Une criante injustice a poursuivi, dans les royaumes de ce monde, les sujets désignés de naissance au port obligatoire de la couronne, lors même qu' ils n'aspiraient peut-être qu' à se livrer aux activités placides du commun des pêcheurs à la ligne. Moins chanceux qu'un prince Charles adonné sans trop de contrariétés à l'aquarelle à notre époque où la mode de couper les têtes a passé, Louis Capet incarna du moins le roi malgré lui, auquel seule sa fin tragique a donné quelque relief, un cran au-dessous de sa royale moitié. Mais à propos, que serait devenu Louis XVI s' il n'avait été si brutalement « raccourci »? Comment ce retraité-né aurait-il fini ses jours ?
C'est à ces questions, entre autres, que Jean-L uc Benoziglio, romancier valaisan de souche, Parisien d'adoption et demeuré très Helvète dans l'esprit (c'est à savoir démocrate d'E urope polymorphe ouverte à l'érudition joyeuse) et même assez Vaudois sur les bords (au sens de l'autodérision débonnaire et de la latinité lémanique), s' est attaché à répondre avec toute la sagacité, l'humour et l'écriture à ellipses scintillantes qu' on lui connaît.
Dès son apparition sur le débarcadère de Saint-Saphorien où, l'air d'une pyramide coiffé du « pyramidion » d'une perruque et le regard vaguement effaré du myope déplacé, le cidevant Louis Capet, fautivement appelé Papet (!) par le syndic Chavannes qui l'accueille en présence du bailli von Pfyffer et de son représentant local von Villiger (des futurs cigares ?), présente toutes les apparences d'un notoire passionné de serrurerie qui, des embrouilles de la politique, et surtout de la politique d'asile réglée par ces Messieurs de Berne, n'a ostensiblement « rien à souder », pour user d'une expression qui serait plutôt, à vrai dire, celle du sieur Jaccoud, pilier de bistrot hâbleur à la Pomme de Pin voisine … Bien plus important pour Capet au moment de son arrivée chez les Vaudois: il a la dent. Faim de roi foi de moi. Quand c'est qu' on en casse une ?
S'il a jamais joué un rôle dans l'H istoire, ce Capet relégué dans la maison d'un certain Guichard massacré à Nancy en 1791 avec d'autres Suisses (ce qu' il ignore et dont il n'aurait probablement cure) ne se soucie que d'obtenir, de Leurs Excellences, une carabine pour chasser un peu et un confesseur papiste qui lui sont refusés d'un sec « Knif » (« Kommt nicht in Frage », hors de question) apposé sur sa requête écrite, à laquelle il ne sera même pas répondu mais que le narrateur, historien à ses heures, retrouve aux Archives bernoises.
L'air de n'y pas toucher, ledit historien se fait d'ailleurs un malin plaisir (partagé par le lecteur) de ramener Lafayette à celui qui voudrait l'oublier, et Necker aussi venant lui faire un rapport économique carabiné, et Constant de Rebecque pour une litanie de regrets a posteriori, ou cet ex-révolutionnaire se rappelant qu'un roi même déchu peut signer une recommandation utile …
Guère intéressé par ces visiteurs de marque, Capet ne se montre pas plus sensible à la qualité du petit blanc local (auquel il préfère le kirsch et la bière …) et l'essai de stimuler sa bonne humeur par une fondue se solde par un vrai fiasco ., au terme d'une véritable « scène à faire » ...
Finalement, le seul personnage avec lequel notre royal taiseux entretient un semblant de relation est la jeune Aline (futur personnage de Ramuz ?), fille du pêcheur du coin s' occupant de son ménage comme une « vraie fée du foyer » et qu' il gratifiera d'une crise de monarchique dépit au moment où elle lui apprendra qu' elle va frotti-frotter ailleurs.
Au demeurant, ce n'est pas tant la figure de Louis Capet qui nous intéresse que les multiples notations latérales dont il est le prétexte, qu' il s' agisse du pouvoir qu' il représente malgré tout, des traits de caractère récurrents des Suisses en général et des Vaudois en particulier, ou des Français en relation avec nos « pittoresques » ténèbres extérieures, dont le romancier truffe son tableau sans trop peser. « Le Suisse se lève tôt mais se réveille tard », cueille-t-on au passage entre une vacherie sur l'expansionnisme des libérateurs républicains et l'annonce de la chute de Louis Capet dans un escalier vaudois, le 31 janvier 1798, autant dire hier ...
Jean-L uc Benoziglio. Louis Capet suite et fin. Seuil, 183 pp.