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Un grand roman

En lisant Le siège de l'aigle de Carlos Fuentes

On mesure mieux, à la lecture du Siège de l’aigle de Carlos Fuentes, le grand vide du roman français actuel, à quelques exceptions près. En tout cas je ne vois pas, pour ma part, un seul titre de ces dernières décennies qui puisse rivaliser avec cette magnifique intelligence de la politique et des grands fauves qui se disputent le pouvoir, cette pénétration de la psychologie humaine et cet art retors de pur romancier qui fait apparaître, l’un après l’autre, et comme en ronde-bosse, par le seul truchement de lettres qui s’entrecroisent, ces formidables personnages gravitant, en 2020, trois avant l’élection de son successeur, autour du Président mexicain qui vient de sortit de son aboulie pour tenir tête aux Américains après leur invasion de la Colombie.
Je n’ai jamais mis les pieds au Mexique mais après 220 pages de ce roman, qui n’est en rien « documentaire » au demeurant, j’ai l’impression d’avoir vécu dans ce pays et d'en avoir parcouru les hautes sphères feutrées et les quartiers populaires, alors même que tout ce qui se rapporte à son économie, à ses intrigues politiques, à ses problèmes sociaux (paysans, étudiants, crime organisé, etc.) me renvoie à la politique et à l’économie de nos pays, et que les personnages qui s’y dessinent renvoient à un théâtre de tous les temps, de Plutarque à Macbeth.
Qui a fait, en Europe, en France, en Allemagne, en Italie, un roman aussi clair et limpide de forme, sur une matière aussi trouble et complexe, et qui sonne si vrai et qui nous en apprenne tant ? Car c’est cela même : comme dans Les illusions perdues de Balzac ou dans la Trilogie américaine de Philip Roth, on apprend une quantité de choses dans Le siège de l’aigle, tout en observant cette étonnante empoignade de prédateurs qui ne sont jamais des caricatures (on se rappelle le pauvre Automne du patriarche de Garcia Marquez) et que le jeu du roman épistolaire permet de traquer dans leur intimité masquée ou leur obscène fausse franchise. Quel savoir et quel culot de voyou (un vrai romancier doit être un voyou), quelle malice et quelle vieille tendresse (le vrai romancier donne raison à tous ses personnages), enfin et surtout : comme on se sent bien là-dedans. Voilà ce qu’on voudrait lire aussi en Europe. La semaine passée, j’ai relu des pages d’ Henri le Vert de Gottfried Keller, et je me disais : voilà ce qu’on voudrait lire aujourd’hui en France, tandis que François Nourissier tremblote et que Michel Tournier radote. Or le plus amusant est que Fuentes, avec un clin d’œil, parle du Nobel de littérature attribué en 2020 à l’écrivain Cesar Aira. Et voilà la générosité des grands : du coup je me suis rappelé que je voulais lire Varamo de l'Argentin magnifique, et suis allé le repêcher dans la pile des « à lire absolument , sur quoi j’y ai passé l’après-midi, avant de redescendre en plaine acheter La princesse Printemps. Quel plus beau titre un soir de neige à vous enchaîner dans la brouillasse : La princesse Printemps, chez un éditeur qui se nomme Dimanche !

Cesar Aira et Carlos Fuentes

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