En lisant Asiles de fous
C'est un sentiment très pénible que celui de voir un livre d’un écrivain qu’on a estimé s’égarer dans l’artifice et le vide, comme il me semble m’y enfoncer à la lecture d’ Asiles de fous, le dernier roman de Régis Jauffret, dont les situations et les personnages me font l’effet de fantasmagories gratuites à force d'exagérations et suant bientôt l’ennui.
La femme qui y parle, qui se dit elle-même une « femme verbale » à la dernière page du roman en espérant finalement s’incarner « un instant », dit-elle, nous apprend du même coup que le Damien autour de l’absence duquel elle tourne deux cents pages durant n’est pas vraiment celui dont elle nous a parlé, tout en étant sûre « qu’il est toujours plus ou moins vivant, assez sans doute pour avoir écrit ce roman »…
C’est aussi subtilement tordu que le serpent qui se mord la queue, mais plus grave : c’est ennuyeux, c’est de plus en plus assommant, pas un instant on n’y croit, on espère à la page 25 qu’on sera surpris à la page 30, mais à la page 50 ça se gâte et s’enlise définitivement, après l’évocation peu crédible d’un amour en vase clos, avec l’arrivée du père de Damien, beau-père beaufissime qui vient annoncer à Gisèle que son fils l’a chargé de déménager ses affaires, à commencer par l’armoire en pin des Landes, et de faire les questions et les réponses sur dix pages tandis que Gisèle reste là à se demander, comme le lecteur, ce que diable elle fiche dans ce roman…
Les merveilles de la technologie me permettent, en même temps que de tapoter ces notes sur mon portable made in China, d’écouter How strong is a woman d’une Etta James à la voix aussi puissamment charnelle qu'émotionnelle, et tout à coup cela m’apparaît : que ce qui pèche chez Jauffret, là comme ailleurs d’ailleurs, tient au manque de chair et au manque de consistance émotive de sa protagoniste qu’il a choisi avec son seul cerveau de plaindre sans lui laisser exprimer jamais ce qu’elle ressent avec ses tripes ou son cœur à elle.
Hélas, il y a là comme un parti pris cérébral du malheur et de l’horreur qu’on pouvait encore apprécier dans le ton panique et fou d’Histoire d’amour ou de Clémence Picot, mais à présent on dirait que la machine à broyer du noir de l’écrivain tourne à vide ou ne broie plus rien qu’une idée de noir…
Régis Jauffret. Asiles de fous. Gallimard, 211p.