Le professionnel de Dusan Kovacevic
Chacun sait qu'à l'enseigne du capitalisme, l'homme est un loup pour l'homme, et que sous le communisme c'est le contraire. Or voici qu'à la situation contraire succède la précédente, et que c'est reparti pour un tour de manège.
Hier encore, Teodor était un écrivain, mais empêché d'écrire. On disait alors: dissident. Supposé planquer de géniaux écrits dans ses tiroirs. Et buvant sec en attendant que les lendemains déchantent. Or voici que, le vent de l'Histoire ayant tourné, le proscrit de naguère se retrouve parachuté au « top » de la nouvelle société, directeur d'édition et chargé de « gérer » les nouvelles valeurs, quitte à opérer quelque « restructuration » dans la foulée.
A Belgrade, après Tito, Teodor est manager. Et voilà se pointer, entre deux auteurs recalés et / ou furieux, un certain Luka. Qui tout de suite tutoie l'écrivain, ex-maudit, comme un frère. Il est vrai qu'une vieille familiarité relie les deux personnages à l'insu de Teodor: Luka, dix-huit ans durant, a de fait fliqué et enregistré les moindres propos de Teodor. Il fut son ombre et son ange gardien en quelque sorte. Il l'a même sauvé une ou deux fois. En l'occurrence, il lui revient de surcroît avec plusieurs tapuscrits établis par son fils Milos, prof de littérature, constituant les œuvres « orales » de Teodor, recueillies d'une beuverie l'autre. Teodor n'en revient pas: intellectuel et snob, comme la plupart des écrivains, il ne peut imaginer qu'un flic le prenne au sérieux. Or, le flic en question est non seulement plus professionnel que lui: il est plus humain, plus intéressant que ce brillant littérateur à la manque ...
Dusan Kovacevic. Le professionnel (Théâtre).