
(Chronique des tribus)
80.
La veille au soir, juste après avoir revu le film italien intitulé Il filo invisibile, évoquant les tribulations d’un jeune Leone gratifié par la vie de deux pères, le fils puîné de l’employé modèle et de la ménagère à son affaire a relevé, sur son fil de WhatsApp, un message de son amigo Mario Martin lui annonçant qu’il venait, avec les siens, de survoler son petit pays à destination de la Pologne native de son épouse - et les deux pères de Leone, le père militaire de Rimbaud abonné aux absents fils de l’air, le titre de la bio monumentale que Mario Martin s’apprête à publier au Mexique, consacrée à la « vie sans vie » du philosophe Albert Caraco dont le vrai père s’était effacé devant un substitut – tout ce magma l’a ramené à la « vida sin vida » de ce parangon du génie vivant de la vie dont l’existence a fasciné des kyrielles de lettrés biographes infoutus de comprendre qu’on peut être le plus grand poète de son canton et se tirer un jour sans remercier pour seul double motif de fantaisie et de liberté.
Lire le matin les Béatitudes est un exercice propre à se récurer l’âme essentielle et bien accueillir la donnée du présent en cours (tu sais par l’Almanach que ce 3 mai dédié par les catholiques aux saints Philippe et Jacques – celui-ci mis à mort au pied du temple de Jérusalem), a inspiré à la sagesse populaire un dicton sarcastique (« Mai commence par une croix, et qui se marie en traîne deux » ), la date du 3 mai 1494 est celle du débarquement de Christophe Colomb à la Jamaïque dont les Arawaks seront bientôt exterminés, et la pensée du jour (l’Almanach toujours) est empruntée à Victor Hugo : « La pensée n’est qu’un souffle, mais ce souffle remue le monde », et tout à l’heure tu prendras via Youtube des nouvelles de la Maison-Blanche et du front ukrainien où le chaos du monde se perpétue au dam des mères (tu t’imagines Vitalie Cuif quand elle apprend que le militaire de passage lui a fait un nouvel enfant juste avant de repartir pour la Crimée !) et des fils et du Saint Esprit qui tarde à se manifester dans le « chaordre » dont parlait Albert Caraco…

C’est en comédie à l’italienne que le film Il filo invisibile traite le thème du garçon à deux pères dont la mère porteuse vit aux States avec un biker, et cela le dramatise et le dédramatise donc sur fond de tendresse bienvenue, comme il en manque quand on ne s’en remet qu’aux techniciens de la psychologie qui estiment par exemple (thèse reprise par un biographe de Rimbaud) qu’un garçon qui n’a pas été « coaché » par un père biologique durant ses deux premières années risque de ne pas se développer comme il faut, risquant de devenir poète ou peut-être pire: philosophe en exil partout...
Un autre biographe de Rimbaud – celui-ci contredit par celui-là – prétend que le jeune Arthur aurait été violé par des soldats à l’époque de la Commune, sans la moindre preuve, alors qu’un autre biographe de Rimbaud prétend que celui-ci n’a jamais touché au commerce d’armes, quand a les preuves du contraire ; et ce serait toute une histoire à rallonges à la Roberto Bolaño que d’entreprendre l’aperçu biographique comparatif des biographes de Rimbaud, dont chacun est à peu près persuadé que « son » Arthur est le plus vrai ou le moins invraisemblable, à commencer par Edmund White qui a commencé de lire Rimbaud en version bilingue la nuit dans les toilettes de son internat pour seuls garçons de Detroit (USA), d'emblée un peu désolé de constater que son homosexualité relevait dans les années 50 d’une maladie et plus d’un vice abominable ou même d’un crime comme à la «Belle époque», tandis que les pères de Leone recourent à l’ADN pour savoir qui est qui, etc.