Il y a du rêveur labyrinthique à la Borges, du poète métaphysicien à la Kafka, du conteur paradoxal à la Buzzati et de l'humoriste à la Vialatte chez Eduardo Berti que le très compétent Alberto Manguel déclare, dans sa postface au présent recueil, « l'un des auteurs les plus intéressants et les plus doués de la nouvelle génération littéraire d'Argentine ».
Plus que des nouvelles développées, les quelque quatre-vingts brefs textes réunis dans ce petit livre épatant tiennent d'embryons de récits ou d'amorces de contes dont le lecteur, à partir du « noyau », est supposé développer tout seul les pouvoirs imaginaires. Le consommateur passif en sera pour ses frais, tandis que l'amateur de rêveries fantaisistes ne laissera de se prendre au jeu dédaléen de l'auteur.
Du peintre suisse inconnu dont une œuvre ancienne est redécouverte et acclamée à Vienne où il finit par s'apercevoir qu'elle est exposée à l'envers, à la machine à copier des photos qui élimine les sujets défunts du cliché, en passant par les deux vieux jumeaux capables de déchiffrer l'énigme des crimes en « lisant » les traces de sang des victimes, Eduardo Berti — qui dit par ailleurs que la première chose qu'il fait en débarquant dans une ville étrangère est de chercher son homonyme dans l'annuaire — multiplie les pistes à suivre, un peu comme dans un poème topologique à la Escher.
Eduardo Berti. La vie impossible. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Luc Actes Sud, 181 pp.