Entretien avec Alina Reyes
Alina Reyes, dont le talent fut révélé en 1988 par Le boucher, et qui a publié depuis lors plus d’une vingtaine d’autres ouvrages, conjugue l’érotisme et la littérature avec un bonheur rare, mélange de délicatesse hardie, de poésie et de malice aussi. Le dernier exemple, étincelant, nous en est donné par Le carnet de Rrose, petit livre de 69 séquences en 69 pages (si,si) très denses, parfois très crues mais néanmoins pleines de grâce. Echo d’une rencontre à Paris, dans la lumière de la place Saint-Sulpice.
- Quel a été le déclencheur du Carnet de Rrose, et quelle place particulière ce livre tient-il dans la suite de vos écrits ?
- De temps en temps, j'éprouve le désir d'écrire un livre purement érotique ; c'est le motif, comme on dit en peinture, qui m'inspire le mieux, me donne le plus de plaisir et pour lequel sans doute je suis le plus douée. J'étais très contente du précédent, Sept nuits, écrit en sept nuits dans une parfaite solitude comme je l'aime - cette fois-là je logeais dans des bureaux vides qu'un ami m'avait prêté à Paris, dormant sur le canapé parmi des tas d'ordinateurs éteints et sous une verrière qui laissait entrer tout le ciel. J'ai eu envie de refaire un livre très court, encore plus court, encore plus condensé, tout en trouvant une nouvelle formule pour m'approcher au plus près de la vérité. Rien n'est plus artistique et excitant, pour l'esprit comme pour le corps, que la simple vérité, mais c'est justement le plus difficile à atteindre. Pour l'érotisme en particulier les auteurs sont toujours tentés d'en « rajouter » beaucoup, multipliant les exploits ou les situations extraordinaires, le nombre de partenaires etc. Tout cela ne dit au final qu'une chose : la difficulté à jouir (ou à écrire, cela revient au même), qui entraîne à la surenchère ou bien à la destruction du sujet. Ce Carnet de Rrose est le livre qui m'a le plus coûté en vérité, c'est le seul d'ailleurs que je n'ai pas encore osé offrir à mes fils aînés. Il m'est arrivé d'être beaucoup plus obscène ou violente dans mes écrits, mais la fiction justifiait l'affaire. Ici on est dans un registre cru compensé par une très grande douceur, il n'empêche que c'est moi au plus près, d'où ma pudeur quand il s'agit d'offrir ce livre. Pourtant je l'aime encore mieux que le précédent : le désir désespéré de parvenir à peindre une rose, qui était celui de la narratrice de mon premier roman Le boucher, j'ai le sentiment de l'avoir assez bien satisfait, de sentir de près le parfum du réel.
- Comment travaillez-vous ? Quelle place l’écriture occupe-t-elle dans votre vie ?
- Toute la place. Je ne fais que ça, même si bien sûr à 99% du temps ça se passe dans ma tête. J'ai deux enfants à la maison, je dois donc m'adapter à leur rythme et au rythme scolaire pour trouver le temps du travail, c'est-à-dire du silence. J'y arrive assez bien, notamment en me réservant toutes mes soirées. Autant à Paris que dans ma grange des Pyrénées c'est ce dont j'ai besoin avant tout, silence et solitude.
- Avez-vous le sentiment d’être « classée » dans le rayon érotique, et cela vous gêne-t-il ?
- Oui bien sûr je suis "classée", c'est une tare du temps, tout doit être à sa place, c'est flagrant en librairie ou les rayons sont de plus en plus spécialisés. Autrefois on me trouvait au rayon de littérature générale, maintenant même mes livres de littérature générale sont au rayon érotique. D'un autre côté c'est un beau défi de penser : vous aurez beau faire, vous ne m'aurez pas, et je continue, plus que jamais, d'écrire à ma guise, dans tous les "rayons" à la fois, et puis vous allez voir ce que vous allez voir !
- De quels auteurs vous sentez-vous proche ? Les auteurs érotiques vous intéressent-ils plus que d’autres ?
- « Auteurs érotiques », cela n'a pas grand sens il me semble. La seule distinction qui me paraisse intéressante n'est pas celle des genres mais celle qui consiste à lire en se demandant ce qui est littéraire, et pourquoi, et ce qui ne l'est pas. Je suis une grande lectrice et depuis longtemps, souvent depuis l'adolescence, je vis avec Nietzsche, Rimbaud, Kafka, Artaud entre autres. Cette année j'ai été très admirative du dernier roman de Houellebecq, La possibilité d'une île, j'ai beaucoup aimé aussi les derniers livres de Haruki Murakami et de Bret Easton Ellis, entre autres. La littérature au niveau mondial se porte très bien, voilà la meilleure nouvelle.
- Comment ressentez-vous l’érotisation actuelle à toutes les sauces, de la publicité aux médias, et le déferlement de pornographie qui s’observe notamment sur internet ?
- Comme une raison supplémentaire de ne pas abandonner l'image de notre corps et de notre sexualité à l'industrie, à la publicité, au porno en général, ce serait dramatique. J'apporte ma pierre blanche comme je peux, en montrant autre chose, quelque chose qui comporte du sens et de l'amour, voire une possibilité de transcendance.
- Qu’avez-vous essentiellement envie de transmettre, en tant qu’écrivain ?
- La vérité, par le moyen de la poésie. Je n'y suis pas encore, mais j'y travaille. Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus mensonger, face au mensonge de masse jamais nous n'avons eu autant besoin d'expressions de vérités personnelles. Ce seul objectif doit suffire à créer une oeuvre, avec tout ce qu'elle peut avoir de révolutionnaire tant sur un plan politique que sur un plan poétique. Je voudrais dire à chacun : vivez en esprit de poésie, et vous changerez, nous changerons le monde !
- Quel rapport y a-t-il, selon vous, entre érotisme et sacré ?
- Les deux sont indissociables. Et indissociés dans toutes les religions, d'ailleurs. L'érotisme c'est l'origine, et l'origine le sacré. Nous vivons un temps violemment déspiritualisé, les religions agonisent ou sont instrumentalisées par la politique, de même que les corps humains sont instrumentalisés par le commerce (publicité, industrie du porno, trafic d'êtres humains, industrie de la fringue et de la beauté), la technique (médecine, chirurgie esthétique, trafic d'organes), la politique (corps des sportifs et des kamikazes). La pornographie, c'est-à-dire la marchandise, est partout, mais en réalité il n'y a presque plus d'érotisme, parce que l'érotisme demande de l'esprit. Ce que nous pouvons nous offrir de mieux est gratuit, c'est la conquête de l'esprit et de l'amour.
Parole d’origine
L’idée géniale du r doublé, suavement roulé comme à la russe ou à l’orientale, mimant le rugissement d’un petit fauve tapi ou le ronflement d’un minuscule rotor (toutes images d’ailleurs à venir dans l’évocation de cette « mécanique d’une femme »), ce double r très doucement enragé suffit à distinguer le nom de Rrose, dont on lit ici le Carnet, de la fleur du poète. Comme les enfants naissent dans les roses, la rrose, elle, est ce qui fait naître ici l’écriture d’Alina Reyes, figure individualisée de L’origine du monde selon Courbet, sexe féminin vécu et dit comme est vécu et dit le sexe masculin assimilé à une tige.
Si «tige » et « trésor » font plus joli que la b… et les c… ordinaires, Alina Reyes ne se gêne pas pour autant d’utiliser les mots requis pour dire son plaisir de se branler ou de branler ses huit jules sauf un, sa plus troublante passion platonique. Oui, le sexe, écrit et décrit tel qu’il est, reste cru. Mais rendu à lui-même il contient aussi toute la vie possible, et c’est la grandeur de ce petit Carnet de Rrose de l’illustrer avec une sensualité qui est d’abord celle d’un style parfait, puis avec une malice mutine, une gourmandise rabelaisienne au meilleur sens du terme, une tendresse aussi, une profondeur enfin qui s’ouvre à l’entière Création belle et bonne.
Alina Reyes, Carnet de Rrose. Robert Laffont, 69p.
A consulter aussi, son blog littéraire : http://amainsnues.hautetfort.com/
Cette publication constitue la version complète de l’entretien paraissant dans 24Heures le 6 juin, avec un portrait de Florian Cella.
Commentaires
Ce titre : "Carnet de Rrose", m'évoque fortement le célèbre pseudo de Duchamp... "Rrose Sélavy".
Mais ce n'est certainement pas un hasard de la part d'Alina.
Pour ma part, j'ai découvert "Le boucher" il y a quelques jours seulement, en flânant chez un bouquiniste... Mais ça non plus, ce n'est sûrement pas un hasard !
Eros c'est la vie, dans la splendeur de l'Aurore aux doigts d'Eros !
merci merci...
Rrose selavy, c'est aussi un poème de Desnos, Lydia!:" Rose aisselle a vit.
Rr'ose, essaie là, vit.
Rôts et sel à vie.
Rose S, L, have I etc..."
Ce chien a des dons, il faut lui donner un nonos.
Un très beau livre, oui. L'amour beau et propre, l'écriture sans facilités.
... Mais pourquoi ce livre me semble-t-il un peu mélancolique? Comme l'était Le Boucher, d'ailleurs. Quelque chose dans le ton?...
J'AIME... 'hé... vit d'amant' !
NOUS AIMONS toutes et tous, ici, en notre lieu virtuel, où les sujets traités (jamais maltraités) touchent bien plus 'le Réel' que la douce évanescence - si peu décadente, si doucement monopoliste et tellement 'capital'e - de nos fantasmes inassouvis.
Dès Dimanche de nuit, vous serez sur notre Site, et ce sera pour notre plus grande JOIE... DE VIVRE et de... continuer LE COMBAT ! ;-)
Rrose. Le premier livre de la pile avait été bien "feuilleté" dans la maison de presse de mon quartier. J'ai "courageusement" acheté ce livre, sous les yeux de quelques foutriquets désapprobateurs. Enchantée, j'ai offert ce livre à un ami un peu surpris tout de même . J'espère qu'il en aura fait bon usage.
Rrose ronronne toujours dans le souvenir de ceux qui ont feuilleté ce saint opuscule. Le chien ne tolère la chatte qu'à ce degré de qualité. Mais où Diable Alina a-t-elle foutu son camp, pour parler comme le scout glabre ? Telle est la question que je ronge comme un os de regret... Alina, where are yooouuu ?
Je suis là, Fellow. Toujours !
Waoooow ! Voici reparaître la fée de la Forêt profonde. Bonheur à elle et aux Bieheureux qu'elle honore de sa rrose...
Je me joins à la réjouïssance, cette forêt profonde a l'air bien belle si l'on en croit les extraits, toute infusée de poésie continuelle, comme les récents messages à la volée sur le site-antre de la Sibylle - ça fait un peu lichave de dire ça Fellow, je sais, mais je le pense sincèrement et je me tape des petits p(h)arisiens, des "QuieroSer", qui viendont contempter mes effusions sous prétexte que seuls eux devraient en être l'objet...
Personne ne va te contempter ici, charmant animal transformiste: tu sais que nous veillons à l'Accueil polymophe et que la Béatificque et moelleuse Alina est l'un des vestales de notre Temple en plein air, côté sylve à faunes...
OO, Fellow, vos amo !
Je découvre cet auteur... entretien réjouissant.