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La pêche au vif

Avec Ne pousse pas la rivière, son sixième roman dédié à Jim Harrison, Jacques-Etienne Bovard donne son meilleur livre à ce jour.

Lorsque Philippe Sauvain, romancier quinquagénaire solidement établi, commence, dans la touffeur de fin juin 2003, de jeter des notes sur un cahier, il ne se doute pas que la vie a commencé de lui dicter un nouveau roman. En séjour chez le richissime banquier lausannois Maximilien Reuth, qui l’a accueilli avec deux autres compères (Petit- Bouilli le génie de la cuisine et Vuille l’écolo facteur de clavecins) dans sa demeure de Clairvaux-sur-Loue, non loin d’Ornans, afin de se livrer à la pêche à la mouche et de partager bonne chair, bons vins et « soirées d’art » vouées à la musique ou la lecture, il se trouve en pleine confusion mentale et sentimentale alors même qu’il devrait jouir de ce coin de paradis. Son désarroi tient au fait qu’un meurtre vient d’y être commis sur la personne de la jeune Vivianne Lhomme, 21 ans, protégée du maître de maison et retrouvée nue, probablement violée et étranglée, dans les eaux de la Loue. Immédiatement soupçonné et interrogé par la police, Max a été provisoirement rendu à ses amis, lesquels restent pourtant perplexes, à proportion de son attitude pour le moins ambiguë.
C’est à ce moment précis du retour de Max, qu’il observe tout en (se) racontant leur rencontre et leur amitié, que le romancier se met à « construire » ce qui va devenir son vrai roman, tandis que son projet de récit historique inspiré par L’enterrement à Ornans de Courbet tourne court. Imaginant d’abord un scénario plausible d’homicide accidentel dont Max, par dépit amoureux, se serait rendu coupable, Philippe Sauvain ne tarde à être rattrapé et dépassé par la vie même. Max devrait baisser le nez, au lieu de quoi le voici traiter ses amis de faux culs, flairant leur défiance. Et de leur rappeler les joies de la pêche… Cynisme ou provocation ? En fait, à mesure qu’il développe, sur le papier, le portrait d’un Max à la fois dominateur et fragile, artiste raté et poète de la vie à sa façon (il sent et distingue merveilleusement le vrai et le faux en musique, en littérature ou en amitié), narcissique et violent mais aussi blessé et cassé, tenu pour un despote par son entourage et ses femmes successives et cependant hypersensible et généreux, le Max en train de vivre les suites de l’ «affaire», au milieu de ses amis, apparaît simultanément au lecteur dans les lumières et les ombres mouvantes de ces jours plombés par la chaleur. Et la vie devient art, comme les truites montées des profondeurs deviennent figures mythiques à certaines heures, ou comme les moires de la Loue à sa source se transmuent en tableau sous le pinceau de Courbet.
Bilans existentiels
La rivière, symbole de vie où l’on repêche une jeune morte à la troublante blancheur ; l’innocence du poisson qu’on traque de tout son art pour le relâcher conformément à la doctrine chevaleresque du no kill ; la noblesse rêvée de l’amitié virile et ses petites trahisons « trop humaines » ; la force des mecs réunis « sans femmes » et qui se découvrent mutuellement si vulnérables; l’imagination romanesque qui se faisait tout un cinéma quand le fait divers le plus trivial scelle une tragédie ; enfin quatre hommes dans le même « bateau » confrontés à leur cinquantaine : tels sont les thèmes antinomiques et entrelacés que Jacques-Etienne Bovard, avec une porosité jamais atteinte jusque-là, et un pouvoir d’expression renouvelé, traite avec autant de poésie réaliste (à l’école de Maupassant) que de symbolisme lyrique : ainsi la relation de l’homme et de la nature selon Hemingway revit-elle ici dans une scène de pêche d’une formidable densité émotionnelle et plastique, où la beauté du geste fait la pige à la mort…
Jacques-Etienne Bovard. Ne pousse pas la rivière. Campiche, 305p.

Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 7 mars 2006.

Commentaires

  • Enfin ! Depuis "Le Pays de Carole" en 2002, Bovard ne nous avait plus rien donné à nous mettre sous la dent. Finalement, il aura bien fait de prendre son temps, puisque je vous rejoins complètement, Jean-Louis : ce roman est son meilleur à ce jour. Après avoir lu "Les beaux sentiments", je pensais qu'il ne serait pas possible de faire mieux. Je me trompais.

    Décidément, voilà un auteur que je ne me lasse pas d'admirer !...

    Vivement le prochain... Patience...

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