Un document à l’appui des Bienveillantes : Les SS de Guido Knopp
Heinrich Himmler: le bel Aryen à l'exercice...
Vient de paraître, quatre ans après sa publication en Allemagne, un ouvrage documentaire intéressant sur les origines, le développement, les crimes et les relents nostalgiques de l’organisation la plus meurtrière du Reich hitlérien : la Schutzstaffel, première garde rapprochée du Führer devenue avec les années, un Etat dans l’Etat totalitaire. Intitulé Les SS, un avertissmeent de l’Histoire, ce livre de Guido Knopp est à lire en marge des Bienveillantes de Jonathan Littell, pour mieux apprécier la projection romanesque de celui-ci et compléter, à certains égards, le tableau d’ensemble, notamment à propos des survivants, ou les portraits de certains protagonistes. Dès le chapitre d’ouverture, intitulé Un avertissement de l’Histoire, l’auteur donne raison au choix du protagoniste de Littell revendiquant sa qualité d’homme « comme les autres » :
«On trouvait dans les rangs de la SS un grand nombre de gens tout à fait normaux, issus de toutes les couches de la société. Loin d’être un bloc soudé et monolithique, c’était un organisme complexe et dynamique, qui ne cessa de se modifier durant ses vingt années d’existence. Les hommes (et les femmes) qui s’y étaient engagés étaient extrêmement différents. Certains étaient des « apôtres » qui accomplissaient au sein de « l’ordre à la tête de mort » une mission quasi religieuse. D’autres cherchaient à trouver leur compte dans l’arsenal de Himmler en essayant d’ignorer tant bien que mal ce qui leur déplaisait. D’autres encore voyaient dans la SS surtout une chance de faire carrière et, s’ils embrassaient officiellement les idées de l’Ordre noir, celles-ci leur étaient parfaiteent indifférentes au fond. Il y eut des intellectuels au chômage qui voulurent simplement considérer la Schutzstaffel (SS) comme l’unique possibilité de donner un sens et un cadre à leur vie. Et il y eut aussi, et pas uniquement dans les unités « têtes de mort », la lie de la société : des criminels, des asociaux, des assassins. Si, au début, l’ossature de la SS était constituée de vétérans de la Première Guerre mondiale rompus aux bagarres des salles de meetings, les représentants du « beau monde » ne tardèrent pas à venir en nombre grossir ses rangs après l’usurpation du pouvoir par Hitler. Himmler accueillit des sociétés entières, comme le « Club des Maîtres cavaliers » ou la « Ligue de Kyffhäuser ». Au niveau supérieur de la hiérarchie SS, on trouvait un nombre important d’aristocrates. Dans les services services secrets et les services économiques, on employait des universitaires et des représentants des professions libérales. Des officiers de l’armée y furent enrôlés pour former les recrues de la Verfügungstruppe, le cœur de la future Waffen-SS. Par ailleurs, Himmler octroya des « grades d’honneur » à des centaines de capitaines d’industrie, de diplomates, de fonctionnaires. Au sein de la SS, on trouvait des princes allemands aussi bien que des paysans du Palatinat qui participèrent au génocide des juifs en devenant gardiens dans les camps de concentration.
« Conclusion : la SS était le reflet exact de la société allemande. La plupart de ses membres étaient des gens tout à fait ordinaires qui, dans des circonstances tout à fait particulières, devinrent parfois des criminels de guerre, parce qu’un Etat criminel les y avait encouragés. Lorsqu’un Etat décrète que le fait de tuer, même s’il s’agit d’un acte dur et inhumain, sert un objectif élevé et « bon », les barrières de la morale s’avèrent trop fragiles pour éviter que des centaines de milliers de personnes ne se comportent comme des criminels. Une grande partie de ceux qui le firent ont agi sans avoir conscience de faire le mal.
« La morale de l’histoire est la suivante : nous aurions tous pu devenir des assassins. Le danger survient à partir du moment où un Etat criminel rompt les barrières qui séparent le bien et le mal. La nature humaine, livrée à elle-même, est faible. Nous avons tous, cachés au fond de nous, un Himmler et un Mengele, un Eichmann ou un Heydrich. Chacun de ces hommes, en d’autres circonstances, aurait mené une vie tout à fait ordinaire, serait resté un citoyen annyme. Himmler aurait peut-être exercé le métier de professeur, Heydrich celui d’officier de marine ; Mengele aurait peut-être été pédiatre.
« Il serait inconsidéré d’avoir toute confiance en la moralité de l’humanité, qui est versatile et fragile. Un Etat libéral régi par des normes et des lois claires, reposant sur une société respectueuse de la dignité humaine, sera seul capable d’empêcher efficacement que le bien ne se transforme en mal dans l’Histoire. L’émergence d’un Etat criminel capable de donner naissance à une organisation comme la SS doit ‘être rendue impossible. C’est dans cette mesure que l’histoire de la SS est avant tout une mise en garde de l’Histoire ».
Ces lignes sont à méditer par ceux qui taxent Jonathan Littell de complaisance à l’égard d’un personnage hautement significatif, autant dans sa normalité que dans ses perversions, qu’il se borne à décrire de l’intérieur, comme il décrit toute une société basculant dans le consentement au crime planifié. Le livre documentaire de Guido Knopp, assorti de nombreux témoignages et de photos – comme le film Shoah de Claude Lanzmann – est-il plus à même de signifier la peste totalitaire que Les Bienveillantes ? A vrai dire l’un et l’autre, à des degrés de profondeur incomparables, font désormais partie de notre mémoire.
Guido Knopp. Les SS. Un avertissement de l’Histoire.Traduit de l’allemand par Danièle Darneau. Presses de la Cité, 439p.