C’est le propre des grandes œuvres que de susciter de multiples interprétations, mais certaines d’entre elles, jouant sur de multiples strates de sens, telles la Divine Comédie de Dante ou les romans et histoires si énigmatiques de Franz Kafka, y incitent particulièrement. Or le premier mérite de Roberto Calasso, type même de l’essayiste « mitteleuropéen », est de ne pas surajouter une nouvelle grille de lecture à l’univers de Kafka mais plutôt d’en éclairer des aspects essentiels de l’intérieur, si l’on peut dire, en éclairant son mystère « par sa propre lumière », pour reprendre l’expression de Karl Kraus.
Deux romans majeurs, Le procès et Le château, constituent le « territoire » que l’auteur entreprend d’explorer de façon à la fois minutieuse et tâtonnante, intuitive et incessamment enrichie par les inépuisables connaissances de ce familier des mythologies et, plus largement, des rapports liant l’homme aux dieux, même si Calasso voit en l’univers de Kafka « un univers prémythologique , où la séparation hommes-dieux ne s’est pas encore faite », en deça pourtant du chaos.
En écrivain, Roberto Calasso s’est livré à un travail de filtrage et de synthèse prodigieux de limpidité « finale », qui nous fait découvrir, sur la trame de ses lectures, ce qu’on pourrait dire l’esquisse du « motif dans le tapis » de l’œuvre kafkaïen, interrogeant les fins mêmes de la littérature.
Roberto Calasso. K. Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Éditions Gallimard, coll. Du monde entier, 382 p.