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La noce à Gogol

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Le Mariage de Nicolas Gogol raconte l'histoire d'un notable russe presque trop vieux pour se marier mais qui en rêve sans cesser d'hésiter, et d'une fille de marchand prête à fermer les yeux sur la dégaine de son prétendant, pourvu qu'il soit noble.

C'est parce que cela se fait et pour échapper à la «dégoûtation» du célibat que Podkoliossine se fait tailler un noir habit de noce. Or la difficulté de l'entreprise le taraude, qui exige des bottes bien cirées; et comment épargner alors ses cors aux pieds? Lancinante question. Le premier dialogue du maître, trônant sur son canapé de fonctionnaire gradé (l'équivalent d'un colonel, mais sans épaulettes) et de son fidèle valet Stepan, est un régal immédiat: du pur Gogol ahuri et déjanté, ensuite relancé par l'arrivée de la marieuse Fiokla, vieille teigne que les hésitations de son client impatientent. Survient pourtant celui qui mènera le jeu: l'entreprenant Kotchkariov, mal marié lui-même par Fiokla et la chassant pour amener directement son ami chez Agafia, où se pointent cinq autres prétendants. Le défilé est cocasse, du jeune employé Omelette visant surtout la dot de sa future, à l'officier d'infanterie en retraite Anouchkine dont la promise doit parler français, en passant par le lieutenant de marine Jevakine, rangé des voilures mais resté coquin, ou enfin Starikov le marchand à jolie barbiche que la belle snobe au dam de sa tante qui pense qu'on doit se marier «dans son milieu».

En fin de course, et grâce à son ami entremetteur, Podkoliossine sera préféré aux autres pour sa délicatesse et sa modestie, mais c'est par la fenêtre qu'il s'enfuira in extremis, trop effrayé par la réalisation de son rêve. Sa valse-hésitation panique constitue le motif central de cette comédie à la fois caustique et tendre, brassant divers thèmes (le conformisme, la solitude, le vieillissement, la vanité sociale, etc.) et déroulant une épatante frise de personnages. Dans une traduction bien en bouche de Marc Semenoff, à quelques termes près (notamment un «salaud» excessif dans la bouche de Kotchkariov), la pièce n'a pas pris une ride en dépit de l'évolution des mœurs.

Il y a un style Kléber-Méleau, dont la réalisation de ce Mariage est l'un des plus beaux exemples. D'une clarté classique dans sa mise en scène et un décor tournant de Roland Deville dont la perfection artisanale caractérise aussi la maison, la réalisation vaut surtout par la lecture et l'interprétation, en pleine pâte et sans chichis esthétiques ou référentiels. Philippe Mentha est d'une parfaite justesse en Podkoliossine «oblomovien», à la fois sincère et sensible, raisonnable et pleutre. Son contraire viril, Kotchkariov, est magnifiquement campé lui aussi par Nicolas Rinuy, et Virginie Meisterhans n'est pas moins convaincante en jeune femme paniquant elle aussi à l'idée de rester seule et qui découvre que la noblesse peut être ailleurs que dans les titres.

Pour compléter une galerie de portraits sans défaut, Fabienne Guelpa donne un relief truculent à Fiokla; Lise Ramu est une tante-chaperon pleine de rude sagesse paysanne; Thierry Jorand excelle dans la figure massive et concupiscente de l'employé Omelette, autant que François Silvant en Anoutckhine style guindé dindon ou que Samy Benjamin en Jevakine à mollets de pintade et penchants lubriques; sans oublier enfin, plus russes que nature, Jean Bruno l'irrésistible serviteur et Michel Fidanza le marchand Starikov sorti des boutiques de Mirgorod. Autant dire: l'heureux hyménée d'un texte savoureux et d'une interprétation à l'avenant…

Lausanne-Renens. Théâtre Kléber-Méleau, jusqu'au 19 novembre. Durée du spectacle: 2h15. Ma-me-je, 19h. Ve-sa, 20h30. Di, 17h30. Relâche lundi. Réservations: 021 625 84 29

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