolongé maints propos croisés.
    Le premier, que m’a envoyé Jean-Jacques Nuel, et dont le titre est Le nom (éditions A Contrario), à la fois le plus ténu et le plus tenu dans sa forme, relève d’un paradoxe extrême, proche du minimalisme. Il y est effet question d’un écrivain qui remplit un livre entier de son seul nom. Or ce pari fou, dont on pourrait se demander si une nouvelle de trois pages ne suffirait pas à l’épuiser, l’auteur le relève en restituant à la fois le rituel de l’écriture, avec une sorte de respect sacré, les élans et les soupirs de l'homme de lettres dans notre drôle de monde, tout en brossant un très attachant (auto)portrait du protagoniste en homme sensible, dans ses relations (et ses non-relations) avec son entourage, et notamment son père. Ce livre simple et probe est celui, de toute évidence, d’un amoureux de littérature, attaché à la vérité des mots, à la musique de la langue et à une poésie douce-amère de la vie. Autant dire qu'on attend d'autres livre de sa firme...
    Tout récemment arrivé sur nos monts enneigés, de Montpellier où vit Raymond Alcovère, Fugue baroque (Editions, N&B, Prix de la Ville de Balma 1998) m’a également touché par le mélange de sensibilité poreuse et de vigueur qui caractérise cette évocation du désarroi d’un quadra, marqué par la perte de la femme de sa vie et sauvé de justesse par une jeune fille surgie à l’improviste, qui vit avec celle-ci, de vingt ans sa cadette, une virée à Naples (lieu par excellence du baroque ensauvagé à l’italienne, mais également d’un maëlstrom vivant très bien restitué) où il essaie de s’arracher à sa mélancolie. Or un retournement subit, à mi-chemin du roman, donne à celui-ci une perspective plus ample par la voix de la jeune voyageuse, dont la vitalité et la quête personnelle, mais aussi la fragilité juvénile, entrent en contraste avec la force sourde, mais fêlée, du protagoniste masculin. Bref, c’est également un livre marqué au sceau de l’authenticité que celui du compère Ray, avec un mélange de délicatesse et de faconde, de culture et d’empathie humaine qu’on retrouve tous les jours sur son blog.
    Joël Perino, qui m’a envoyé un irrésistible polar canocide et une fresque familiale pas piquée des charançons, est d’un autre tempérament, plus expansif, et pratique une écriture plus directe, avec quelque chose de débridé et de pourtant bien maîtrisé dans le rythme, qui doit quelque chose à maître Céline. Dans le genre policier jovial, Ophélie a du chien (éditions Le manuscrit) qui met en scène une pétulante jeune fliquesse punky, vaut à la fois par sa rapidité narrative et par son atmosphère de province sentant bon le Genevois (Joël vit à Saint-Julien), autant que par son thème en phase avec une psychose du moment, puisque le serial killer de l’ouvrage s’en prend à nos compagnons quadrupèdes. Mon compagnon Fellow, scottish de haut lignage (petit-fils d’un champion d’Amérique) en a froncé le sourcil, mais son maître s’est amusé. Joël Perino est un conteur et parvient à camper des personnages crédibles, dans un véritable espace romanesque. Plus ambitieuse cependant : la fresque déjantée d’ Eclats et pulsations (paru chez CyLibris en 2001), dans le genre famille je vous haime, qui raconte, avec une sorte de frénésie, les tribultaions d’une espèce de famille Deschiens à la puissance Dubout, si j’ose dire, dont le personnage central, bonnement horrifique, est une mère maudite que le narrateur s’affaire à matricider en 243 pages. Le résultat est étonnant de rageuse vitalité, tissé d'observatios percutantes ou pénétrantes, profus et un peu touffu tout de même, mais d’un écrivain qui a lui aussi la papatte, pour citer un certain Sollers…

    De gauche à droite: Jean-Jacques Nuel, Raymond Alcovère et Joël Perino

  • Bonnard et Bernanos


    De la douceur et de la douleur
    Le mot de douceur me venant par le nom de Bonnard me ramène au premier chapitre de Monsieur Ouine dont le peintre aurait pu dire tout le mystère, de la sieste de Monsieur Steeny, entre la Miss et sa Mère, à tout ce qui est ensuite évoqué de l’origine de la douceur de celle-ci, mêlée à la conscience tôt éveillée de la douleur.
    Le mystère est omniprésent chez Bonnard, consubstantiel à la vie même dont les éléments ne sont jamais noyés dans la pure couleur (ma réticence à l’égard des Nymphéas de Monet et de toute l’abstraction lyrique ensuite) car le dessin reste net et l’objet, l’objet cher à Cézanne mais ici vu et dit tout autrement, avec un abandon et des effusions de père de famille très nombreuse ou d’Eternel en retraite fumant sa clope en regardant sa terre « qui est parfois si jolie » non sans se rappeler l’affreuse mélancolie des enterrements d’enfants…
    Douceur, douceur, douleur, douleur, petit rongeur, notre cœur est un « petit serviteur trop fragile » mais même après la mort d’un père aimé et d’un époux gazé le 28 décembre 1916 le petit castor s’active là-bas dans la rivière où se baignent Michelle et  Monsieur Steeny son fils, alias Philippe, fils de l'autre Philippe - le petit rongeur obstiné grignoteur de secondes et de minutes et de siècles  dont le peintre dessine les papattes en pensant à tout autre chose, les yeux perdus dans les cent mille bleus de ce jour