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La fable dérangeante d'Amélie Nothomb

Un décapant Acide sulfurique

On a déjà parlé de scandale à propos du nouveau roman d’Amélie Nothomb, mais je ne vois pas, pour ma part, qu’il y ait de quoi s’indigner du fait qu’elle situe Acide sulfurique dans un camp de concentration, devenu le lieu de mise en spectacle télévisuelle de la souffrance. La conjecture romanesque a toujours consisté, et notamment dans le domaine de la fable, a pousser une situation à son extrémité, et l’auteur des Combustibles ne fait pas autre chose qu’illustrer, ici, la tendance répandue dans notre société à donner en pâture, à un public supposé vampire, les images du malheur et de la misère.
Amélie Nothomb imagine que, pour le tournage d’une série de télé-réalité intitulée Concentration, toute une organisation se met en place, qui va planifier la déportation d’une population dont la seule caractéristique sera d’appartenir au genre humain, dans un camp où tout sera filmé, du tunnel inutile qui sera creusé par les détenus aux latrines et aux moindres recoins où les uns et les autres se réfugieront.
D’aucuns taxeront peut-être Amélie Nothomb de cynisme, alors que c’est ceux qu’elle ne fait que singer qui le sont évidemment, cyniques : les organisateurs de reality-shows débiles, qui vampirisent la vie au seul bénéfice du spectacle. On se rappelle le film C’est arrivé près de chez vous, superbe gorillage belge du genre, et peut-être n’est ce pas un hasard qu’Amélie, belge elle aussi, déboule ainsi avec un roman corrosif à sa façon, un peu jeté mais foisonnant d’idées fulgurantes, plus grave qu’il n’y paraît, reprenant aussi le thème du double (belle/laide, sainte/salope) développé dans Antechrista.

Il y a de très beaux moments dans les cent première pages d’ Acide sulfurique que j’ai lues jusque-là, et par exemple celui des détenus qui se mettent à converser intelligemment pour résister à la dégradation collective filmée à laquelle on les voue. Cette scène m’a rappelé le témoignage de Joseph Czapski intitulé Proust contre la déchéance (publié aux éditions Noir sur Blanc), évoquant les causeries que les détenus du camp stalinien de Starobielsk avaient organisées pour ne pas se laisser contaminer par la bestialité ambiante.
Désarçonnante Amélie décidément, que d’aucuns se figurent si sotte avec ses chapeaux, et qui me paraît à vrai dire une bien plus intéressante sorcière que tant d’auteurs supposés pensants, notamment ici, dans son registre à la Buzzati ou à la Romain Gary, qu’elle cite d’ailleurs. Simplette en apparence et d’une dérangeante profondeur en vérité : telle est cette sale gamine sage avant l’âge et qui ne se ride point pour autant sous les sunlights…
Amélie Nothomb. Acide sulfurique. Albin Michel, 192p.

Commentaires

  • Le bien que ça fait de lire une critique positive sur Amélie Nothomb ! Je commençais à désespérer... En effet, nombre d'articles paraissent, qui descendent en flèche l'auteur belge, lui reprochant notamment sa trop grande productivité (qui rime pour eux avec médiocrité), sa trop grande popularité, sa personnalité trop dérangeante, mais aussi son utilisation de mots inhabituels (ces messieurs se trouvent embêtés dès qu'il s'agit d'ouvrir un dictionnaire...), ou encore de prénoms rares ou oubliés. Bref, les reproches s'accumulent contre elle, et je ne suis pas d'accord avec la plupart d'entre eux.
    Heureusement qu'il existe encore des gens pour savoir lire, et pour savoir apprécier lorsque c'est de qualité. Parce qu'un best-seller n'est pas nécessairement mauvais. Qu'on se le dise.
    Moi, la Miss Nothomb, je l'aime bien. Et je ne crois pas être le seul...

  • Je n'ai pas de mots pour dire ma révolte et mon dégoût en lisant "acide sulfurique" qui a choisi pour décor les camps de concentration. Amélie Nothomb n'a-t-elle aucun coeur, aucune conscience pour situer son intrigue romanesque dans un lieu qui évoque tant de souvenirs affreux pour tant de Juifs et de non-Juifs il y a à peine 60 ans? Amélie Nothomb est-elle inconsciente à ce point pour banaliser un lieu qui pour nous Juifs est encore notre enfer au quotidien? Je suis heurtée et déçue car j'appréciais Amélie Nothomb pour sa sensiblité et sa sincérité. Maintenant je pense qu'il n'y a chez elle que désir de (reality) show. Anne

  • Je respecte votre sentiment, mais il me semble que vous vous trompez de cible. Pas un instant je n'ai eu l'impression qu'Amélie Nothomb cherchait à se faire de la publicité en traitant ce thème de la mise en scène abjecte de la souffrance humaine. Au contraire, je crois que c'est parce qu'elle estime Auschwitz la plus atroce représentation de la bestialité humaine qu'elle a choisi ce "décor" pour illustrer l'ignominie à laquelle aboutissent parfois les médias. Ceci dit je puis comprendre, tout à fait, que votre mémoire soit trop blessée pour admettre un tel livre. Merci de votre témoignage.

  • J'apprécie votre commentaire mais je ne pense pas me tromper de cible en dénonçant l'exploitation faite par l'auteur de la plus grande ignominie de tous les temps, les camps de concentration, pour développer son propos. Pour nous, Juifs, le seul mot "kapo" évoque une réalité insoutenable. D'autres détails dans le livre ravivent des blessures, dont la douleur est insupportable. Non, tout n'est pas matière à exploitation littéraire.
    J'espère seulement qu'un des futurs "bébés" d'Amélie ne naîtra pas sur fond des attentats des Twin Towers de Septembre 2001, ou encore sur fond des malheurs que connaît actuellement la Nouvelle-Orléans, avec comme sujet les caméras cachées des télés-réalité...

  • J'ai rencontré Amélie Nothomb cette semaine. Si vous voulez écouter son interview au sujet d'Acide Sulfurique et l'entendre répondre aux questions que vous soulevez ici, rendez-vous sur http://lireestunplaisir.skynetblogs.be/ Et bravo pour votre blog.

  • Je ne comprend pas pourquoi il est toujours si compréhensible de s'indigner dès que l'on parle des camps de concentration et de la Shoah!
    Cela fait partie de l'histoire du monde ... d'une histoire certes cruelle, mais qui a permis de façonner ce que nous sommes aujourdhui! Il est d'une inutilité complète de commencer à crier à l'irrespect dès qu'une création artistique plante son décor dans ces horribles camp !
    JE trOue même l'initiative de Mlle nOthOmb intéressante... elle hyperbole comme à son habitude; mais rappelons que c'est cette exagération dans l'horreur qui fait d'elle une auteure admirable!
    J'ai hâte de lire son nouveau roman ... car habitant au Maroc, je n'ai encore pu le découvrir, mais il devrait sortir dans la semaine qui suit !
    lOnGue vie à Amélie nOthOmb et à toute son oeuvre , passée, présente et future!

  • Pourquoi la modernité vous blaisse t-elle autant? Vous les vieux...

  • Je crois qu'Amélie est une personne qui dénonce tout haut les déviances que nous constatons tous bien bas!! dans nos petits souliers, on ose pas!! elle? si!! bravo!!
    quant à dire qu'elle se sert d'horreurs pour inspirer son livre, suis po d'acc! elle imagine seulement ce que pourrait devenir la tv réalité si on y prend pas garde!!
    j'admire!! elle ose déranger!!
    Dans quel monde vivons nous? telle peut etre la question!!
    lelex63

  • Mon blog parle essentiellement d'Amélie Nothomb et je suis content de voir des critiques fondées et réfléchies. La plupart des gens ne l'ont même pas lue et se permettent de la critiquer haut et fort avec des préjugés qui collent (malheureusement à la peau d'Amélie. Elle reste tout de même mon écrivain favori...

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