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Houellebecq et les petites merdes

Lecture de La possibilité d'une île (4)

A La Désirade, ce vendredi 2 septembre. -Au fil de la partie ascendante de son récit de vie, Daniel 1, le protagoniste de La possibilité d’une île, traite Fogiel de « petite » merde, par une sorte de constat qui semble aller de soi et pour celui qui parle autant que pour celui dont il est question. Fogiel est une petite merde : c’est un fait, de même que Carlier est une grosse merde. Ce sont des évidences comparables à celles qui portent sur le temps qu’il fait.
Mais qui parle ? Est-ce Michel Houellebecq qui s’exprime ainsi ? Est-ce Houellebecq qui « fusille une star », comme le relève un hebdo suisse people qui s’empresse de relever, dans La possibilité d’une île, tous les cas de dropping name où Houellebecq, jouant sur la fameux (euh) effet de réalité, mais sous le couvert de Daniel 1, traite Nabokov de ceci et Michel Onfray, la pauvre Björk ou l'ensauvagé Lagefeld de cela.
Il ne fait aucun doute que la presse people, farcie de petites merdes, va se jeter sur le livre de Michel Houellebecq et lui faire un procès en fusillade, histoire de faire mousser le mahousse. Tout cela est en somme logique, étant entendu que Daniel 1, l’humoriste de Michel Houellebecq, et l’Houellebecq en question, font une espèce de judo avec la réalité contemporaine, la poussant à l’extrême de sa logique pour mieux en illustrer les mécanismes, comme s’y emploie Amélie Nothomb dans Acide sulfurique en imaginant un jeu de téléréalité dans un camp de concentration.
Moi qui travaille dans un merdique journal de province, et que maints lecteurs considèrent probablement comme une petite ou une grosse merde, je suis intéressé tout de même de percevoir, sous le discours panique de Houellebecq-Daniel, une parole de révolte et d’interrogation qui nous transporte dans une autre dimension.
A un moment donné, Daniel 1 traite Larry Clark, réalisateur de Ken Park, de petite-grosse merde, ou quelque chose comme ça : vil commerçant démagogue, à peu de chose près. Comme j’estime beaucoup Larry Clark, et que je trouve Ken Park un film d’une grande honnêteté, j’aurais pu conclure que ce Daniel1 était une petite merde et ce Michel Houellebecq une grosse merde avant de retourner à la lecture de mon cher Dictionnaire égoïste de la littérature française de ce cher Dantzig tellement plus reposant. Mais non : ce que dit Daniel 1 sur Larry Clark a beau me sembler tout faux : j’ai envie de discuter avec lui, quitte à ce qu’on s’engueule. Daniel sort de ses gonds parce que Larry Clark, dans Kids et dans Ken Park, s’est mis très près de groupes d’adolescents pour essayer de percevoir leur désarroi dans une société en perte de lien social et familial. Comme il se sent menacé par ce que vient de lui dire sa jeune amie sur son âge, Daniel 1 panique et se déchaîne en croyant trouver dans Ken Park l’apologie de la jeunesse contre les vieux, ce qui est tout à fait faux. Larry Clark montre, dans Ken Park, autant de compassion (nous fait ressentir autant de pitié) pour les deux vieux vieillards adorables qui se font poignarder par leur petit-fils dément que pour les autres parents aux airs eux-mêmes de vieux gamins. Peut-être Michel Houellebecq ressent-il les choses comme son Daniel 1, mais est-ce une raison pour que je le traite de petite merde ?
En ce qui me concerne, j’ai de plus en plus horreur de l’usage normalisé du langage ordurier, et je suis persuadé que Michel Houellebecq ressent la même chose, de même que je suis persuadé que Bret Easton Ellis a horreur de la violence. Mais ces deux-là font usage des mêmes armes, quitte à passer pour de vraies frappes. Or lorsque je lis la chronique de M. Angelo Rinaldi consacrée à La possibilité d’une île, je n’ai pas de peine à discerner la vraie vulgarité, sous la pommade et la poudre de cocotte.
Ah mais le jour se lève, camarades, chères petites merdes que nous sommes : encore une journée divine !



 

Commentaires

  • Décidément, on dirait que ce Dictionnaire égoïste de la littérature française est un bouquin qui marque !... De ces livres auxquels on peut toujours revenir, qui ne nous laissent jamais sur notre faim, mais qui ne nous rassasient jamais non plus.
    En tout cas, considérant le nombre de fois que vous en parlez, je conclus que c'est un ouvrage qui vaut la peine d'être lu - ce que je ferai peut-être à l'occasion...

  • Je prends mes marques en lisant vos "vieilles" chroniques. Finalement, la critique, puisque c'est de cela dont il s'agit (non?), n'est pas un jugement divin, fusil ou muguet, mais un ressenti tout personnel. Pas que je m'imaginais qu'il fallait presque "obligatoirement" se mettre du côté des indiens ou des cow-boys en face d'une oeuvre, mais je découvre là des possibilités bien personnelles de parler et de rendre vivante une oeuvre, sans donner un avis "tranché". Je veux dire, sans que ce soit "pour ou contre".

    Enfin bref, je retourne à l'oncle Buk.

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