De la douceur et de la douleur
Le mot de douceur me venant par le nom de Bonnard me ramène au premier chapitre de Monsieur Ouine dont le peintre aurait pu dire tout le mystère, de la sieste de Monsieur Steeny, entre la Miss et sa Mère, à tout ce qui est ensuite évoqué de l’origine de la douceur de celle-ci, mêlée à la conscience tôt éveillée de la douleur.
Le mystère est omniprésent chez Bonnard, consubstantiel à la vie même dont les éléments ne sont jamais noyés dans la pure couleur (ma réticence à l’égard des Nymphéas de Monet et de toute l’abstraction lyrique ensuite) car le dessin reste net et l’objet, l’objet cher à Cézanne mais ici vu et dit tout autrement, avec un abandon et des effusions de père de famille très nombreuse ou d’Eternel en retraite fumant sa clope en regardant sa terre « qui est parfois si jolie » non sans se rappeler l’affreuse mélancolie des enterrements d’enfants…
Douceur, douceur, douleur, douleur, petit rongeur, notre cœur est un « petit serviteur trop fragile » mais même après la mort d’un père aimé et d’un époux gazé le 28 décembre 1916 le petit castor s’active là-bas dans la rivière où se baignent Michelle et Monsieur Steeny son fils, alias Philippe, fils de l'autre Philippe - le petit rongeur obstiné grignoteur de secondes et de minutes et de siècles dont le peintre dessine les papattes en pensant à tout autre chose, les yeux perdus dans les cent mille bleus de ce jour