Garçon pur et dur, François Sentein écrivait dans sa fraîche vingtaine «que ça ne sert pas à grand-chose de vivre au-delà de quinze ans», et son étonnante maturité ne l'empêchait pas de considérer les «monstres adultes» avec l'implacable souci de justesse et de justice des enfants - chose redoutable dans la France littéraire de 1944 dont il observa les retournements de vestes et autres virages byzantins.
Après les Minutes d'un libertin (1938-1941) et les Nouvelles minutes d'un libertin (1942-1943), nous retrouvons ce jeune passionné de littérature, ami de Jean Genet et de Cocteau, sous l'uniforme d'un cadre de centre de jeunesse, aussi distant des collaborateurs que des résistants, mais nullement cynique pour autant. Ainsi montre-t-il beaucoup plus de compassion pour son ami Max Jacob, qui vient de mourir en déportation, qu'un certain Picasso, de même qu'il va jusqu'à «planquer» Julien Benda en province. Son dévouement envers le taulard Genet (qui a risqué lui aussi le camp de concentration) est aujourd'hui éclipsé par les services possiblement visibles de Cocteau, mais le jeune homme fait toujours la part de la faiblesse humaine et du talent, ou du génie lorsque l'ingrat Genet l'humilie. Tableau d'une époque (en campagne autant qu'à Paris, où passent Sartre et Leiris, Montherlant ou Peyrefitte), ce journal non aligné est aussi l'oeuvre d'un critique pénétrant et d'un écrivain très singulier.
François Sentein. Minutes d'un libéré (1944).Le Promeneur, 212p.