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Cherpillod le vif ardent

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L’écrivain, éternel résistant, fêtera bientôt ses 85 ans. Retour sur une rencontre en 2005...


C’est entendu : les lendemains ne chantent pas plus qu’hier, l’homme est plus que jamais un loup pour l’homme, et le souci plus personnel d’une compagne très atteinte dans sa santé n’adoucit guère le tableau, mais Gaston Cherpillod n’en est pas moins, au tournant de sa 80e année, qu’il fête aujourd’hui même, frais comme un gardon. Plus exactement : comme un brochet, en lequel il siérait à ce grand pêcheur en eau douce de se réincarner si l’Eternel daignait. Ledit Créateur fait d’ailleurs l’objet du chapitre conclusif de son dernier livre paru (Entre nous Dieu…), en lequel le parpaillot peu porté sur la mômerie se dit plutôt un mystique-poète participant à la vie universelle, qui expliquerait aux enfants que rien ne peut venir de rien et que là réside sans doute la preuve de l’amour en nous.
« Je ne suis pas athée, nous explique l’écrivain en son repaire du Lieu, devant un verre de fée verte bien blanche (ce qu’on appelle de la bleue…), mais je préfère la rectitude d’un Sade, qui va jusqu’au bout de sa logique, au discours des tièdes et des modérés dont le Dieu est un bien fonds ou une traite tirée sur l’au-delà. »
L’oeil vif, l’esprit clair comme l’eau de rivière qu’il dit son élément, le verbe cinglant et, de loin en loin, la rage déboulant en tornade avec son tremblement d’anathèmes (sus au bourgeois, au profiteur, au prébendier ou au pair écrivain en mal d’honneurs, mais plus encore au Judas prêt à le vendre ou à la hyène le soupçonnant d’envie basse – ces deux-là il les tuerait !), Gaston Cherpillod n’en estime pas moins, quand on l’interroge sur le bilan à ce jour de sa vie, que rien n’a fondamentalement changé pour lui quant aux trois cultes qui ont donné un sens à celle-ci : de l’Amour, de la Poésie et de la Justice.
Au nom de la troisième, le fils d’ouvrier de la Promotion Staline (titre d’un de ses livres) sacrifia à ce qu’il appelle aujourd’hui «une grande hérésie », mais le comuniste vaudois des années 50-60, dont le parcours ultérieur de gauchiste plus vert d’esprit que d’appareil a passé par tous les avatars de la lucidité et de la révolte contre tous les écrabouilleurs de partis et de factions, n’est pas du genre à se justifier pour être mieux vu. Ainsi restera-t-il mal vu et d’abord de ceux-là qui n’ont jamais souffert, de toute façon, qu’un fils d’ouvriers, brillant élève hellénisant d’André Bonnard l'humaniste stalinien, pratiquât l’imparfait du subjonctif plus souvent qu’à son tour et maniât notre langue avec un brio d’amoureux fol d’icelle.
Montés du Lieu sur les hauts de la Dent de Vaulion dominant les forêts d’automne en gloire, nous évoquons plus longuement, devant un rouge « élevé en barrique », cette passion pour la langue qui l’attache si fort à Victor Hugo mais aussi à Léon Bloy, fulminant imprécateur catholique (mais aussi grand apôtre anti-bourgeois et frère des pauvres), Jules Vallès ou Ramuz dont le passionnent les premiers romans et les nouvelles pétries d’humanité, comme aussi et surtout : le verbe neuf.
«Je suis une sorte de prosateur issu de la poésie, qui compte ses syllabes, figurez-vous, pour retrouver possiblement un nombre pair, et, plus grave, le nombre de labiales… aspirant à un écart pair de syllabes entre deux labiales. Folie de poète ! »
A l’écrivain trop peu reconnu nous devons, pour mémoire, de beaux récits ancrés dans sa vie (Le chêne brûlé, Le gour noir, Le collier de Schanz) et l’ensemble d’une sorte de chronique kaléidoscopique ou les émois et déboires de l’amant, les combats du citoyen engagé et les flâneries de l’homme des eaux et forêts cohabitent dans une tapisserie chatoyante.
Main tendue poing fermé, le titre d'un de ses derniers livres, résume la posture à la fois généreuse et irréductible de cet ennemi juré des « forces du mal », aujourd’hui incarnées selon lui par le « totalitarisme de l’économie », mais qui reste, plus fondamentalement, un franc-tireur lyrique au verbe vif et combien ardent.

Gaston Cherpillod. Main tendue poing fermé. Editions L’Age d’Homme, 106p. La plupart des livres de Cherpillod ont paru à L'Age d'Homme.

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