UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Politiquement incorrects

medium_Darwin.jpg

Du Cauchemar de Darwin au franc-tireur Peter Handke

Deux livres viennent de paraître, également intéressants, sans rien de commun apparemment sinon qu’ils dérogent au confort intellectuel des bien-pensants. Discutables ? Peut-être mais surtout : à discuter. De François Garçon : Enquête sur Le cauchemar de Darwin. De Peter Handke : Le Voyage en pirogue ou la pièce du film de la guerre.
Nul besoin de présenter Le cauchemar de Darwin : ce fut le choc du cinéma documentaire, ou supposé tel, de l’année 2005. Dans une fresque saisissante, ce film d’Hubert Sauper révélait le trafic monstrueux, typique du pillage du tiers monde, consistant à rafler de pleins avions de perche du Nil, poisson artificiellement implanté dans le lac Victoria, en Tanzanie ravagée par la faim et le sida, en échange d’armes destinées à alimenter les conflits de la région. César du meilleur premier film, nominé aux oscars, gratifié de recettes mirobolantes pour le genre, ce film est devenu « culte » pour nombre d’altermondialistes, entre autres, qui y voyaient l’exemple du manifeste « citoyen ».
Or voici qu’après avoir écrit, début 2006, un premier article dans Les Temps modernes  incriminant l’honneteté intellectuelle de ce film, et lançant une polémique suivie de plusieurs investigations (de Libération et du Monde, notament) sur le terrain, l’historien François Garçon, bon connaisseur du cinéma, s’est lancé dans une vaste enquête en Tanzanie sur les conditions de réalisation de ce film, révélant de drôles de procédés, pour parler gemtiment.
Une cause, estimée bonne, autorise-t-elle les manipulations et les falsifications au détriment de la réalité ? C’est ce que beaucoup ont semblé accepter de la part du cinéaste. Or l’enquête de François Garçon porte à penser que, loin d’aider les Tanzaniens, Sauper, se bornant à les utiliser de façon souvent douteuse, ne vise qu’à flatter la bonne conscience d’Occidentaux qui, de la Tanzanie réelle, se contrefoutent…
Sans prétendre détenir la vérité dernière, François Garçon ouvre un débat qui mérite d’être abordé sans hystérie, qui pourrait d’ailleurs s’étendre à l’objectivité prétendue d’autres « documentaires » à succès du genre de ceux de Michael Moore, ou, de plus sinistre mémoire, aux reportages scandaleux de la série Mondo cane de Jacopetti...
Revoyons-donc Le cauchemar de Darwin, lisons le livre de François Garçon et parlons-en en connaissance de cause…

medium_Handke.jpgGénocide platonique ?
Autre sujet de controverse : Peter Handke. Jugé d’avance par d’aucuns, sous prétexte qu’il a montré trop de complaisance envers les Serbes, Peter Handke, interdit de Comédie-Française pour les mêmes raisons, réapparaît aujourd’hui par le truchement d’une grande pièce de théâtre dont la guerre balkanique est le sujet, montée en 2005 au Burgtheater de Vienne, dûment fustigée par les médias autrichiens et donnée aujourd’hui en traduction à La Différence avec une longue non moins qu’excellente préface d’Eryck de Rubercy, sous le titre Le voyage en pirogue ou la pièce du film de la guerre.
« Le thème de cette pièce est difficile à définir », déclare Peter Handke lui-même dans les propos recueillis (en postface) par Chantal Meyer-Plantureux, « il ne s’agit pas que de la Yougoslavie même s’il y a des situations précises qui renvoient aux Balkans. Cette pièce pose des questions universelles : Où est mon pays ? Qui vit dans mon pays ? Est-ce vraiment mon pays ? A qui est ce pays ? Qui est mon ennemi ? Qui est mon ami ? Qui est mon voisin ? Evidemment, ce que j’avais sous les yeux, lorsque j’ai écrit cette pièce, c’était la Yougoslavie, ce pays malheureux. Pourquoi ne pas le dire, cette pièce, c’est l’expression de ma douleur… »
Comme l’indique son titre, ladite pièce met en scène… la mise en scène d’un film sur la guerre balkanique entrepris conjointement par deux grands réalisateurs occidentaux, l’Américain O’Hara (on pense à John Ford) et l’Espagnol Machado (on imagine Bunuel), dix ans après les faits. Le spectacle de la guerre, les multiples récits de la guerre (par le présentateur, le chroniqueur local, l’historien) et les multiples commentaires autorisés sur la guerre (notamment par les « internationaux » d’un tribunal spécial) s’entrecroisent dans une vaste et chaotique représentation que traversent d’autres personnages épiques (le coureur des bois, la femme en peau d’ours ou le poète) sur fond de tragédie dont les aboutissants relèvent toujours du pur gâchis.
Mais peut-on entendre Peter Handke ? N’est-il pas jugé d’avance ? Classé génocide platonique une fois pour toutes ?
En attendant qu’un théâtre ose relever le défi de monter cette pièce à la fois percutante et passionnante, osons au moins la lire, et parlons-en…
François Garçon. Enquête sur Le cauchemar de Darwin. Flammarion, 265p.
Peter Handke. Le voyage en pirogue ou la pièce du film de la guerre. La Différence, 141p.

Commentaires

  • En France, des auteurs passent plus de temps devant les tribunaux - virtuels ou bien réels - où critiques arrogants et groupes de pression, souvent mal informés, les convoquent régulièrement que devant leurs claviers ou leurs tables de montage. La France est le pays où chaque années des écrivains, des journalistes et des réalisateurs sont mis en examen par les sbires d'Anastasia. Dans cette étrange monarchie républicaine, un ministre peut faire interdire un livre, un film, une pièce. (Remarquez, à Genève aussi, notre khmer vert Patrice Mugny a ses crises de démangeaisons idéologiques : il avait censuré par la bande l'humoriste discutable et discuté Dieudonné en maniant des ciseaux que la droite n'avait plus osé sortir depuis les 1970's !) Cette étrange coutume très française - disons francophone - étonne toujours les anglo-saxons, les Africains, les citoyens de l'Est, etc. Il serait peut-être temps de laisser sortir la création contemporaine des casernes idéologiques dans lesquelles elle est enfermée depuis 50 ans, non ? (La grande époque des Temps Modernes quand les sartriens intimaient l'ordre aux écrivains de s'engager.) Les domaines de la production et de la diffusion d'objets culturels (livres, pièces, films, etc.) sont aujourd'hui gérés par des décideurs issus de la génération 68, pour résumer. J'ai parfois le sentiment que cette génération fait toujours une fixette sur des concepts vains que l'Histoire et surtout le bon sens ont sérieusement remis en question depuis 20 ans. Et puis, il est plus facile d'attaquer un Handke, un Littell, un Grass, un Dieudonné, etc. que de se poser la question de sa propre incompétence à lire son époque pour monter le procès des vrais dirigeants économiques, les responsables de l'état navrant de notre bonne vieille planète.
    Qu'on fiche un peu la paix aux créateurs, boucs émissaires faciles de toutes les incompétences contemporaines !
    Cordialement.

  • Cinq questions à François Garçon sur cette affaire

  • Merci pour la référence. J'avais l'intention de rencontrer François Garçon, mais comme le temps m'a manqué je suis d'autant plus intéressé par ses précisions...

Les commentaires sont fermés.