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Notes en courant


Autour de La possibilité d'une île, de Philippe Sollers et de Frédéric Pajak...

C’est à une superbe analyse de La possibilité d’une île que Philippe Sollers se livre dans le dernier numéro de Ligne de risque, où il prend bien soin de présiser tout ce qui le distingue, lui le nietzschéen au pied-léger, du schopenhauerien qu’est à l’évidence Houellebecq, mais en multipliant les observations pertinentes et somme toute généreuses, malgré les piques. On retrouve d’ailleurs celles-ci dans le nouveau roman de Sollers, Une vie divine, dont les soixante première pages sont assez épatantes et relèvent nettement plus du vrai roman qu’à l’ordinaire, même si le protagoniste est le même éternel libertin que nous connaissons et qui développe ses vues en coachant une élastique Ludi et diverses autres dames aux silhouettes non moins joliment troussées.
Cela étant, Sollers charrie lorsque, comparant Houellebecq et Bret Easton Ellis dans Ligne de risque, il réduit celui-ci à un « simple ludion de marché », une « figure pour magazines ».
A-t-il lu sérieusement Lunar Park ? Cela m’étonnerait. Evidemment l’auteur américain est peu philosophe, mais je le trouve, pour ma part, plus romancier que Michel Houellebecq et surtout que Philippe Sollers. Comme il en va de Houellebecq pour beaucoup de critiques, l’image médiatique de Bret Easton Ellis fausse probablement la donne, mais que cela a-t-il à voir avec la substance de ses romans et particulièrement du superbe dernier, tellement plus pénétrant et inventif qu'American Psycho ? Ce qui est sûr à mes yeux, c’est que la substance romanesque de Bret Easton Ellis est organiquement beaucoup mieux « tenue ensemble », et vivante et libre, comme sont vivants et libres tous ses personnages, y compris sa propre projection, que la substance des essais-romans de Philippe Sollers, dont la somptueuse prose (réellement étincelante dans ce nouveau livre, vive et radieuse) et l’intelligence hypercultivée (et hyper-étalée) ne font pas illusion, à mes yeux, sur le côté complètement plaqué de la dramaturgie romanesque à proprement parler, le temps, les lieux, les couloirs de la mémoire et du sentiment, bref ce rêve éveillé du roman qu’est précisément Lunar Park et, aussi, dans une toute autre tonalité, La possibilité d’une île, et que n'est sûrement pas Une vie divine...
On sent évidemment, dans les pages d’Une vie divine, la pointe de jalousie que Sollers éprouve à l’égard de Michel Houellebecq, mais il ne devrait pas: allons.  Lors même qu’il prétend instaurer une nouvelle noblesse du goût, cette façon de se pousser au premier rang de la photo est précisément un peu « plèbe », je trouve. Enfin je n’ai rien, pour ma part, contre la « plèbe » qu’il est désormais de bon ton de mépriser. J’ai le tort, sans doute, de ne voir que des gens…


A ce propos, et pour en revenir à un autre roman qui vient également de paraître chez Gallimard, de Frédéric Pajak, je trouve chez celui-ci ce même mépris, précisément, mais alors à une dose « panique », dans la peinture endiablée qu’il fait des personnages de La guerre sexuelle, dont l’écriture a heureusement assez de chien pour retenir l’attention. Mais quoi ? Faut-il vraiment s’intéresser à cette galerie de nuls ? Je me le demande. J’aimais beaucoup Reiser, dont les pires charges avaient toujours quelques chose d’un peu tendre, à part la drôlerie. Chez Pajak, le comique y est certes, mais le trait se force à la longue jusqu’au mécanique, après un début caracolant, et c’est un peu dommage chez un auteur qui a le punch de Houellebecq mais pas les soubassements…


Philippe Sollers. Une vie divine. Gallimard, 524p.
Frédéric Pajak. La guerre sexuelle, Gallimard, 141p.
Ligne de risque. N0 22. Décembre 2005. Texte absolument réjouissant( !) de Michel Houellebecq, intitulé Mourir, et deux approches de La possibilité d’une île, d’assez haute volée, signées François Meyronnis et Yannick Haenel. Notamment…

Commentaires

  • Excusez, mais vous appelez ce phraseur de Sollers un romancier? Houellebecq encore à la rigueur. Bret Easton Ellis, d'accord.

  • Ah! Sollers dérange encore et toujours... c'est bon signe !

  • Michel Butor à propos de Sollers :
    "je souhaiterais avoir autant de facilités"

    L' extrait dans son contexte :
    http://www.pileface.com/sollers/ecrire/articles.php3?id_article=76

  • C'est le mot: facilité. Et c'est souvent éblouissant. Mais pour éclairer quoi ? C'est ce que je me demande. Vous verrez son Nietzsche revisité: c'est du lamé brillant haute couture parisienne. Hélas Nietzsche est un tragique, pas un marquis de Cour. Dominique de Roux a tout dit de Sollers dans L'Ouverture de la chasse. Rien à reprendre. Et pour le roman "à thèse", on a donné...

  • "facilité" : la dualité des mots positif/négatif, côté pile/côté face, il y a de la pertinence/impertinence dans votre propos sollersien antisollersien. C'est pourquoi, j'apprécierais fort que vous le retranscriviez en commentaire de l'article concerné :
    http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=76
    (que j'avais mal référencé.)

    J'aimerais quant à moi... avoir vos facilités et votre culture encyclopédique. Tiens, donc !
    Dualité, facilités, culture... bien sollersiennes. Non ?

    Non, heureusement, il n'est pas le seul à pouvoir se parer des plumes de la brillance.
    Et tout ce qui brille n'est pas ...joyau, comme vous le dîtes très bien.

  • A vrai dire je me sens très partagé à propos de Sollers. Tout le côté "roman" de son oeuvre, ou pseudo-Joyce postdantesque, me semble du chiqué. Mais quel lecteur admirable, quel critique étonnant, quel écrivain au sens large, ça oui. Il me semble un homme du XVIIIe égaré dans notre siècle, pour le meilleur. Pour le pire: un barjo qui n'en finit pas de courir après le dernier chic. Je vais tâcher de dire exactement ce que j'apprécie et ce que je trouve... facile dans Une vie divine. Ce qui est sûr, c'est que je donne tous ses "romans" pour La guerre du goût, en retranchant de ce recueil toutes les pages où il fait le paon, et ça en fait...

  • Merci de m'indiquer l'adresse où commander Ligne de risque (n°22). La revue n'est pas référencée sur les tablettes de pls libraires contactés.

  • Ligne de risque. Paraît deux fois l'an. 10, rue Gabrielle d'Estrée, 92170 Vanves. Se commande aussi à la Librairie La Palourde, Nîmes, TEL 04 66 76 17 93. La revue est déposée à Paris chez Tschann, Delamain, La Hune, L'Ecume des pages, L'Arbre à lettres, etc. Si vous me dites où vous habitez, je préciserai...

  • Même American Psycho était remarquable, surtout ce "décollage" par rapport au réalisme, que la majorité des lecteurs n'ont pas vu. A un point donné du récit, le contrat de lecture est rompu, et le narrateur n'est plus du tout fiable : ce sont ses fantasmes, et la persistance du cauchemar n'est liée qu'au désir du lecteur de faire durer la pantomime.

    J'ai trouvé la fin de Lunar Park décevante.

  • Tout à fait d'accord avec vous à propos du jeu d'American Psycho sur le décalage entre réel et virtuel. Mais l'ensemble du roman m'a paru plus mastoc, et les développements sur la musique rock longuets. Quant à la fin de Lunar Park, je ne l'ai pas encore abordée. M'en restait vingt pages. J'espère que vous avez tort... Jusque-là, avec Zombies, c'est le livre d'Ellis que je trouve le plus à mon goût.

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