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  • Julien Sansonnens décrit juste une vie dans Une vie juste...

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    images-17.jpegAprès avoir traité de sujets plus dramatiques en apparence, comme dans L’Enfant aux étoiles évoquant la tragédie de l’Ordre du Temple solaire, l’écrivain sonde les eaux semblant paisibles, voire stagnantes d’une vie de couple approchant de la cinquantaine - mais les Suisses au-dessus de tout soupçon risquent, eux aussi, de se prendre une tasse…
    Julien Sansonnens avait-il une arrière- pensée malicieuse en intitulant son sixième roman Une vie juste, par allusion à un essai qui fit date bien avant sa naissance (en 1979), et même avant le déploiement critique de la « nouvelle histoire » helvétique, paru en 1967 sous le titre de La Suisse ou le sommeil du juste, signé Georges-André Chevallaz, historien très éveillé – il a même empêché de dormir les petits collégiens que nous étions à plancher sur son traité d’histoire suisse - et syndic de Lausanne poussant le zèle citoyen jusqu’à la présidence de la Confédération ? Eh bien non, le romancier, consulté entretemps par courriel, ne connaissait pas l’ouvrage en question, rapportant juste son titre à une oscillation ambiguë entre honorabilité et étriquement - donc l’ironie y couvait bel et bien, aussi discrète qu’elle filtre dans la narration du protagoniste, ou plus exactement dans le rapport du romancier avec celui-ci, son double à certains égards – même génération et même calvitie…
    Or ce titre d’Une vie juste convient parfaitement à ce récit, en première personne – laquelle se montre combien soucieuse de précision « horlogère » et de netteté « propre en ordre » -, d’un honnête citoyen au nom de Christophe Huguenin typique en somme de la classe moyenne suisse (européenne ou même occidentale), avec épouse moderne au format (Estelle a un job à elle, circule en trottinette et souffre juste un peu d’éco-anxiété en femme responsable) et fille en début d’émancipation sexuelle (sa mère l’a surprise le matin même en posture explicite avec son boyfriend), sans oublier la chatte Canelle vieillissante rappelant à Christophe l’inexorable progrès de nos décrépitudes.
    Ce Christophe est-il intéressant ? Oui et non. On pense un peu à l’homme sans qualités de Musil, ou aux personnages de Michel Houellebecq en l’accompagnant dans les rues de Neuchâtel, du quartier des Beaux-Arts où le couple partage un cinq-pièces plutôt bourgeois, au Vieux Port où il a rendez-vous tout à l’heure avec Estelle dans un restau-bateau qu’elle a choisi ; intéressant par ses justes propos sur le « langage » de la ville et les « signes » que nous adresse l’urbanisme en évolution, bref il a les yeux ouverts, il est intelligent et poreux mais plutôt rétif devant les nouvelles tendances (le jardinage collectif prôné par l’ « assoce » du quartier n’est pas sa tasse de saké), intéressant mais pas vraiment sympa dans sa façon de ricaner et de juger de ce qui est « juste » sans exagérer, n’est-ce pas.
    Il y a pas mal de chaud-froid dans la vie de ce Christophe que sa conjointe appelle parfois Chris et parfois même Christ ( !), une enfance plutôt banale voire froide (un père juste con, ainsi qu’on le découvre quand son fils lui présente Estelle et qu’il lâche mornement « une de plus »), une jeunesse plus déliée et chaleureuse au fil des nuits neuchâteloises que nous ne savions pas si branchées à la coule, des horizons ouverts pendant quelques années de bourlingue, une expérience « concrète » réelle (il a ouvert trois restaus à travers les années) , et puis la tendresse vécue avec Jeanne en sa petite enfance et auprès d’Estelle avec laquelle il forme un vrai couple dont il revendique la « personnalité » particulière. Mais maintenant ?
    Ce qui couve sous le couvercle…
    Dès le début du récit monologué de Christophe, c’est donc sa vision qui prévaut, non dénuée de pointes visant sa « compagne de vie », comme on dit aujourd’hui « partenaire », et l’on sent qu’il y a « quelque part » un malaise, peut-être même « anguille sous roche », sans que rien ne soit dit avant le rendez-vous sur le restau-bateau sympa où tout à coup tout vire de bord avec les premiers éléments de dialogue marqué par les questions d’Estelle relatives à un nouveau projet et/ou un nouveau départ, ce serait le moment chéri vu qu’on ne se parle plus beaucoup ces dernier temps, donc parlons-en…
    Plus banale comme situation, et à Neuchâtel au XXIe siècle, tu te dis que ça ne va pas palpiter autant que dans le dernier polar romand de Feuz & Voltenauer jumelés en larrons-qui-gagnent, et pourtant non : sans intrigue ni virage dans le gore, sans technique « forensique » et autres artifices masquant le vide insignifiant des stéréotypes, c’est le vide vibrant de deux vies vivantes que Julien Sansonnens ressaisit à fleur d’émotion et à bout de nerfs, pourrait-on dire, avec deux personnages éduqués et bien « sous tous rapports » comme vous et moi, comme on en trouve chez un Antonin Moeri dans son dernier recueil de nouvelles (Années Solex, 2024) ou dans le prochain roman à paraître de Quentin Mouron (ces prochains temps chez Favre) et suivant la même dérive que l’installateur sanitaire du petit roman Ligne de fuite signé Pierre Ronpipal (pseudo de notre camarade Patrick Morier-Genoud) et distillant le même genre de doux vitriol hyperréaliste – à découvrir aux Nouvelles Éditions Humus...
    Le sommeil du juste de Chevallaz annonçait prémonitoirement , il y a soixante ans de ça, une prochaine accélération de l’Histoire et un rêve européen à préserver du cauchemar ( ?), mais Une vie juste de Julien Sansonnens, évoque un « sommeil » débordant des frontières helvétiques, à la fois privé et quasi universel, devenu nouvelle norme puisque le couple en panne de projet, l’ennui, le confort, le malaise est désormais celui de toute une civilisation - jusqu’au Japon ou Yukio Mishima (exergue du présent roman) l’écrivait de sa plume-scalpel : «Toute œuvre d’art naît d’une résistance à son époque ».
    Julien Sansonnens. Une vie juste. Editions Livreo Alphil, 2025.

  • Comme une voix revient

     
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    « La note d’or que fait entendre
    un cor dans le lointain des bois » (Verlaine)
     
    Tu ne me quitteras jamais,
    au grand jamais des jours
    dont le sombre tambour là-bas
    dans le lointain des gares
    assourdit la lumière -
    jamais je n’ai tant espéré
    qu’en cet instant perdu
    où tu m’as reconnu …
     
    Les défunts ont pour eux le nombre
    comme un lourd océan
    où toute voix particulière
    s’oublie ou dégénère -
    c’est le tombeau des cris,
    c’est le chaos à tout jamais,
    c’est la troupe avide du rien
    que du vide stupide -
    et c’est là que je t’attendais…
     
    Une voix ce n’est presque rien,
    une voix qui disait
    ramenée alors par le vent
    de l’autre bout du temps :
    il était une fois…