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A La Désirade, ce 14 juin 2005



A La Désirade, ce samedi 1er janvier 2005. – Nous entrons dans la nouvelle année par temps radieux et la reconnaissance au cœur alors que tant de nos semblables, de par le monde, se trouvent en proie à la calamité, à commencer par les victimes des terribles séismes qui viennent de dévaster les côtes de l’Asie du sud-est.

A La Désirade, la vision de ma bonne amie qui fait les vitres me donne du courage pour amorcer (ou réamorcer) mes propres travaux.

Ne plus parler de la chose à faire, mais la faire.

Edmond Jaloux parle du caractère d’anormalité de Marcel Proust, à tous égards extraordinaire, en précisant cependant le type de complexion de l’écrivain, sans pareil au XXe siècle, puis il en détaille les aspects de l’œuvre, la fresque sociale et les insondables intuitions psychologiques, puis ce qu’il préfère qui ressortit à la poésie et rapproche Proust de Shakespeare : « Il y a chez Proust une sorte de comédie féerique, qui se joue de volume en volume, et qui est traversée par les mêmes éclaircies de beauté, les mêmes poudroiements d’irréel qu’il y a dans Comme il vous plaira ou la Douzième nuit. Brusquement, dans son examen sarcastique et minutieux de la vie mondaine, Marcel Proust s’interrompt presque sans transition. C’est que quelque chose de la Nature vient d’intervenir, de lui apporter sa bouffée et sa couleur, et qu’il est impossible de ne pas tout interrompre pour chanter ce monde avec autant de fraîcheur que Théocrite ou que Virgile. »

A la fois passionné et constamment exaspéré par le personnage, et presque chaque phrase de Céline. Le type du hâbleur celte. Celui qui la ramène. Le mec. L’homme à qui on ne la fait pas. Le cynique. Picaro trouillard. Un peu tout ça.

En resongeant à ce que me disait Nancy Huston à propos de Tzvetan Todorov et de ses rapports avec son enfant, je me dis que le sens est donné à notre vie par l’attention et le souci qu’on lui consacre. Elle voyait cet homme tout faire pour l’enfant dont la mère était absente. De la même façon, la relation entre ma bonne amie et moi s’est énormément consolidée par l’attention respective que nous avons consacrée à nos filles, jusqu’à maintenant.

Celui qui n’a plus de goût pour la vie / Celle qui se fixe des programmes / Ceux qui se taisent.


Que l’amour est ma seule mesure et ma seule boussole : j’entends l’amour d’L.

Pour se purifier de toute rancœur et de tout ressentiment, une bonne méthode consiste à tâcher de voir celui qui nous fait mal dans le plan général de sa vie et de la vie, pour se rappeler la juste proportion de tout ça.

Evoquant la « contemplation du temps » à laquelle s’est livré Proust, Edmond Jaloux écrit « qu’on voit aussi à quel point nos sentiments sont, en quelque sorte, des mythes créés par nous-même pour nous aider à vivre, des heures de grâce accordée à notre insatiabilité affectueuse, mais des heures qui n’ont pas de lendemain, puisqu’il nous est parfois impossible de comprendre, quand le vertige que nous communique un être est terminé, de qui était fait ce vertige ».

Cela me fait penser à mes anciens amis, que je tiens pour morts parce qu’ils se sont comportés, avec moi, comme des morts, ou plus exactement : de façon moins vivante que des morts, car mes morts, mon père, Reynald, Edouard, ma mère, mes chers morts, eux, vivent.

Tout faire pour échapper au magma des médias.

Se purger de ce que Kundera appelle l’eau sale de la musique.

Travailler n’est pas pour moi remplir le vide des heures mais donner du sens à chacune de ces heures et en tirer de la beauté, laquelle n’est qu’une intensification rayonnante de notre sentiment d’être au monde

La phrase de Céline est certes une musique, mais de savoir le musicien si mythomane et méchant me gâte la mélodie, tandis que je ne cesse d’être enchanté par la musique de Charles-Albert.

Partagé, en lisant Calaferte, entre l’adhésion et la réserve. Il y a chez lui de l’écrivain authentique et du ronchon caractériel qui m’intéresse tout en me déplaisant parfois par l’aigreur que j’y trouve.

D’où viennent les frustrations ? D’où vient le ressentiment ? D’où viennent les pulsions meurtrières ? C’est à ces questions que répondent les romans de Patricia Highsmith.

Louis Calaferte est mort à peu près méconnu, et j’ai comme l’impression qu’il l’a cherché, guère plus pressé de se montrer aimable avec les uns et les autres, mais à mes yeux il ne cesse de vivre (je poursuis ces jours la lecture de ses Carnets de 1989) et c’est cela aussi que j’aimerais susciter après ma mort de la part de quelques lecteurs : cette reconnaissance secrète et d’autant plus véridique.

« Nul n’est mon rival, doit être la formule inconditionnelle ». (Louis Calaferte)

« Notre seule honorable mesure est celle de l’amour et de la compassion. ». (Louis Calaferte)

Je n’ai qu’à recopier ceci, de Calaferte aussi, que j’ai vécu, ces dernières années, plus souvent qu’à mon tour : « En amitié, les déceptions nous sont plus tristes qu’amères. Il s’était établi un courant de confiance qu’on croyait inébranlable, puis intervient la fissure nous laissant comme démuni. Ce qu’on comprend difficilement, c’est qu’on puisse en ces régions de la sensibilité agir avec une complète désinvolture insouciante, comme on le voit fréquemment de la part de certains qui, pour nous séduire, ont usé de l’attrait de leurs qualités, tout à coup lâchant bride à l’indifférence froide qui, au fond, les mène ». Je souligne cette expression si bien appropriée à certains de mes feus amis : « l’indifférence froide »…

A La Désirade ce samedi 19 février. – Il neige à poings fermés, et je remonte de la « maison basse », comme Freud appelait le subconscient, en murmurant de nouveaux débuts de phrases.

Lisant ce matin Millenium people de J.G. Ballard, je me disais que l’essentiel du malaise actuel, omniprésent dans nos villes, nos bureaux et nos journaux, est d’ordre psychologique. Une espèce de paranoïa sévit dans les têtes, et pas dans celles des gens les plus démunis ou atteints. Ballard met le doigt sur le ras-le-bol de la classe moyenne lié à la perte du sens de son existence et à l’ennui que ressentent de plus en plus de gens de plus en plus « libres ». Chacun de nous est devenu beaucoup plus fragile, à ce qu’il semble, tout en vivant une vie plus objectivement facile que ne l’était celle de ses parents.

A La Désirade, ce mercredi 23 février. – Je pense à la mort. Je pense au vide. Je pense à la nuit. Je pense au père. Je pense à Dieu. Je suis imprégné de cette présence. Je suis plein de cette « voix ». Cela parle en moi sans discontinuer. Mais n’est-ce pas « moi » ? N’est-ce pas simplement « ma conscience » qui me parle ? Et qu’est-ce que cette « conscience » ? Je ne sais. Je sens pourtant que je ne suis pas seul. Je pressens que cela signifie quelque chose. Sans prier je me trouve en état d’oraison. Ouvert à la nuit et au jour. Il est cinq heures et demie du matin. Donc je me lève.

Thierry Vernet : « Le beauté est ce qui abolit le temps ». Et cela qui me semble su juste aussi : « Une forme doit avoir les yeux ouverts et le cul fermé ». On ne sait pas trop ce que cela veut dire, mais il y a du vrai.

Plus je vais et plus je me rends compte de cela que je ne suis moi-même qu’en retrouvant ma disponibilité enfantine au jeu. Toute autre posture intérieure me disconvient et même : me contrarie. Jamais je ne serais adulte responsable au sens où ils l’entendent, même si je me fais une idée aussi conséquente, sinon plus encore qu’eux, de la responsabilité.

Rousseau : « Seul celui qui marche est apte au réel ».

Celui qui boit pour supporter tout ça / Celle qui tient son journal sur Internet / Ceux qui se baladent dans les bois.

A La Désirade, ce mardi 14 juin
. – L’aube se lève et je reçois un SMS de ma bonne amie, restée en plaine, me souhaitant un bon anniversaire. Je pense à mes petits parents au ciel et à nos grandes filles à la veille de leurs examens universitaires. Résolution solennelle du jour : je voudrais exprimer beaucoup plus (écriture et peinturlure) et surtout beaucoup mieux, dans le sens d’une reconnaissance de ce qui est. Merci la vie.

J’ai beau me répandre ces jours online, je reste essentiellement attaché à mes outils artisanaux, à l’encre verte de ma Shaeffer à bec oblique et au rythme lent et régulier que ménage la plume à l’ancienne.

Le compteur de mon blog indique 189 visiteurs après 10 jours et quelque 30 textes balancés sur HautEtFort. Est-ce peu ou beaucoup ? Je n’en sais rien et m’en fiche pas mal ; je vais me limiter désormais à une heure de communication online, la nuit, par le truchement du fil ténu qui tombe de notre nid d’aigle au relais électrique sis au bord de la route du val suspendu, là-bas au-dessus de la baie de Clarens – mais je n’en attends rien de particulier sinon quelques signes amicaux d’un archipel à l’autre, donc relax Max…











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