Dans le TGV, ce dimanche 19 mars. – La nuit tombe sur la Bourgogne tandis que nous rentrons de Paris, où nous avons fait quelques bonnes rencontres et découvertes, L. et moi. Vendredi soir, ç’a été, pour commencer en beauté, un entretien avec Tzvetan Todorov, à propos de son dernier livre, Les aventuriers des l’absolu. En une heure et demie, nous avons évoqué sa trajectoire personnelle et ses positions, par rapport au culte de l’art, à l’antinomie romantique opposant création et vie quotidienne, et aux séquelles de l’esthétisme d’un Mallarmé dans la littérature française contemporaine, qui m’ont beaucoup intéressé. Tzvetan est un honnête homme, dans la meilleure acception du terme, et j’y ai repensé le lendemain en visitant la superbe exposition consacrée aux Lumières, à la Bibliothèque nationale, dont il est le commissaire.
Ensuite il y a eu ce moment hors du temps que nous avons passé chez Monsieur Bonnard, dont la grande exposition actuelle du Musée d’art moderne n’est pourtant pas du genre que je préfère, s’agissant de ce peintre qui m’est si cher. De fait, il y a là quantité d’immense tableaux alors que je n’en voudrais qu’un à la fois et loin de la foule.
Or c’est à cela justement que nous convie Alain Cavalier dans le film qu’il a consacré au seul Nu dans la baignoire où Marthe semble reposer dans un sarcophage de lumière violine et mordorée. Nous en avons regardé la vidéo sur grand écran, assis par terre dans la salle bondée, tandis qu’un vieil infirme en chaise roulante maugréait que ce cinéaste, bougeant sans cesse avec sa caméra, ne savait pas filmer; et c’était amusant d’entendre l'impotent ronchon vitupérer pendant qu’Alain Cavalier continuait de caresser du regard le corps de la jeune fille et de détailler, de sa voix toute douce, la pluie d’or se répandant sur le visage à peine visible ou l’échappée qu’ouvre le rectangle tout bleu de la partie gauche du carrelage, au-dessus de la baignoire débordant des ses limites comme une mer en allée.
Il va de soi que le filmage, pas plus que la reproduction sur papier, ne rendent l’essentiel de la peinture, et surtout chez Bonnard, qui veut qu’on la hume de tout près et qu’on détaille de l’œil, d’encore plus près, le brasillement de couleurs et sa matière si fine et si dense, si légère aussi, comme de l’écume de salive d’ange...
Après cet enchantement radieux et mélancolique à la fois, se tasser la cloche chez Francis et finir la soirée au Tennessee en compagnie de Johnny Cash, dans le film Walk the line, ne marquait pas une rupture mais une suite ponctuée de visages et de musiques nous ramenant à cette bonne vie quotidienne que nous aimons nous aussi avec L…
Jusqu'a ce midi, dans l’affreuse cafétéria du Salon du Livre où j’avais à rencontrer encore le Djiboutien Abdourahman Wabéri, nous restions sous le charme de Bonnard en nous demandant ce qu’il aurait rendu de cet entassement de gens fatigués autour de ces tables hideuses, dans la lumière crue et les couleurs criardes…
Pierre Bonnard, Nu dans la baignoire, 1936-1938. Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Commentaires
Super; mais faut avoir les moyens...