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Une déchirante empathie

En lisant L'Adieu au nord de Pascale Kramer

Il a fait ce dimanche le temps le mieux approprié à la lecture de L’Adieu au nord, le nouveau roman de Pascale Kramer , achevé dans un train fuyant le nord, précisément, et l’énorme pluie faisant déborder les rivières et les lacs, après qu’une très vieille dame, droite comme une figure de Beckett, m’eut fait remarquer qu’il n’avait jamais si bien plu cette année, soulignant ensuite que « quand il pleut il pleut » et qu’« il faut ce qu’il faut »…
Or il se dégage, de ce dernier livre de Pascale Kramer, et plus encore que les précédents, Les vivants et Retour d’Uruguay, une sensation de malaise voluptueux, si l’on ose dire, qui relève à la fois de l’atmosphère extérieure et de la température des corps des personnages, de l’air et de la peau, de la mer et des humeurs à tout instant changeantes d’Alain, le trentenaire fou de désir à l’approche de la femme-enfant Patricia, et de tous ceux qui gravitent autour de ce couple mal parti m’évoquant ces deux amants de L’Enfer de Dante qui s’accrochent follement l’un à l’autre et s’entraînent mutuellement dans une chute à n’en plus finir.
C’est l’histoire d’une passion confuse dont le climat rappelle celui du Coup-de-vague de Simenon, avec ce même quelque chose de moite et de sensuel, de tendre et de maladroit, de très physique et d’à fleur de peau où tout est exprimé sans un dialogue, par des gens qu’on pourrait presque dire sans langage mais dont la romancière nous fait ressentir toutes les nuances des sensations et des émotions, de la manière à la fois la plus directe et la plus diffuse, la plus crue et la plus sensible aussi. Cela se passe d’abord dans une espèce de ferme où l’on cultive le cresson, entre terre et mer, puis à Cork où le couple se casse quelque temps, au double sens du terme, enfin retour à la case départ avec un enfant à naître et la conviction croissante d’un gâchis à venir, sans que cela soit sûr.
Rien n’est jamais sûr dans les romans de Pascale Kramer, sauf qu’on est là et que ça fait mal, surtout ce désir lancinant qu’il y a entre l’homme et la femme et tous les malentendus qui en découlent et l’exacerbent, avec pour Patricia la rage initiale d’échapper à son salaud de père et chez Alain une sorte de « tyrannie masochiste » qui le torture et le pousse à des violences insensées.
C’est là du vrai roman qui ne veut rien prouver mais qui s’impose par sa chair même, pourrait-on dire, qui fait de chaque phrase et de chaque séquence une suite implacable d’actions, même si ce qu’on appelle l’action se réduit à pas grand-chose d’autre que la vie qui va, comme on dit. Mais quel drame, quand on y regarde de près, quelle affaire que cette guerre des âges et des sexes, quelle douleur que cette passion à n’y rien comprendre, et toute la gamme des sentiments proustiens dans ce trou du cul du monde où la pluie est si mouillée mais nous colle les uns aux autres…
C’est une bête étrange qu’un romancier, et là ça ne fait pas de doute : Pascale Kramer, à l’instinctive et avec une croissante puissance d’expression, qui n’exclut pas ici et là quelque pesanteur, s’impose comme un véritable médium du roman, proche une fois encore du meilleur Simenon mais avec son registre tout personnel doux et dur, tendre et vrai.
Pascale Kramer. L’Adieu au nord. Mercure de France, 227p.

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