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  • Un pour tous

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    …Alors là, soit le type voit double après avoir pris un Schnaps de trop, soit c’est l’Office du Tourisme qui double la mise pour en mettre plein la vue aux Japonais, mais pour nous autres le Matterhorn et le Cervin, c’est comme Wilhelm et Guillaume Tell: ça fait qu’un…

    Image : Philip Seelen   

  • Sérénité

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    …Ils disent toujours que je suis dans la lune, mais tu crois qu’ils me feraient un signe quand ils passent - que dalle ils foncent tout droit, à tirer des plans sur la comète des investissements vers les nouveaux marchés, mais note que je ne me plains pas : moi j’ai la Mer de la Tranquillité pour horizon et c’est pas demain que le soleil va se crasher en Bourse…
    Image : Philip Seelen

  • Des intersections existentielles

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    Lectures panoptiques (7)

     

    A propos de la petite arnaqueuse slovaque, de Karol l’autostoppeur et du premier roman de Pascal Janovjak. De Samuel le Congolais et du journal intime de Richard Dindo revenant de Mars et environs…

     

    Karol avait mis deux jours à rallier cette aire d’autoroute des alentours de Berne, depuis Salzburg, lorsque nous l’avons embarqué l’autre soir, mais c’est lui qui nous a raconté cet épisode édifiant qui explique, sinon excuse, la méfiance des gens d’aujourd’hui à l’égard des stoppeurs. C’était il y a quelques années, entre Prague et Bratislava où Karol, restaurateur d’art de son métier, emmena telle jeune fille sur cinq cents bornes quand, au moment de descendre de voiture, en guise de remerciement, la petite arnaqueuse lui réclama 300 euros faute de quoi elle se pointerait illico dans un poste de police pour l’accuser de tentative de viol et, devant son refus, de commencer de lacérer ses bas... Hélas la petiote était mal tombée. De fait, l’attrapant fissa par les cheveux, le vigoureux Karol l’amena lui-même aux flics pour leur raconter l’épisode avant d’apprendre que sa « victime » avait déjà pas mal d’affaires de ce genre à son actif…

    Janovjak3.JPGLa nuit tombait à présent sur le lac immense, Karol s’était émerveillé à sa vue en se pointant à La Désirade où nous l’avions convié à passer la nuit au lieu d’attendre les improbable bonnes âmes qui l’amèneraient, sans un sou en poche, jusqu’à Saint-Jean de Luz où il allait restaurer un monastère dominicain avec une équipe de compatriotes, au titre d’un échange européen. Or, après qu’il nous eut longuement parlé de son pays, je lui montrai L’homme invisible, premier roman de notre ami Pascal Janovjak arrivé par la poste le matin même – et lui de relever le nom des éditions Samizdat où parut en 2007, à Genève, le premier ouvrage de Pascal, à la même enseigne que le journal auquel collaborait, il y a vingt ans de ça, le père de Karol, que la chute du mur fit sortir de prison après une année de détention alors qu’il devait en purger sept pour activités dissidentes… 

     

    °°°

     

    Le même après-midi du mercredi de cette rencontre qui scellera peut-être, à Karol d’en décider, une nouvelle amitié, je suis tombé, dans l’institution où notre nonagénaire tante B. coule une paisible fin de vie, sur un jeune Congolais francophone immédiatement ravi de nous entendre parler sa langue, et commençant de me raconter ses pérégrinations loin de son pays (il vient de Kinshasha) tandis que je lui parlais des Hauts plateaux de Lieve Joris, de la région d’Uvira et du Kivu dont il connaît les dangers autant qu’il se montre pessimiste sur l’avenir de son pauvre pays.

    Nous parlions, avec ma chère marraine que Samuel pressait de boire son café froid avec des attentions de chaperon, de nos souvenirs de vacances au Tessin ou dans l’Oberland, je venais de faire chez elle une razzia de tous les albums de photo de notre tribu alémanique, remontant jusqu’à la fin du XIXe siècle - quand nos grands-parents sillonnaient l’Europe et la Russie d’un emploi d’hôtel à l’autre -, je me rappelai les mots arabes, espagnols ou anglais, italiens ou russes que notre grand-père essayait de nous faire mémoriser, et j’étais tout désolé de ne pouvoir en répéter aucun en swahili au souriant Africain…

     

       °°°

     

    Dindo1.jpgNous serons de retour la semaine prochaine à Locarno où, à neuf ou dix ans, j’ai passé avec ma sœur L. deux semaines édénique en compagnie de notre chère tante aussi friande de baignades que de balades, entre palmiers et châtaigniers, lagons d'Ascona et vasques du val Maggia. Or je me réjouis d’y retrouver Richard Dindo dont le journal intime pléthorique, mais interdit de lecture, s’intitule Le Livre des coïncidences, si j’ai bonne mémoire (et j’ai très bonne mémoire), et qui présentera au Festival son dernier film consacré aux dingues de Mars qu’il a rencontré aux States, qu’ils soient « platoniquement » passionnés par la planète rouge ou qu’ils se préparent effectivement au grand voyage interstellaire. Après Rimbaud et Kafka, Max Frisch et Jean Genet, entre tant d’autres sujets qu’il a documentés avec autant de sensibilité  que de féroce rigueur, je suis impatient de me retrouver dans les faubourgs de Mars avec cet éternel rebelle au regard si décapant… 

     

    Image: Marsdreamers de Richard Dindo. L'Homme invisible, de Pascal Janovjak, à paraître à la rentrée chez Buchet-Chastel; Richard Dindo.

  • L'enfant à venir

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    Le jour est bien levé et lavé maintenant, ce matin de Pâques et du retour à ce qu’on dit les beaux jours, pleins de fiel et de sang. Un fond de bleus et de bruns terreux, travaillés par les années, un fond de verts et de terres à lents glacis, un fond de litanies en mineur, un fond de douleurs retournées et d’incompréhensible gaîté tisse la page de plus qui se déploie à l’instant et nous écrit. 

     

    La page qui nous écrit, dès cette aube que vous croyez pure, est irradiée et mortellement avariée par les sbires du Planificateur. Or Mozart est solide en bourse ce matin. Le titre Baudelaire bien placé ce matin lui aussi.  Les démons de Dostoïevski se portent bien, merci, ce  matin radieux. Les enfants en armes sont également donnés gagnants pour le tiercé de ce matin ; les enfants des rues prêts à se vendre ce matin aux ordres des réseaux du Planificateur ; le chaos minutieusement rétabli ce matin par les services du Planificateur…

     La tentation serait alors de conclure qu’il n’y aurait plus rien : que rien ne vaudrait plus la peine, que tout serait trop gâté et gâché, que tout serait trop lourd, que tout serait tombé trop bas, que tout serait trop encombré. On chercherait quelqu’un à qui parler mais personne, on regarderait autour de soi mais personne que la foule, on dirait encore quelque chose mais pas un écho, on se tairait alors, on se tairait tout à fait, on ferait le vide, on ferait le vide complet et c’est alors, seulement - seulement alors qu’on serait prêt, peut-être, à entendre le chant du monde.

    Ainsi le prêchi-prêcheur de ce matin le dit-il, en vérité il le leur dit, aux mères du monde dans lequel nous vivons : qu’elles n’aient  aucun regret, car ce qui leur reste de meilleur n’est pas que du passé, ce qui les fait vivre est ce qui vit en elles de ce passé qui ne passera jamais tant qu’elles vivront, et quand elles ne vivront plus leurs enfants se rappelleront ce peu d’elles qui fut l’étincelle de leur présent - ce feu d’elles  qui nous éclaire à présent, et la lumière de tout ça, la lumière sans nom de tout ça – la lumière témoignera.

     

    Une fois de plus, à l’instant, voici donc l’émouvante beauté du lever du jour, l’émouvante beauté d’une aube d’été bleu pervenche, l’émouvante beauté des gens le matin, l’émouvante beauté d’une pensée douce flottant comme un nuage immobile absolument sur le lac bleu soyeux, l’émouvante beauté de ce que voit mieux que nous l’aveugle ce matin, les yeux ouverts sur son secret...

    Le feu ne cesse pas d’être le feu de très longue mémoire. Bien avant leur naissance ils le portaient de maison en maison, le premier levé en portait le brasero par les hameaux et les villages, de foyer en foyer, tous le recevaient, ceux qu’on aimait et ceux qu’on n’aimait pas, ainsi la vie passait-elle avec la guerre, dans le temps

    Trop souvent, cependant, nous avons négligé le feu. Ce qui nous était naturel, la poésie élémentaire de la vie et la philosophie élémentaire, autant dire : l’art élémentaire de la vie dont le premier geste a toujours été et sera toujours d’allumer la feu et de le garder en vie – cela s’est trop souvent perdu. 

    Or nous croyons le plus souvent que les silencieux se taisent à jamais. Mais s’ils entendaient encore, ce matin, qu’en savons-nous après tout : s’ils entendaient encore cette polyphonie des matinées qu’ils nous ont fait écouter à travers les années, s’ils entendaient ces voix qui nous restent d’eux – si nous écoutions le silence des oiseaux qui chantent en nous ?

    Ce matin encore, imaginairement descendu par les villages aux villes,  je les entends par les rues vibrantes d’appels et de répons : repasse le vitrier sous les fenêtres de nos aïeux citadins, dans le temps certes, certes il y a bien du temps de ça mais je l’entends encore par la voix des silencieux et les filles sourient toujours aux sifflets des ouvriers des vieux films du muet - et si leurs tombes restaient ouvertes aux mélodies ?

    Tous ils semblent l’avoir oublié, ou peut-être que non, au fond, comme on dit, puisque tous les matins il t’en revient des voix, et de plus en plus claires on dirait, des voix anciennes, autour des fontaines ou au fond des bois, vers les entrepôts ou dans les allées sablées des palmeraies - des voix qui allaient et revenaient, déjà, dans les vallées repliées de ta mémoire et la mémoire de tous te rappelant d’autres histoires, et revenant chaque matin de ces pays au tien - tu le vois bien, que tu n’es pas seul ni loin de tous…   

    Tout nous échappe de plus en plus, avions-nous pensé, mais c’est aujourd’hui de moins en moins qu’il faut dire puisque tout est plus clair d’approcher le mystère prochain, tout est plus beau d’apparaître pour la dernière fois peut-être – vous vous dites parfois qu’il ne restera de tout ça que des mots sans suite, mais avec les mots les choses vous  reviennent et leur murmure d’eau sourde sous les herbes, les mots affluent et refluent comme la foule à la marée des rues du matin et du  soir - et les images se déplient et se déploient comme autant de reflets des choses réelles qui viennent et reviennent à chaque déroulé du jour dans son aura.

     

    La Désirade, ce 31 juillet 2009)

     

    (Extrait de L'Enfant prodigue, récit achevé ce matin)