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Comptines de l'horreur

La Question à la scène

Lorsque Katek Yacine, le poète algérien, raconta la tragédie vécue par son peuple à Bertolt Brecht, celui-ci lui conseilla d’en faire… une comédie. Or c’est le même choix, apparemment paradoxal, mais qui aboutit à un résultat troublant, qui oriente l’adaptation « décalée » de La question d’Henri Alleg, telle que l’ont conçue François Chattot, signant à la fois la mise en scène et une scénographie un peu surchargée, frisant le kitsch, et Jean-Pierre Bodin, en interprète hypersensible, vivant le texte dont l’abomination l’amène, malgré son apparent détachement, à un pic final d’émotion.
Le texte de La question détaille, de manière déjà très théâtralisée, quoique sans pathos, en séquences évoquant puissamment le décor, les objets et les traits de chaque personnage, les séances successives de torture, par l’électricité (la fameuse « gégène »), l’eau, les coups et le sérum de vérité, qu’Henri Alleg a subi durant un mois dans sa prison d’Alger, en juillet 1957. Le but de ces supplices était de faire cracher au prisonnier les noms de ses camarades. Or Alleg a opposé, au sadisme de ses tortionnaires prétendant défendre la Civilisation contre les menées des « ratons », la conduite sans faille d’un « dur », ainsi que les paras l’auront eux-mêmes reconnu. Ce récit bouleversant pourrait être dit sans le moindre effet sur une scène dépouillée. Or la présente interprétation, immédiatement mise à distance par le ton et les postures du comédien, en module la progression par de multiples contrepoints, dont les plus convaincants tiennent à la reprise, sous forme chantonnée et rimée à la manière des comptines enfantines, d’éléments du récit particulièrement odieux. Ce parti pris n’allait pas sans risque d’édulcoration, accentuée par le bric-à-brac de la scénographie. Mais Jean-Pierre Bodin le « vit » en incarnant bel et bien la noblesse et la dignité des mots opposés par Henri Alleg à la vulgarité bestiale de ses bourreaux et à l’abjection de leurs supérieurs.
Vidy-La Passerelle, jusqu’au 18 décembre. Loc : 02 619 45 45 ; www.vidy.ch

Photo Mario del Curto: Jean-Pierre Bodin 

Commentaires

  • Merci pour cette note que j'ai cherché en vain dans le 24h ce matin au Casque d'Or... Vous avez raison au sujet des comptines, elles m'ont hanté ces deux jours en revenant sur mes lèvres de façon inattendue et incongrue, preuve que la voix de J-P Bodin m'a atteint plus profondément que ce que le début déroutant de la pièce m'avait fait attendre...
    Au sujet de Trevor, voilà plus précisément ce que j'ai pensé (et noté) à la fin de ma lecture du recueil "After Rain":

    Tout de subtilité empathique dans le portrait des faiblesses humaines. La voix est incroyablement épurée, le plus souvent simple en apparence mais touche, par traits de pinceaux successifs et détails banals mais qui éclairent, touche à la complexité des êtres toujours partagés, voire déchirés, jamais subordonnés à une quelconque image morale ou à aucun système, jamais entièrement compréhensibles non plus, mais qu'on sent présents, même lorsque ils sont personnages "lointains" ou tus, les silences du texte s'insérant comme les silences de nos vies dans les gestes quotidiens. Il y a beaucoup de solitude et d'incompréhension, de coercition aussi dans le sens de volontés imposées en silence et en sourdine, mais au final, sauf lorsque la mort gagne (Lost Ground), les vies continuent, parfois en une renaissance, comme dans la nouvelle-titre After Rain qui fait ressentir presque matériellement la lumière nouvelle d'une existence qui a vu, un instant, la pluie tomber et s'arrêter.

  • J'ai relu La question après notre retour du théâtre, et c'est alors que m'est apparu le décalage entre les mots et les fioritures de la mise en scène, absolument superflues, voire incongrues. "Trop d'art", t'ai-je dit. Mais cela se voyait moins sur scène, du fait de l'interprétation si sensible du comédien. A la lecture en revanche, ça ne passe décidément plus.
    A propos de Trevor, tu devrais lire aussi Les bons chrétiens de Joseph O'Connor qui est d'une génération plus jeune et n'a pas la finesse de Trevor, mais plus de punch en revanche. Il y a là-dedans une nouvelle qui s'appelle L'évier et qui est un sommet d'understatement émotionnel. Ah mais non: lis plutôt En lisant Tourgueniev de Trevor, ça c'est top, comme dit Matteo...

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