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Liberté dernière


Sur La maison Mélancolie de François Nourissier

François Nourissier et son monde représentent à peu près tout ce que je fuis, et pourtant ses deux derniers livres, Prince des berlingots et aujourd’hui La Maison Mélancolie, sont de ceux dont la densité et la musicalité verbale touchent à une espèce de plénitude qui relève à la fois de la parfaite maîtrise et du délire contrôlé. Cela me rappelle à la fois le début du Traité du style d’Aragon et les Passe-temps de Léautaud, quand celui-ci paraît écrire sur n’importe quoi avec le même naturel et le même bonheur, et c’est aussi le cas de Nourissier dans cette suite de variations sur les thèmes de la maison, de nos maisons, et donc de notre corps et de nos femmes, de nos habitacles et de nos étapes successives, des fauteuils que nous traînons derrière nous et des armoires où nous planquons les cadavres de nos vies ratées, ainsi de suite.
« Une maison ça sent toujours le lit, le pli de chair, l’amour. Quand, une fois, le nez a senti ça, il ne peut plus s’en moucher : ça pue la liquette, le drap froissé, la sueur au parfum ou le parfum à l’huile de coude, à votre choix »…
A notre choix il y a là-dedans quantité d’odeurs et de rumeurs, de gestes entrevus dans l’eau des miroirs ou par une imposte, de détails et surtout de mots en cascades qui nous renvoient à nos propres maisons, chambres secrètes, agonies ou lettres d’adieux, maisons espérées et amantes ou amants, maladies d’enfants ou peaux desquamées de vieillards comptant leurs fleurs de cimetière comme l’auteur lui-même regardant ses mains ou relevant son bas de pantalon…
Dans sa maison parisienne, un jour de recensement mobilier, Nourissier compte 85 fauteuils. Pauvre homme. Toute la misère d’un monde est là : j’ai 85 fauteuils qui me survivront.
Toute l’horreur du petit-bourgeois et du bourgeois grimpé sur la commode est contenue dans l’œuvre de Nourissier, détaillée avec la plus admirable et complaisante cruauté. Dans ces derniers livres, comme dans Têtes (où il est d’ailleurs portaituré) et Le désir de Dieu de Jacques Chessex, la prose de Nourissier devient une espèce de whisky ruisselant et moiré, qui enivre et fait tout mieux voir à la fois, plus nettement, comme l’os ivoirin de la tête de Yorick…

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