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nature

  • Le dieu Torrent

     

    medium_Cascade.jpgSouvenir de la Haute Vallée

    En mémoire d'E.

    En ces lieux loge encore un dieu, qui nous était apparu ce matin-là dans un nimbe de lumière fraîche et de tonitruante écume…

    Avec l'ami secret nous avions déjà marché plus de deux heures sur le chemin suspendu, depuis l’alpe verrouillant l’amont de la vallée au pied des cols de neige, nous étions tous deux silencieux et comme enivrés par les parfums de la prairie en gloire, et dans la rumeur latente des eaux de fonte il nous avait paru déceler une voix plus grave, plus forte et se rapprochant, lorsque, au tournant d’un éperon de rocher, nous a saisis soudain la même stupeur pour ainsi dire sacrée devant la chute verticale du torrent auréolé de formidables étincelles d’eau et traversé de rayons lumineux, qui semblait tomber du ciel même et tonner, ou rugir en fauve écumant, ou mugir des hymnes, comme un personnage évoquant je ne sais quelle mythologie himalayenne – oui, c’est cela : c’était le dieu-torrent, et longtemps après que nous eûmes repris notre chemin cette présence nous a hantés tous deux, ainsi que nous nous le sommes rappelés le soir dans l’auberge où nous évoquions nos vies en éclusant une Dôle de Salquenen à la robe de velours grenat douce au palais...

  • Virée matinale

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    La Dent de Jaman en une heure pile 
    De la baie de Montreux en levant les yeux, nombre d’étrangers croient y voir le Cervin, dont elle a vaguement le profil busqué. Rendant visite à Nabokov, Daniel Rondeau a fait de cette bévue un trait perdurable de son entretien publié en recueil. Le Maître n’a pas dû relire sa copie, ou a laissé la bourde par malice. Bref : ce n’est pas le Matterhorn qu’on voit là-haut, c’est la Dent de Jaman, et c’est sur celle-ci que j’ai jeté mon dévolu pour ma virée de ce matin, profitant de l’embellie.
    f26a8ea518ff40b6e7276fe27dd35cd3.jpgOn peut en gagner le pied à pied ou par le petit tortillard grimpant en grinçant aux proches Rochers de Naye, mais le mieux est la voiture. En une vingtaine de minutes, de Montreux, visant d’abord le palace perché néo-gothique de Caux, fief naguère du Réarmement Moral, on gagne ensuite les Hauts de Caux où François Nourissier a longtemps eu son nid d’aigle perso, puis le Col de Jaman dont Ramuz a tiré parti des brouillards dans une petite nouvelle mémorable, évoquant l’homme perdu dans l’univers vague et semé d'embûches qui est le nôtre.
    Mais il fait ce matin grand clair, et voici le Manoïre, restau de montagne tenu (notamment) par un Malien affable. Tout y dort encore à sept heures : on attaque donc aussitôt l’arête droite de la Dent un peu pataude en son flanc ouest, par une sente rocheuse passant devant les installations de captage d’oiseaux migrateurs, dont les filets ne sont pas tendus pour le moment. On monte ensuite dans la forêt, la sente devient vite vertigineuse : on découvre par un créneau la soudaine immensité bleue du lac et la farouche face sud où divers jeunes gens pleins d’avenir se sont abîmés, on franchit des dalles, on traverses des barres rocheuses, on atteint ainsi une épaule herbeuse (trente minutes se sont écoulées) d’où se découvrent les Alpes vaudoises et fribourgeoises découpées dans un velours bleu sombre et gris taupe.
    221591542b44ecceb6ac1bc2d1edde0d.jpgReste le dernier ressaut, qu’on remonte par un sentier pierreux praticable par temps sec mais assassin dès la première pluie, et c’est alors de tous côtés que s’ouvre la vue jusqu’au Mont-Blanc à l’Est, au crêtes rosées du Jura de l’autre côté, où se creuse la conque bleutée jusqu’à l’autre bout du Léman, et voici la Croix du sommet, on souffle, on titube, on s’efforce de ne pas faire le pas de côté qui mettrait un terme à cette évocation, on se boit une gorgée de thé à la vipère, on envoie un MMS aux êtres chers, et c’est déjà le moment de descendre car le ciel menace.
    7ddc5ff70b82d5e565f39d1c31eceafb.jpgMise en garde à celles et ceux que cette brève et grisante virée attirerait : qu’elle ne doit être envisagée que par temps absolument sec, par des marcheurs peu sujets au vertige et de bon pied montagnard. L’accès à l’épaule est facilitée par le train de Naye ou le chemins agrestes du flanc nord. Certains y débarquent en parapente, lancés d'on ne sait où,  avant de rebondir dans le précipice tandis que de placides moutons mâchonnent l’herbe visiblement al dente de l'Être Suprême...

    Photos JLK: vue du sommet, la face "à vaches", le lac vue du sommet, la croix sommitale.