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  • Sollers sans aveu

    Philippe Sollers admirable, imbuvable, insaisissable, ambigu, inaperçu, mouvant - Sollers22.jpgémouvant ?

    Dialogue schizo


    En marge de la lecture de Discours parfait, de Passion fixe et des Voyageurs du temps. Approximations et contrepoints.

    Moi l’autre : - Et alors ? Toujours épaté par la (re) lecture de Sollers ?
    Moi l’un : - De plus en plus… et de moins en moins : de plus en plus intéressé, mais de moins en moins ébloui, je dirai, ce qui est bon signe je crois. Je l’ai dit et répété : c’est un merveilleux lecteur et c’est par celui-ci, via La guerre du goût et Eloge de l’infini que j’y suis revenu. Une vie divine est une lecture de Nietzsche qui flamboie de prose heureuse. Aussi, je l'apprécie en crescendo parce que le Sollers prosateur lumineux et fluide du tout début juvénile repique depuis Femmes et ses successives défrocations, que le Sollers écrivain heureux frondeur solipsiste s’épanouit dans sa nature, que le Sollers poseur jamais posé ne cesse de rebondir ailleurs et de bonifier, mais cet étourdissant phraseur aux vrais moments de grâce ne me comble jamais vraiment tout à fait pour autant, je dirai comme Rousseau ou comme Genet, Rimbaud me comblent, et c’est probablement bon signe…
    Moi l’autre : - Mais en quoi donc ?
    Moi l’un : - En cela que ce très et trop brillant sujet n’est pas intéressant à mes yeux pour sa virtuosité et son érudition ni même par sa maestria de styliste autant dire : pour ses performances. C’est sa faiblesse qui m’intéresse, et cela fait signe vers une oeuvre à venir. J’attends la folie. J’attends la faille. J’attends la première maladresse du tireur qui se dit d’élite et nous en met plein la vue. J’attends le premier aveu du faraud jeune homme – car il reste l’éternel jeune homme que Dieu doit casser – ou rien ne se passera. Mais le Destin l’attend comme le cheval de Nietzsche, ou tout cela n’aura jamais été que littérature presque d'imitation. Tandis que si ça casse, c’est là que l’on verra vraiment à qui on a affaire. Pour le moment il croit qu'il met en plein dans la cible, il jette tous ses feu, il est au milieu du milieu, il a tout compris, tout prévu, Jésus l’a pressenti, Dante l’annonçait, Nietzsche et Rimbaud le portent en avant : il rutile, c’est le Paon qui s’aime tant qu’il s’est inventé une aura supplémentaire d’opprobre et de malédiction, il est honni, aussi vilipendé que Maistre, Céline et Artaud réunis, c’est le fils à maman absolu.
    Moi l’autre : - Comme tu y vas…
    Moi l’un : - J’y vais un peu au bluff, mais s’agissant d’un personnage qui ne fait que bluffer, disons que je reste dans le ton.
    Moi l’autre : - Et que veux-tu dire alors ? Que te manque-t-il chez lui ?
    Moi l’un : - Une seule chose, une seule : l’émotion. Je ne parle pas de l’émotion esthétique ou de toutes les formes d’intuition les plus délicates. Je parle de l’émotion. Je parle du cœur. Je parle du regard sur autrui. Je ne parle pas de la Schwärmerei qui lui fait horreur après Nietzsche, d’un sentimentalisme baveux, mais je parle de l’émotion. Je parle de la faiblesse, et pas seulement de la faiblesse de Maman (Ma Maman), mais de la faiblesse. J’ouvre l’horrible Bloy et la voilà : la femme pauvre, la femme qui pleure, c’est ça qui me manque chez Sollers. Aucune charité. Aucun pleur.
    Moi l’autre : - Il va te ressortir la névrose du christianisme…
    Moi l’un : - C’est ça : qu’il la sorte, je l’emmerde.
    Moi l’autre : - Il va te traiter de fiote protestante.
    Moi l’un : - Il aura tout à fait raison, je viens de donner à la Croix-Rouge pour Haïti.
    Moi l’autre : - Enfin tu arrêterais de le lire pour autant ?
    Moi l’un : - Absolument pas : au contraire, je suis très curieux de le voir évoluer encore. On pourrait être surpris. Peut-être va-t-il être atteint un jour dans sa chair ? Je ne le lui souhaite pas, mais ça compte. Il est pour l’heure heureux et ravi de faire des jaloux, trônant dans son corps, mais demain ? Et puis il y rossignol : il ya tout de même tout ce qu’il y a chez lui d’une musique vivante et sans cesse renouvelée, qui n’est pas rien. Je l’ai dit et le répète : c’est un passeur vivifiant. C'est un putain d'écrivain...
    Moi l’autre : - Tu le crois croyant ?
    Moi l’un : - Je ne sais pas. Je m’en fous autant que lui. C’est une affaire top secrète. Je crois qu’il a le sens du secret du monde mais encore trop d’orgueil. Il se croit au parfum suprême – d’où la gnose. Mais est-ce qu’on sait ? En attendant, il est d’une prétention qui lui fait du tort. Et puis cette histoire d'Eglise, de Fille aînée, cette vaticanerie carnavalesque tu sais combien l'huguenot guenilleux que je suis la vénère...
    Moi l’autre : - Mais enfin c’est un écrivain.
    Moi l’un : - C’est un écrivain. Et de plus en plus. Et là plus de triche ni de pose : c’est l’enfant Sollers ingénu qui bondit à travers le jardin en s’exclamant : je sais lire, je sais lire ! C'est la merveille de lire et d'écrire ! Et hier je notais ce qu'il écrivait hier matin comme demain: que la lumière fait signe. Mais surtout ça qu'il me racontait l'autre jour: à trois ans courant vers sa mère: Je sais lire ! Je sais lire !
    Moi l’autre : - My God mais tu as les larmes aux zyeux…
    Moi l’un : C’est l’émotion, qu’est-ce que tu veux…

  • Le mentir vrai de Régis Jauffret

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    Régis Jauffret revisite l’affaire Stern en se coulant dans la peau de la meurtrière. Paradoxalement, la fiction sonne ici plus vrai que les faits étalés.

    Il y a tout juste cinq ans de ça, le 1er mars 2005, le richissime banquier Edouard Stern, figure du gotha international, fut retrouvé mort à Genève, le corps gainé d’une combinaison de latex, ligoté et criblé de quatre balles. Identifiée comme la coupable de ce meurtre sordide en milieu chic, Cécile Brossard, «secrétaire sexuelle» quadra du milliardaire, fut jugée et condamnée à 8ans et demi de prison. Elle en sort ces jours…
    Au procès assistait le romancier français Régis Jauffret (déjà connu pour une œuvre noire, notamment marquée par Clémence Picot, Asiles de fous - Prix Femina 2005 - ou Microfictions), qui en rendit compte dans Le Nouvel Observateur, comme l’avait fait Emmanuel Carrère, lui aussi romancier de premier rang, d’un autre procès mémorable, du faux médecin mythomane Jean-Claude Romand qui massacra sa famille.
    Or le rapprochement lance évidemment la question: en quoi le roman permet-il d’aller «plus loin» que le seul reportage? Avec L’Adversaire (Gallimard 2002), Carrère avait répondu par une véritable immersion dans le milieu fréquenté par le tueur, qu’il avait approché personnellement. Tout autre est la démarche de Régis Jauffret, qui se coule littéralement dans le personnage de la criminelle (jamais nommée, pas plus que Stern) dont il raconte les tribulations au fil de la longue fugue, jusqu’en Australie, qui suit immédiatement son meurtre avant qu’elle ne se livre à la police. Dans la foulée, on revit une aventure passionnelle immédiatement marquée par la personnalité très ambivalente du banquier, mélange de dominateur cynique passionné d’armes et de fils à maman blessé se pelotonnant auprès de sa maîtresse en lui confessant sa «peur des loups». Le mari, aussi malin que falot, admet que sa conjointe devienne son «chéquier vivant» avec son rival qui l’humilie, mais la relation triangulaire se complique encore avec les enfants du banquier que la double vie glauque de leur père traumatisera. La narratrice les comprend d’autant mieux que sa propre enfance a été une horreur, violée qu’elle fut à 12 ans par un ami de sa mère et terrorisée par un père violent et lubrique.
    Au demeurant il y eut aussi de beaux moments dans cette passion, représentant plus qu’une banale relation tarifée. «Il était le seul homme à m’avoir à ce point voulue», remarque-t-elle ainsi, et lui dit à un moment donné qu’il aimerait un enfant d’elle, puis lui offre 1 million en guise de «bébé» de substitution, dont il lui refuse finalement la garde. Et les coups, les cadeaux, la goujaterie d’alterner: «Il exigeait que je le maltraite. C’était un ordre. Une prérogative de son pouvoir absolu. De la dominatrice, il a toujours été le maître.»
    Dans son préambule, Régis Jauffret affirme que «la fiction éclaire comme une torche», mais aussi que «la fiction ment». Le romancier fait parfois violence à la logique pour fouiller la déraison humaine. Il en résulte un roman net et cinglant, qui n’excuse personne mais diffuse une réelle empathie - non sentimentale.

    Obscure passion
    De quel droit Régis Jauffret parle-t-il au nom de la meurtrière qui crache son histoire dans Sévère? Pas un instant on ne se le demande en commençant de lire ce récit mené à la cravache. «Je l’ai rencontré un soir de printemps» sonne comme «il était une fois», et c’est parti pour le conte noir. Onze lignes sèches pour dire comment tout s’est précipité après que le banquier a repris le million de dollars que sa maîtresse lui a extorqué: «Je l’ai abattu d’une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l’avais attaché. Il respirait encore. Je l’ai achevé. Je suis allée prendre une douche…»
    Schlague des mots. Cela s’est-il passé exactement comme ça? On s’en fout. Régis Jauffret a suivi tout le procès Stern, dont il connaît les détails, mais ici, le fait divers devient mythe. Pas trace du voyeurisme moralisant des médias. On croit cette femme: dure pour en avoir bavé dès l’enfance, et qui rêve encore du prince charmant, richissime pauvre type, dominateur et perdu. Et la vie de s’en mêler: l’obscur de la passion humaine, la société et ses embrouilles…
    Le noir a toujours marqué les romans de Régis Jauffret, parfois jusqu’au morbide. Or, curieusement, le plus saturé de réalité «réelle» d’entre eux, le plus limpide aussi, sonne le plus vrai, grâce à la fiction…

    Régis Jauffret, Sévère. Seuil, 160p.

  • Ceux qui vitupèrent

    Pointbarre.jpgCelui qui récrimine tellement qu’il lui est venu une gueule de dragon domestique japonais figé dans le bois dur / Celle qui peuple son aire de concierge du 21 de la rue de la Félicité (Batignolles) de l’Universelle Jérémiade / Ceux qui se réveillent furieux et se mordent parfois eux-mêmes dans le miroir ébréché de leur putain de lavabo / Celui qui se pose en nouveau Léon Bloy alors que plus personne ne se rappelle le style flamboyant de l’Entrepreneur de démolition et ne peut donc clouer le bec au fâcheux / Celle qui évite de mettre son parâtre en colère de crainte de le voir expulser une fois de plus son appareil dentaire et d’avoir une fois de plus à le ramasser vu qu’il est paralysé / Ceux qui ne peuvent entrer en contradiction qu’en vociférant à l’instar de leur chef de parti de plus en plus sourd et fascisant / Celui que l’académicien Jean Dutourd cherche à convaincre que le Club des Ronchons est en somme un aréopage de joyeux drilles / Celle qui peste à tout propos et diffuse une odeur d’ail qui accentue encore l’aigreur de ses propos / Ceux qui ne se parlent qu’en hurlant dans le bruit de machines du sous-marin et se révèlent de très doux compères à l’heure du thé / Celui qui a enregistré plusieurs discours d’Adolf Hitler sur une cassette qu’il envoie à tout interlocuteur qui l’embête au téléphone / Celle qui ne crie jamais que de plaisir / Ceux qui n’ont jamais vu Thomas Bernhard sortir de sa réserve discrète en tout cas dans les cafés de Salzburg où ils le croisaient à l’époque / Celui dont l’alacrité dans l’irascibilité fait toussoter les autres conseillers de la paroisse des Oiseaux / Celle qui admoneste ses jeunes employées de mauvais poil sous prétexte que ce n’est pas ainsi qu’on va séduire le client / Ceux qui se plaindraient s’ils n’avaient plus de quoi râler, etc.

  • Supplément

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    …Quant à la pesée d’âme, ce n’est pas à notre Bureau des Patriotes qu’elle s’effectue mais au bout du couloir, chez le Révérend Donahue - voici le Formulaire à remplir et son timbre de 500 $...


    Image : Philip Seelen