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Sur la poésie

Czapski13.JPGDe l'âme et des vieux ressorts

Dans son inépuisable Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig écrit ceci qui me paraît juste et bon : « La poésie est précision. Un poème qui utilise les mots « âme », « quintessence » ou « ineffable » est probablement un poème malhonnête. Loin de chercher à enfumer la connaissance par des mots vagues et intimidants, la poésie la perfectionne. La poésie sert à mieux voir, et plus vite ».
Est-il interdit pour autant d’user du mot « âme » ? Je ne le crois pas, mais il importe alors d’en préciser l’acception. On le voit bien en Suisse romande, pays de tradition protestante où « l’âme » est une de ces fleurs vagues qui se cultivent en serres par force pasteurs et professeurs, poétesses de l’après-midi et autres vestales du Temple, sans le moindre rapport avec cette réalité charnelle et spirituelle  qu’il est convenu d’appeler âme au sens physique et métaphysique, définissant  l’émanation personnelle  d’un être précis, portant nom et prénom, socquettes armoriées et couleur d’yeux unique in the world. L’ « âmelette ronsardelette » n’est pas vague mais précise, tandis que l’âme « ineffable » des prétendus poètes relève en effet d’une intimidation malhonnête.
J’aime bien me rappeler à ce propos Le canal exutoire de Charles-Albert Cingria, qui distingue l’être précis de l’être vague en ces termes fulminants : « L’être qui se reconnaît – c’est un temps ou deux de stupeur insondable dans la vie – n’a point de seuil qui soit un vrai seuil, point de départ qui soit un vrai départ : cette certitude étant strictement connexe à cette notion d’individualité que je dis, ne pouvant pas ne pas être éternelle, qui rend dès lors absurdes les lois et abominable la société ».
Et pour distinguer ensuite l’homme vague (auquel certains mettent encore une majuscule…) de l’homme-humain (ce sont les Chinois qui parlent d’homme-humain), Cingra précise: « L’homme-humain doit vivre seul et dans le froid : n’avoir qu’un lit – petit et de fer obscurci au vernis triste -, une chaise d’à côté, un tout petit pot à eau. Mais déjà ce domicile est attrayant ; il doit le fuir. A peine rentré, il peut s’asseoir sur son lit, mais, tout de suite, repartir. L’univers, de grands mâts, des démolitions à perte de vue, des usines et des villes qui n’existent pas puisqu’on s’en va, tout cela est à lui pour qu’il en fasse quelque chose dans l’œuvre qu’il ne doit jamais oublier de sa récupération ».
C’est cela la poésie : c’est de la récupération de vieux ressorts pour faire du flambant neuf de fine horlogerie. Ponge disait à peu près : je prends les choses dans mon atelier, pour les réparer, voilà tout. La poésie est un objet : « une émotion devenue objet », conclut Charles Dantzig.

Peinture: Joseph Czapski

 

Commentaires

  • Le vrai poème est toujours dans la Voie... c'est une essentielle clarté qui dépasse le poète lui-même... Il n'est qu'un médium de l'évidence même...

  • L'ANE ET LE RESSORT

    Les poètes sont des tricheurs
    La quintessence au poignet
    Ineffables comme une abomination
    Qui vomit la vérité
    Sur les devantures comiques
    Des sérieux troupiers
    De la précision utilitariste

    Les poètes sont des croque-morts
    Spécialisés dans les charniers d'âmes
    Autant de poètes
    Autant de génocideurs
    Massacreurs de vilenies
    Iconoclastes au talent
    Vermoulu par Achille

    Les poètes
    Ha les poètes
    Combien de poète au fait
    Chez les objecteurs de conscience
    Ou les réducteurs de tête
    Dans les couloirs de la mort
    Par l'objet sans objet

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