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L’empire d’une passion


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Entre Lausanne, Paris et la Pologne, Vera Michalski développe, à l’enseigne de Libella, un groupe éditorial de plus en plus influent, regroupant Noir sur Blanc, Buchet-Chastel, Phébus, Maren Sell et Anatolia. Rencontre.

L’éditeur parisien Jean-Pierre Sicre, qui lui en veut férocement… d’avoir sauvé Phébus, sa maison littéraire au prestigieux catalogue, l’appelle « la femme à la hache ». Vera Michalski « tueuse » ? L’appellation cadre mal avec le style et les choix de la co-fondatrice des éditions Noir sur Blanc, crées à Montricher en 1986 avec son mari polonais Jan Michalski pour jeter un pont vers ce qu’on appelait alors l’Autre Europe. De la même façon, le qualificatif de « riche héritière », que d’aucuns ressassent pour minimiser son mérite en rappelant son lien familial avec l’empire Hoffman-Laroche, ne saurait éclipser l’exigence intellectuelle et littéraire qu’ont fait valoir les Michalski en élaborant le catalogue de Noir sur Blanc avant de racheter les légendaires éditions Buchet-Chastel (où parurent Henry Miller, Lawrence Durrell ou Roger Vailland) et de les revitaliser complètement, sauvant en outre Phébus de la faillite et accueillant tout récemment la collection Anatolia de Samuel Brussell.
Entre ses bureaux de Lausanne, la parisienne rue des Canettes où une cinquantaine de personnes collaborent à Buchet-Chastel, Varsovie et Cracovie où deux établissements publient les auteurs occidentaux en traduction (de Cendrars à Bouvier, en passant par Naipaul ou Eco), et la meilleure littérature polonaise, Vera Michalski « règne » en déléguant volontiers, tout en gardant la haute main sur la gestion et les choix décisifs. Ainsi est-elle en train de lire elle-même Les Bienveillantes de Jonathan Littell pour décider si, oui ou non, elle en assumera l’édition polonaise. Autant dire qu’elle reste très attentive à l’actualité littéraire internationale.

- Que vous inspire la pléthore de la rentrée française ?
- J’estime qu’elle signale, malgré tout, la vitalité de la lecture autant que la propension à s’exprimer. Evidemment, je compatis avec les libraires, mais je pense que cette profusion reste positive. Cela étant, à la dernière rentrée de printemps, les chiffres ont été très mauvais dans l’ensemble de l’édition sur mai et juin parce que le public s’est focalisé sur certains titres, comme le Da Vinci Code, et cela n’est pas bon.
- Qu’est-ce qui vous pousse à faire de l’édition ?
- C’est une des métiers les plus captivants qui soient. Je reste fidèle à l’option que nous avions formulée avec mon mari dès le premier catalogue de Noir sur Blanc : découvrir de jeunes talents et rendre justice à des auteurs injustement oubliés. D’abord focalisés sur la Pologne et la Russie, nous avons élargi notre aire. Du vivant de Jan, il nous manquait ainsi l’ouverture à la littérature française. D’où l’idée de faire revivre Buchet-Chastel. Notre intention était surtout d’en relancer la partie littéraire en faisant appel à des gens compétents, notamment Pascale Gautier qui a donné une « ligne » claire à sa collection , avec des auteurs tels Cookie Allez, Philippe Ségur ou Philipe Lafitte. Nous avons également repensé la non-fiction, avec de la géopolitique et de la philosophie, des essais, des biographies de musiciens et de la poésie, ainsi que la série des Cahiers dessinés, que dirige Frédéric Pajak, qui me tient très à cœur et où vont paraître un ouvrage de Pierre Alechinsky et les dessins de Dürrenmatt. Enfin, j’ai été ravie de publier Robert Littell, le père de Jonathan, dont le roman consacré à la CIA, La compagnie, a été un succès.
- Comment avez-vous vécu la campagne de dénigrement de Jean-Pierre Sicre vous traitant d’ambitieuse tyranique ?
- Jean-Pierre Sicre est un grand éditeur et un piètre gestionnaire, c’est connu. Après que nous avons renfloué sa maison en difficulté, il m’a demandé lui-même de la racheter, en pensant qu’il pourrait continuer d’agir à sa guise. J’aurais aimé qu’il reste jusqu’à sa retraite, en ce mois d’octobre précisément, mais il s’est comporté d’une façon telle, en pratiquant les calomnies et la menace, que j’ai été obligé de m’en séparer et de le remplacer. Ce qu’il aurait aimé, c’est qu’on paie et qu’on se taise. Il nous a d’ailleurs longtemps considérés comme ses « banquiers suisses », avec une morgue humilmedium_Czapski8.JPGiante. J’ai pourtant gardé la confiance de Daniel Arsand, directeur de collection, et ma nouvelle directrice, Helène Amalric, travaillera dans la continuité du catalogue de Phébus. Sicre n’est pas le premier « fondateur » à mal vivre la fin de son aventure !
- Jusqu’ou pensez-vous vous développer ? Visez-vous d’autres acquisitions ?
- Non : je crois que nous avons atteint, aujourd’hui, une dimension qui correspond à mes possibilités. Mes moyens financiers me donnent la chance de faire ce que j’aime, et je n’ai de comptes à rendre à personne, mais je ne fais pas de mécénat pour autant. J’aime que des lmedium_Czapski70001.JPGivres difficiles à vendre, malgré leur qualité littéraire, soient « aidés » par des ouvrages de plus large intérêt public. Je ne suis pas contre les « coups » éditoriaux, mais ce n’est pas ma priorité. En fait, je continue à faire de l’édition comme j’y suis venue avec Ian, par goût, par curiosité, par plaisir et en essayant de propager cette passion.

Joseph Czapski. Proust contre la déchéance, premier livre paru à l'enseigne de Noir sur Blanc, en 1987.

Cet entretien a paru dans l'édition de 24Heures du 4 octobre.

Portrait photographique de Vera Michalski: Florian Cella.

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