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  • Ouverture nocturne

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    Le fil invisible (87)

     

     
     
    Les suaves soirs de l’été lacustre approchant sur les pattes de colombe des nuits de juin, nous parlons, avec la Professorella, de Rimbaud avec lequel je passe beaucoup de temps ces temps, plongé que je suis dans la lecture et l’annotation de la saga biographique de Claude Jeancolas, snobée par d’aucuns pour manque de chic académique mais dont j’apprécie la vision passionnée et sans la jobardise du pseudo-spécialiste genre poéticien attitré (il y en a et des pires), son empathie traversante et sa façon de restituer l’entier privé (et secret, qui le reste) d’Arthur traînant la malle terrible du paternel à l’ombre de la Mother, dans l’entier de l’époque (les coulisses du collège, les triomphes un peu tristes du premier de classe, les trois fugues et la Commune, avant tout le reste), et voici que l’Amica me parle de son prof de fac lui aussi passionné de Rimbaud et qui se démenait pour faire un sort à la légende selon laquelle le cher homme se serait livré au trafic d’esclaves – fable matériellement impossible au dire du prof en question pour une question toute pratique de locomotion à dos de chameaux non pourvus d’ailes appropriées -, et j’enchaîne sur la rumeur de viol, par des communards, véhiculée par la biographe Enid Starkie, fondée sur rien d’autre que de vagues supputations sans preuves (rien à voir avec les constats médico-policiers d’après le coup de revolver de Verlaine) pour en revenir à ce qu’il y a de si émouvant et souvent bouleversant dans tous les épisodes de cette quête éperdue de liberté qui n’est ni d’un anar ni d’une icône gay (suprême idiotie actuelle) ni d’un saint ni d’un martyr ni d’un génie tournant au raté ni de tout ce qu’on a dit de lui à foison et qu’il a dit à sa façon et souvent sans le dire… Sur quoi je me demande ce que donneraient les Illuminations, Le dormeur du val,Sensation ou Génie en allemand, vu que, succédant au phone de la Professorella, voilà que mon ami Lambert m’appelle du Luxembourg et me parle de la traduction des Essais de Montaigne en allemand, pas loin d’être meilleure selon lui que l’original (!) autant que la traduction de la Recherche en polonais, par Boy Jelenski, a été dite supérieure au babil du petit Marcel (!!), mais ce n’est ni de Rimbaud ni de Montaigne que nous parlons ce soir mais de Dieu, une fois de plus, de ce bon dieu de Dieu dont Lambert a imaginé le journal intime de l’avatar paternel avant d’en venir au Fils Iéshoua qui serait de la même essence divine que l'initial Elohïm (IHVH, Adonaï), puis Lambert me dit que le balcon au bord du ciel de La Désirade (où il a séjourné et dormi dans son pyjama noir) est à ses yeux de ces lieux favorables à la perception de l’universalité singulière de l’Univers général, je lui dis que le Poke Bowl volaille d’été vient de m'être servi par Elisa la Capverdienne avec trois décis de Pinot noir bien rouge, et comme c’est le soir de l’Ascension nous nous souhaitons mutuellement l’Élevation des quatre jeudis, etc.
     
    Image JLK: ma cantine du soir, à Villeneuve sur le Haut-Lac (Suisse du sud-ouest)
  • Comme dirait le ciel

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    Nous sommes-nous assez parlé ?
    te demanderas-tu,
    songeant aux derniers jours vécus
    de qui tu as aimé,
    aussi te tourmenteras-tu,
    sans le dire à personne,
    mais la nature bonne,
    aux fées à jamais généreuses,
    vous retrouve et résonne
    de voix familières et radieuses…
     
    Ce que tu n’as pas dit,
    elle le savait bien,
    les mots, tu le sais bien aussi,
    ne disent parfois rien
    de ce qu’ont avoué les yeux,
    ou rien qu’un ton de voix,
    ou le tremblement d’une main
    s’efforçant de parler…
     
    Ce qu’on dira de vos amours,
    des passions cruelles
    et autres trahisons mortelles,
    ou de l’autre merveille
    que ce fut d’aimer sans détour,
    ne sera jamais que l’ombre
    de ce que me dit en secret
    le ciel du pur aguet…
     
    Peinture: Magritte

  • Comme un recours angélique

     
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    (En mémoire de Paul Léautaud
    dont les derniers mots furent :
    « foutez-moi la paix !)
     
    Des mains de vieux lui sont venues :
    des mains qui lâchent prise,
    des mains qui ne concevront plus
    de fresques ni de frises,
    des mains qu’on dirait inutiles
    aux chantiers importants,
    des mains qu’on jugerait futiles,
    en tout cas infertiles -
    des mains égarées dans le vide
    sans autre lendemain –
    des mains qui pourtant se rebiffent
    à recoiffer les friches…
     
    À croire qu’il n’y a plus à faire,
    qu’à parler aux enfants,
    insupportables garnements,
    lui rappelant pourtant
    ces années joliment rebelles
    qui rendent la vie plus belle ;
    plus rien que les yeux de l’aïeul
    plus rien que cet esprit
    constellant ses lazzis :
    le vioque assurément se moque
    du peu de fantaisie
    des nouveaux règlements prescrits…
     
    Chats et chiens seront les témoins
    qu’il y avait un saint
    caché au cœur de l’emmerdeur
    jurant qu’il ne serait jamais pris
    à l’illusion de paradis ;
    et voici qu’un chœur tout là-haut
    retentit dans le ciel
    peint en bleu du vieux théâtre
    et voilà que la Poésie
    contre toute pensée saumâtre
    fait croire à l’infini…

  • Je me souviens...

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    Notes du fils, dans le train du retour de la Casa Hermann Hesse de Montagnola, au Tessin, la nuit du 15 août 2002, après qu’il eut appris que sa mère venait d’être frappée d’une hémorragie cérébrale qui la laisserait sans conscience jusqu’à sa mort, dix jours plus tard…

    Je me souviens d’elle dans la cuisine de la maison natale, auprès de l’ancien petit poêle à bois, tandis que je regardais les photos du Livre des desserts du Dr Oetker.

    Je me souviens d’elle en bottes de caoutchouc, maniant une batte de bois, dans la buée de la chambre à lessive.

    Je me souviens de ses photos de jeune fille en tresses.

    Je me souviens d’avoir été méchant avec elle, une fois, vers ma quinzième année.

    Je me souviens de sa façon de nous appeler à table.

    Je me souviens de son assez insupportable entrain du matin, quand elle ouvrait les volets en les faisant claquer.

    Je me souviens de sa façon de dire pendant la guerre...

    Je me souviens quand elle nous lisait Papelucho, la série des Amadou ou Londubec et Poutillon.

    Je me souviens de l’avoir surprise toute nue, une fois, en entrant par inadvertance dans la chambre à coucher des parents: je me souviens de sa forêt...


    Je me souviens de nos dimanches matin dans leur lit.

    Je me souviens de sa façon de nous seriner l’importance de l’économie.

    Je me souviens du grand baquet de bois, pour les grands, et du petit baquet de fer, pour les petits.

    Je me souviens de la lampe de chevet que lui avait offert, sur ses patientes économies (une pièce de cent sous après l’autre), un ouvrier de la fabrique d’ascenseurs où elle était comptable, qui l’avait à la bonne.

    Je me souviens de son explication confuse, rapport aux pattes qu’elle suspendait à la lessive: que c'était pour les dames...

    Je me souviens de sa discrétion (timidité) et de son indiscrétion (naïveté).

    Je me souviens de sa lettre indignée à Kaspar Villiger, ministre des finances, à propos du sort réservée aux vieilles personnes dans ce pays de nantis.

    Je me souviens de ses bas opaques.

    Je me souviens de ses larmes.

    Je me souviens du cahier jaune qu’elle a rédigé à mon intention après la mort de notre père.

    Je me souviens de sa façon de me recommander de ne pas trop travailler.

    Je me souviens de sa façon de faire les comptes.

    Je me souviens de sa façon de préparer les salaires de nos filles.

    Je me souviens de ses derniers trous de mémoire.

    Je me souviens de sa collection de chèques de voyage.

    Je me souviens de sa querelle, à propos de la facture de l’entretien d’une pierre tombale de sa belle-mère que sa belle-soeur ne voulait pas l’aider à régler.

    Je me souviens des petits repas de nos dernières années, au Populaire, où elle me recommandait toujours de ne pas «faire de folies».

    Je me souviens de leur façon de préparer Noël dans la maison, notre père et elle.

    La mère, de Lucian Freud.

  • Comme un Dieu caché

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    (Pour Lambert)
     
    On n’entendait plus que des cris,
    et la nuit revenue,
    le noir fut tout enseveli
    dans le gris du brouillard,
    mais les griffes, les dents féroces,
    l’haleine de la haine atroce
    dans la grisaille humaine
    ne cessent de tendre à la force
    de la mauvaiseté…
    Il avait l’air d’un doux agneau,
    cet insidieux salaud,
    elle était tout sucre tout miel ,
    la nitouche de fiel,
    et le seul nom de pilori
    érigé comme un pal
    suffit à les galvaniser
    comme autant d’ombres sombres
    au pur aval du Mal...
     
    Mais comme il fait beau ce matin,
    nous nous réjouissons
    de la non moins pure idiotie,
    en nos yeux cet épieu,
    de l’innocente folie de Dieu…
     
    Image: Philip Seelen.