Les Arpenteurs du monde de Daniel Kehlmann.
Caracolant comme un cheval fou à deux têtes, que voici livre merveilleusement drôle, intelligent, de belle écriture et de tonique effet sur le métabolisme général de la lectrice et du lecteur. Le nom de son auteur, qui avait juste passé la trentaine à sa parution, est Daniel Kehlmann. Et son titre : Les Arpenteurs du monde.
Ce fut, dit-on alors, le plus grand succès littéraire allemand de ces dernières décennies. Plus d’un million de lecteurs, et le livre est en cours de traduction dans une trentaine de pays. Arguments publicitaires qui ne signalent pas, en l’occurrence, un engouement de masse douteux, mais bien plutôt la jubilation pétulante d’un million d’individus qui ont trouvé le même plaisir à trotter dans le sillage des deux savants fous réunis dans ce roman.
Les arpenteurs du monde raconte en effet la rencontre, en septembre 1828 à Berlin, de deux énergumènes intéressants, en les personnes du mathématicien Carl Friedrich Gauss et du naturaliste-voyageur Alexander von Humboldt.
Tout le monde connaît évidemment les observations de celui-ci au fond de la grotte amazonienne la plus profonde de la planète (on la dit en communication avec l’au-delà, mais la cartographie manque) où niche l’oiseau Guacharo. Et la courbe de Gauss n’a de secret pour personne non plus. Mais dès qu’apparaît l’horrible râleur qu’est le vieux Gauss, pestant d’avoir à se pointer à ce ridicule congrès de plaisantins naturalistes qui le convient dans la puante ville de Berlin, chaque lecteur va découvrir les merveilleux territoires séparant ce que « tout le monde sait » de ce que « chacun ignore », à commencer par le mal de dents atroce qui accompagna l’une des premières grandes découverts du mathématicien adolescent (lequel défrayait la chronique dès l’âge de 8 ans), ou les tribulations inénarrables qui marquèrent le voyage d’Alexander von Humbolt en Nouvelle-Andalousie amazonienne, entre mille autres sujets d’étonnement.
Tout le livre, commençant et finissant par la rencontre des deux illustres originaux, est en effet tissé par le récit alterné de leurs investigations respectives, l’un à mesurer et cartographier tout ce qui est mesurable et cartographiable en ce bas monde, du sein de sa mère aux volcans d’Equinoxie, et l’autre à chiffrer et computer mentalement tout ce qui est chiffrable et computable dans le cosmos et ses environs, exception faite de l’insondabilité abyssale de la niaiserie de son grand fils Eugène, si sympa au lecteur pourtant, et à la lectrice.
Bref, c’est un constant et polymorphe régal que ce livre rappelant le climat des dingues romantiques à la Jean-Paul Richter, à l’enseigne du plus gai savoir qui soit et sous un regard juvénile plein de vieille tendresse…
Daniel Kehlmann. Les Arpenteurs du monde. Traduit de l’allemand par Juliette Aubert. Editions Actes Sud, 299p.
Commentaires
Difficile de me donner plus envie de lire un livre que cet article. Engouement, gai savoir, littérature, mathématiques, deux originaux... et en plus je lis que:
"On compare déjà Kehlmann à Nabokov ou à Proust. Malgré un sujet on ne peut plus germanique, Les Arpenteurs du monde ressemble plutôt à “ce que Gabriel García Márquez aurait pu écrire s’il était né à Stuttgart”. Un roman latino-américain sur les Allemands et le classicisme allemand, en somme."
Non, non et non. Ce n'est ni nabokovien, ni proustien non plus du tout. Et rien non plus de Garcia Marquez à part la profusion végétale de l'Amazonie. Ce n'est d'ailleurs pas encore à ce niveau à tous égards. Kehlmann deviendra-t-il un écrivain du format de ceux-là ? On verra après dix. vingt autres titres. Pour le moment, cette folle fantaisie est très allemande, pas du tout latino-américaine; parce qu'il y a de la fantaisie délirante en Allemagne, chers Hexagonaux, lisez donc les livres de Jean-Paul, ou bien Anton Reiser ou Eichendorff. Et des satiristes enjoués, et des émules d'Eulenspiegel - oui je parle de celui-ci parce qu'il y avait de cette folie aussi dans le livre de mon ami Patrick Roegiers consacré au cousin de Fragonard. Mais n'allez pas chercher sous les palétuviers l'origine ou les parentés de ce talent...
Heu... On dirait que tu es en pleine forme Jean-Louis :-)
Le texte en question était publié dans le Guardian et réutilisé par Actes-Sud, même s'il est excessif il reflète l'enthousiasme du journaliste anglais.
Veux-tu me faire enrager avec ta pleine forme ? Je suis toujours à moitié cloué sur mon grabat, avec ma foutue patte folle, alors que le soleil n'en finit pas de monter et de descendre comme un ludion dans sa colonne d'azur. Les Anglais n'y connaissent rien en matière germanique, moins encore que vous autres Savoyards. Ceci dit tu vas adorer ce livre et tu verras qu'il n'a rien à voir avec Garcia Marquez. Ce n'est pas un livre moite mais un livre rutilant de jolies peintures comme un jouet d'enfant. Il a aussi un versant loufoque voire 'pataphysique mais là encore à l'allemande, enfin tu verras bien...
J'avoue connaître Gauss, ses courbes et diverses applications notamment dans les distributions, loi normale, etc... bien mieux que Von Humboldt. Un livre qui a l'air riche et que je vais aller voir de plus près encore ;)
Bonne journée et j'espère que vous irez vite mieux
Claire
Je l'ai lu. J'ai beaucoup aimé. Le Style, ces deux anit-héros presque antipathique. le regard de l'auteur à travers ses deux protagonistes. Je l'ai lu en allemand. Mais on m'a dit que la traduction en français laisse à désirer. Plus passionnant que Max Gallo dans le genre roman-historique.
Très different de Garica Marquez, beaucoup moins ou pas de tout pornographique.