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  • Pour tout dire (44)

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    À propos des paquets de réalité qu'on prend en pleine gueule, et de la difficulté d'en tirer un récit cohérent. Quelques messages échangés avec Quentin Mouron, le dernier polar de Michael Connelly et celui de l'auteur romand Julien Sansonnens. De la fureur compulsive de Snoopy à lécher sa patte blessée, etc.

    Le retour à la case casa est toujours un moment riche en sentiments-sensations confus, marqué notamment par la retrouvaille des odeurs familières, avec quelque chose de fruité et de vaguement somnolent qui se réveille au réveil des objets que nous retrouvons et qui nous murmurent des choses.

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    Le "Proust norvégien" Karl Ove Knausgaard est particulièrement attentif à ce genre de détails, qu'il capte et restitue, dans sa langue claire et prégnante à la fois, avec la même justesse précise qui lui fait décrire l'épave d'une voiture dans une forêt ou suggérer les relations physiques entretenues par un jeune garçon avec ses parents: "Grand-mère était la seule qui nous touchait, Yngve et moi, la seule qui nous embrassait et nous touchait le bras", etc.

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    Et pour la voiture retournée à l'état de nature: "Oh l'odeur de la vieille épave de voiture dans la forêt humide ! L'odeur de synthétique de sièges lacérés, auréolés et moisis, forte et presque fraîche comparée au parfum lourd et profond des feuilles en décomposition qui l'entourait de toute part. Les joints décollés qui pendaient des fenêtres, noirs comme des tentacules. Le verre en mille morceaux, disparu en grande partie dans la terre, gisant sur les tapis et sur le suis de sportives comme autant de petits diamants mats. Oh les tapis noirs ! Vous les secouiez un peu et une horde de petites bêtes affolées fuyait de tous côtés. Araignées, faucheux et cloportes. La résistance des pédales qu'on ne pouvait pratiquement plus enfoncer. les gouttes qui, traversant le pare-brise, nous tombaient directement sur la figure chaque fois que le vent les faisait dévier de leur trajectoire ou tomber des branches qui se balançaient juste au-dessus. Parfois, on trouvait des choses aux alentours, beaucoup de bouteilles, des sacs plastique contenant des magazines auto ou pornos, des paquets de cigarettes vides, des bidons vides de liquide lave-glace,un préservatif, une fois on avait m'aime trouvé un slip plein de merde. Qu'est-ce qu'on avait ri ! Quelqu'un avait chié sur lui et jeté son slip dans la forêt !"


    Hier soir, juste avant le crépuscule genre décor d'opéra romantique, j'ai continué de lire À l'ombre des jeunes filles en fleurs aux waters de La Désirade, et je me surprenais là aussi d'être scotché à l'incroyable embrouillamini psychologique du petit Marcel fuyant Gilberte pour être plus sûr qu'elle lui revienne et lui dise qu'elle ne l'aime pas histoire de relancer sa passion à lui quitte à la faire décamper - tout ça dans le même paquet de réalité qu'on prend en pleine gueule comme l'autre jour les vagues soulevées par le vent de mer et ma peine à rester debout du fait de la putain de douleur plantaire dont j'espère être débarrassé après-demain sur l'intervention chirurgicale d'un docteur à nom rital, etc.

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    Autre épisode sur la Piste Santé: Notre cher ami et voisin Philip Seelen a passé l'autre jour deux minutes de l'autre côté du miroir, tenu pour mort par l'équipe médicale en train de le travailler au coeur , mais il n'a rien eu le temps de voir de l'outre-monde, ou alors il garde ça pour lui, ce qui est sûr, c'est que cinq minutes lui eussent été fatales, et puis non: ce n'était pas l'heure, ouf le louf...

     

    D'où la bonne conversation que nous avons pu avoir hier soir, chacun en face de son laptop, sur divers artistes peintres-photographes-plasticiens plus ou moins attachés à la représentation critique de l'hyperréalité, tels que le chinois Yan Pei- Ming dont je lui ai montré les images que j'ai faites de ses œuvres exposées à Sète, L'Allemand Gottfried Helnwein qu'il a rencontré perso il ya quelques années, l'italien Luca del Baldo aux portraits rappelant ceux de Lucian Freud et l'Américain Terry Rodgers aux orgies silencieuses et aux bords de mer crépusculaires.

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    À propos d'orgie, j'ai tout de suite été accro à la lecture du polar que Julien Sansonnens m'a envoyé pendant notre absence, intitulé Les ordres de grandeur et entremêlant plusieurs récits (d'une étudiante qui se fait kidnapper au bord du lac et maltraiter ensuite par un taré, d'un présentateur vedette de télé du genre brillamment puant, et d'un couple plus tranquillement en quête de bonheur simple) avec une empathie froide pour les froids et plus chaleureuse pour les chaleureux doublée d'une étonnante maîtrise narrative: travail de pro comme celui, toute proportions gardées, de Michael Connelly, vieux routier du thriller social retrouvant les gangs de L.A. dans Mariachi Plaza.

    Or l'évocation de la partie fine en milieu de riches affairistes à laquelle participe le bellâtre médiatique, dans les cent premières pages du roman de Julien Sansonnens, m'a semblé aussi nette et concise qu'il le fallait vu qu'un tableau plus appuyé de ce genre de partouzes reste l'apanage de Gérard de Villiers & co et pas d'un garçon sérieux...

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    Nous avons en outre pas mal échangé hier soir sur Messenger, avec Quentin Mouron, qui se trouve ces jours au Québec et me demande si cette suite de Pour tout dire, qu'il a l'air d'apprécier, constituera un nouveau recueil genre carnets. Je lui réponds que cette série, se développant depuis un mois à partir de la découverte de l'autobiographie de Karl Ove Knausgaard, est un rameau indépendant poussé sur le tronc de mes Lectures du monde, qui se propose d'entremêler une narration quotidienne aux côtés de Lady L. et Snoopy , plus nos filles et leur jules, avec l'écho de mes lectures et autres rencontres, Shakespeare devant succéder à Knausgaard avec regards latéraux sur Dante revisité par Alberto Manguel, la catastrophe stratégico-humanitaire du Moyen-Orient et tutti quanti, cela en 1001 pages pour la Saison 1, et ensuite on enchaîne dans la foulée des After d'Anna Todd - tu vises l'ambition...

    Miracle de la technologie de pointe (j'ai pianoté les 135 premières pages de Pour tout dire sur mon iPod, tantôt couché entre Lady L. et Snoopy, et tantôt attablé à une table de café voire dans une salle d'attente d'hôpital, si ça se trouve), Quentin m'apprend ce matin qu'il est "sur" un nouveau roman dans lequel il reprendra sa peinture à l'acide de notre drôle de monde, et voilà qu'à son tour Julien Sansonnens m'envoie un texto où il me remercie d'avance de le lire sans lui épargner d'éventuels commentaires critiques.

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    Tout cela me plaît d'autant plus que l'un des thèmes sous-jacent du Viol de l'ange, dont le premier titre était Roman virtuel, travaille cette nouvelle réalité de la perception simultanée qui fait s'empiler et s'entre couper, se télescoper et se court-circuiter une quantité Q de plans de réel, comme dans un roman d'Antonio Lobo Antunes ou un film de Godard revu par quelque youngster à la Xavier Dolan shooté au Coca Zéro, etc.

    Et Snoopy là-dedans ? Snoopy se lèche compulsivement la patte droite, que Lady L. est obligée de lui bander pour l'en empêcher, avant qu'il ne l'arrache dès qu'elle a le dos tourné. Ainsi était Marcel Proust le grand blessé de la vie, qui grattait sa plaie à qui mieux mieux pour s'en délecter du récit, et nous avec, etc.

  • Pour tout dire (43)

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    À propos de la monstruosité du réel et de la difficulté de réparer des sacs de patates avec des fils de soie. Souvenir d'un congrès d'écrivains à Dubrovnik en 1993. Comment Quentin Mouron a tenté de réparer la nuisette immaculée de la littérature romande avec du fil de jute de sac de patates. Que Tchékhov et quelques femmes de bon sens peuvent aider à calmer le jeu. Une révérence finale d'Erri De Luca...

    La réalité de notre vie, et beaucoup par la faute de notre drôle d'espèce, est d'une monstruosité accablante si l'on s'en tient aux derniers rugissements des dinosaures avant la glaciation ou aux nouvelles nous provenant ce matin d'Alep et prochainement de Mossoul.

    L'horreur est partiellement constitutive du réel, et la littérature doit en rendre compte autant que dela transparence diaprée des ailes de libellules ou de la vue apaisante d'un enfant qui dort. Le problème est de trouver les mots pour le dire.


    93111234_o.jpgDans la littérature française du XXe siècle, un Louis- Ferdinand Céline y est parvenu au fil d'extraordinaires pages évoquant la guerre, donnant du galon stylistique à ce qu'un Guido Ceronetti, à son propos, appelait le fantastique social. On peut vomir les pamphlets antisémites de Céline, relevant de son TOUT DIRE porté au délire paranoïaque, mais ses visions de témoin épique du désastre restent incomparables, et l'on mesure l'affadissement terrible d'une certaine critique faisant la fine bouche devant l'intrusion du réel dans le roman contemporain (le même Céline idiotement taxé de "populiste" dans une polémique franco-française débile) alors que
    la réalité - toute la réalité - est au fondement même de toute expression humaine.

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    En 1993, en pleine guerre en ex-Yougoslave, je me trouvais à Dubrovnik, assistant à un congrès d'écrivains où Alain Finkielkraut , accueilli comme un héros par les Croates, s'exprima en messager des lumières françaises. Or je me souviens de l'image saisissante qui fut utilisée par l'auteur croate Vlado Gotovac à propos de ce beau discours, ramenant celui-ci à un fil de soie au moyen duquel on ravauderait un sac de patates...
    Durant le même congrès du PEN-club, j'entendis nos chers confrères croates vitupérer en bloc la littérature serbe, typique produit de la barbarie selon eux, sans autres arguments qu'idéologiques et nationalistes. Le but caché du congrès était d'ailleurs d'exclure la section serbe du PEN (instance internationale visant à la défense de la liberté des gens de plume...), comme la section allemande avait été exclue à l'époque du nazisme, mais l'opération échoua finalement au dam des manipulateurs idéologues.

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    Au fil d'une confusion sémantique à la fois irrecevable et significative, Céline â été taxé, par Charles Dantzig, l'initiateur de la polémique susmentionnée, de fourrier d'un prétendu nouveau "populisme" littéraire. Or j'ai beau apprécier énormément plusieurs des livres de Dantzig, monuments d'érudition joyeuse et de formidable fantaisie: ce qu'il écrit de Céline, comme ce qu'il écrit d'un Dostoïevski ou d'un Jules Romains, fait décidément faufil de soie sur sacs de patates, et ce d'autant plus que la littérature populiste française, illustrée par de grands livres, tel Le sang noir de Louis Guilloux, et perpétuée par un prix littéraire qui a couronné d'autres romans remarquables, comme Le Faubourg des coups-de-trique d'Alain Gerber, n'a rien à voir avec le populisme politique plombant plus ou moins les pays européens.
    Aux yeux de Pierre Assouline, autre critique français appréciable à bien des égards, et qui n'a jamais prétendu qu'un Simenon fût "populiste" à sa façon, ce qui pourrait se défendre mieux que dans le cas de Céline, l'écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard pécherait lui aussi par manque de finesse stylistique, écrivant en somme comme un sac de patates !

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    Plus proche de nous, le jeune auteur Quentin Mouron s'est déchaîné, il y a quelques années, contre une certaine littérature romande par trop exsangue selon son protagoniste éditeur détestant les auteurs à l'exception de Proust, dans un petit roman intitulé La Combustion humaine (Olivier Morattel, 2014) qui aurait pu être plus percutant et pertinent s'il avait été mieux fagoté dans sa texture de fil de jute de sac de patates, etc.
    Quentin, malgré diverses gesticulations juvéniles, est l'un des rares écrivains sérieux de sa génération de Bisounours, dont on peut attendre beaucoup: il a de la bête et du fruit, la rage au coeur et de l'amour non sentimental à revendre; et puis il pense et il a la papatte. En lisant Knausgaard, j'ai souvent pensé à celui de ses livres que je préfère, travaillant le réel au corps avec une sorte de grâce que traduit son seul titre: Notre-Dame-de-la-Merci, paru chez Olivier Morattel en 2012.
    Cher Quentin, chères petites connes et chers petits cons, (tout jeune auteur est un petit con, m'a répété mon miroir jusque vers l'âge de 33, voire de 66 ans) qui prétendez écrire: lisez les Conseils à un écrivain de Tchékhov et soyez attentifs au bon sens supérieur des bonnes femmes, soeurs Courage et mères supérieures qui ont les pieds sur terre et de la bonté plein le regard.

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    C'est cependant un écrivain, dont l'oeuvre est aussi pétrie de réel que de poésie, qu'il faut citer enfin, en la personne d'Erri De Luca, dans un texte intitulé Guernica, Naples, Belgrade, tiré de Le plus et le moins (Gallimard, 2016): "J'étais à Belgrade pendant le printemps des bombardements de 1999, arrivé la nuit de Hongrie dans une camionnette. C'était pour moi un devoir de déserter mon pays qui faisait décoller de ses pistes les bombardements aériens. Le vingtième siècle se terminait au son de la sirène d'alarme. Je l'entendis arriver cette nuit-là, je la reconnus, telle qu'entendue à travers les voix des femmes de Naples. La tonalité, l'étendue, l'aigu: c'était la même. La sirène d'alarme de Belgrade, en cette nuit d'avril sans aucune lumière allumée, imitait la voix des femmes de Naples, gravée en haute fidélité dans leurs cauchemars. Elles se la racontaient pour la réduire à une histoire. La voix humaine est la seule thérapie qui sache le faire".

  • Pour tout dire (42)

    14520579_10210714233158818_465051496764755982_n.jpgÀ propos du caractère diabolique de l'écrivain de caractère. Ce que m'en dit Georges Haldas à notre première rencontre. Des raisons qui ont poussé certains proches de Karl Ove Knausgaard à l'attaquer publiquement. De la tendance actuelle à recourir aux avocats ou aux juges sur tout et n'importe quoi, y compris les rumeurs infondées, etc.


    "Méfiez vous, JLK: il y a un diable sous le paletot de chaque écrivain", me dit Georges Haldas à notre première rencontre, un jour de 1974 (j'avais 27 ans), à la fin d'un après-midi qui m'avait semblé hors du temps, quasi magique, semblable aux heures denses et hors du temps que j'ai passées avec quelques autres écrivains de forte présence, entre cent ou deux cents littérateurs, tels le Chinois François Cheng, l'Israélien Amos Oz, le Vaudois Jacques Chessex, l'Anglaise Doris Lessing, l'Américaine Patricia Highsmith, l'Ivoirien Amadou Kourouma, ou encore Philippe Jaccottet (vomi par Haldas et Chessex), Nicolas Bouvier (vomi par Chessex et Haldas) et quelques autres à titre occulte, dont Charles-Albert Cingria, Stanislaw Ignacy Witkiewicz ou Robert Walser, et celui qui m'est le plus cher, à savoir Anton Pavlovitch Tchékhov, sans doute le plus pénétrant observateur des démons de petite envergure s'agitant sous le paletot des écrivains de plus ou moins grande envergure.

    L'adulation ou la condamnation des écrivains, assimilés aujourd'hui à des stars cantonales ou mondiales, est un signe de l'égarement collectif excité par l'envie et la publicité, mais le caractère démoniaque de l'écrivain de caractère ( je ne parle pas des littérateurs ordinaires ou des bas-bleus) est une réalité plus profonde, découlant notamment de l'extraordinaire vanité de cet état et du non moins extraordinaire sacrifice que représente aussi ce même état, explicitement invoqués par Henrik Ibsen, qui en savait quelque chose...

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    Ce très grand dramaturge norvégien, qui plaida pour l'émancipation des femmes avant la plupart de ses contemporains, fut aussi un véritable vampire à l'égard de plusieurs jeunes filles qu'il entoura de mille flatteries le temps de les observer avant de les jeter pour en faire des personnages de ses pièces, au point de les compromettre aux yeux du public et de les pousser même au désespoir, avec un cynisme total. 

    Le reproche d'exposer son entourage dans son autobiographie a également été fait à Karl Ove Knausgaard, mais on peut douter que ce procès lui eût été intenté si ses livres n'avaient pas eu le retentissement énorme mais imprévu qui a été le leur. Or le fait a été observé maintes fois ces dernières années : qu'une personne identifiable, à tort ou à raison, dans un livre à succès, tend désormais à réclamer justice à proportion du nombre de lecteurs touchés et du gain personnel qu'elle pourrait en tirer - honneur et bénéfice à la clef.

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    Le tapage médiatique lié à ces interférences se substituant de plus en plus aux qualités propres d'une oeuvre, et la focalisation sur le "personnage" de l'écrivain devenant l'obsession du public même non lecteur, l'on en arrive à "diaboliser" certains auteurs sur la foi de rumeurs infondées, comme celle qui fait de Knausgaard un "Judas" familial, contre toute évidence, car aucune de ses pages (à mes yeux) ne relève de la trahison réelle ou de la délation, en tout cas dans les 1800 premières pages traduites qui nous sont accessibles...

    Cependant Knausgaard, pas plus qu'aucun écrivain de caractère, n'est innocent, et quel lecteur n'a pas lui aussi un diable sous son paletot, mélange de concierge et de juge, de flic et d'espion ?
    Reste à savoir la finalité du droit de certains auteurs, abordant le roman familial ou son secret, à "casser le morceau" et à dire "ce qui ne se dit pas". Georges Haldas lui- même, quand il attaquait tel ou tel personnage connu dans ses carnets, se contentait de le désigner par une initiale, le plus souvent transparente. Entre hypocrisie et respect humain, la nuance est parfois imperceptible. Pour sa part, un Proust façonnait un personnage à partir de cinq ou six "modèles", et la majorité des auteurs en reste aux précautions d'usage en la matière, tandis que maints lecteurs réclament à n'en plus finir "des noms !"
    Or le TOUT DIRE dire d'Haldas ou de Proust, de Knausgaard ou d'Ibsen ne saurait s'évaluer en fonction de critères de bienséance bourgeois ou petit-bourgeois. J'en ai fait la cuisante expérience dans une espèce de journal intime/extime, intitulé L'Ambassade du papillon et où j'appelais les gens connus par leur nom. J'y ai notamment décrit, entre mille autres observations, le glissement progressif d'un ami très proche, le grand éditeur serbe Vladimir Dimitrijevic, dans la paranoïa nationaliste, et j'y ai exposé les riches heures de ma relation avec l'écrivain Jacques Chessex, et les circonstances dans lesquelles il a trahi notre amitié. Or je ne regrette ni ma scandaleuse franchise ni, s'agissant de Chessex, avec lequel je me suis réconcilié des années plus tard, de la chronique abjecte qu'il publia dans un hebdomadaire pour me "tuer". Je l'avais bien cherché: tant pis pour moi !
    Un écrivain de caractère est forcément excessif, et l'évangélique Haldas, se réclamant à qui mieux mieux du Seigneur et fondant son oeuvre sur la "relation à l'Autre", se sera montré mesquin ou même méchant plus souvent qu'à son tour, dans ses carnets, autant que nous tous, pauvres pécheurs.
    Au reste, si tout cela ne relevait plus que des lois et de la justice policière pour les appliquer, le diable qu'il y a sous le paletot de chaque écrivain se tiendrait-il mieux ? J'espère bien que non! Car j'aime ce diable autant que son double candide voire angélique : j'aime qu'un écrivain soit aussi plein de défauts que n'importe quel frère humain, j'aime la littérature parfois aussi monstrueuse que la réalité de notre drôle de monde, etc.

  • Pour tout dire (41)

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    À propos du temps de l'enfance si court et si long. De la lecture automobile et de ses modalités. Des retours nocturnes et des encombrements diurnes. Une sentence d'Ibsen et le portrait du monstre.


    Nos voyages sont plus courts de se faire en lisant. Avec Lady L., qui conduit au motif qu'elle est une invivable copilote, nous avons fait des milliers de kilomètres, ces dernières années, parcourus en un temps à la fois raccourci et dilaté par les milliers de pages que je nous ai lues à haute voix ; et ce jour de retour de la mer, plus précisément: de passages du Jeune homme de Karl Ove Knausgaard et d'un long chapitre du Grand mensonge des intellectuels de Paul Johnson, consacré à un monstre sacré du théâtre européen - qui fut un monstre tout court en tant qu'être humain -, en la personne du dramaturge norvégien Henrik Ibsen.

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    Évoquant le temps de l'enfance, l'auteur de Jeune homme écrit ceci qui rappellera sans doute à chacun une double réalité vécue: « Le temps ne s’écoule jamais aussi vite que pendant l’enfance, jamais une heure n’est aussi courte que dans ces années-là. Toute les possibilités sont ouvertes, on court tantôt par-ci, tantôt par-là, on fait tantôt ceci, tantôt cela, et puis sans qu’on s’en aperçoive, le soir est tombé, on se retrouve dans la pénombre, stoppé par le temps comme une barrière devant soi : oh non, il est déjà neuf heures ? Mais pareillement, le temps ne s’écoule jamais aussi lentement que pendant l’enfance, jamais non plus une heure ne dure aussi longtemps que dans ces années-là »…

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    Lorsque nous descendions à la mer avec nos filles encore petites, il y a plus de vingt-cinq ans de ça, nous divisions l'incommensurable distance, pour elles, des quelque six cent kilomètres à parcourir, en sections représentées, sur la carte, par un stylo, trois stylos représentant la mi-parcours, du côté de Valence. De fait autant que le temps, l'espace de l'enfance est élastique...
    Or notre retour de la mer sans les enfants, en ce vendredi de notables engorgements autoroutiers, nous a paru plus long que l'aller, mais une fois de plus la lecture aura eu cet effet de raccourci et un écho particulier lorsque j'en vins à cette autre page de Jeune homme évoquant les retours nocturnes des sorties dominicales de la famille du petit Karl Ove, où l'obscurité semblait au contraire rétrécir la distance: « Bizarrement, le retour était toujours plus rapide que aller. J’adorais rouler la nuit, le tableau de bord lumineux, les voix atténuées à l‘avant, le halo des lampadaires sous lesquels on passait et qui déferlait sur nous comme autant de vagues de lumière, les longues portions de route toute noire qui surgissaient de temps à autre où toit ce qu’on voyait, tout ce qui existait se réduisait à lasphalte dans la lumière de sphares et au fragmet de paysage éclairé dans les virages. Soudain des frondaisons, soudain des rochers, soudain des baies. Et puis il y avait toujours un plaisir particulier à rentrer à la maison la nuit, le crissement de nos pas sur le gravier, le claquement desportières, le tintement du trousseau de clés et la lumière qui s’allume dans le vestibule, révélant la présence des objets familiers », etc.

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    Certains textes sont mieux appropriés à la lecture automobile que d'autres, soit par leur limpidité narrative ou leur tension dramatique , soit encore par le relief de telle situation où de tel personnage, et pour ne pas quitter la Norvège j'avais prévu de nous lire aujourd'hui , en écho à une sentence d'Ibsen cité par le père de Knausgaard à propos d'un match de foot perdu par son équipe favorite (« On ne possède réellement que ce qu'on a perdu »), le portrait calamiteux de l'homme Ibsen, monstre de vanité et d'égocentrisme qui incarna exactement le contraire de tout ce qu'il avait défendu dans ses pièces visant (notamment) à l'émancipation des femmes et à la lutte de l’individu contre l'oppression politique, sociale ou morale: un despote familial et un sinistre mendiant d'honneurs et de médailles (il avait une passion des décorations poussée jusqu'au ridicule), doublé d'un avare sordide qui traita ses parents, l'un de ses fils illégitime et la mère de celui-ci, entre autres, avec un manque de coeur aussi stupéfiant que son génie et son aura de prophète « ami du genre humain ».

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    À ce propos, l'on a pu lire dans les médias que Knausgaard aussi, dans son autobiographie , aurait malmené les siens au point de susciter la fronde publique de certains membres de sa famille. Or ce qui frappe au contraire, à la lecture des trois premiers volumes traduits qui nous sont accessibles, c'est l'absence totale de dureté de coeur et d'aucune malveillance manifestée à l'égard de ses proches - même si la déchéance finale de son père ou les moments parfois difficiles de sa vie conjugale sont rapportés avec précision -, dans un climat affectif rendu avec une sensibilité remarquable. Knausgaard n’a certes pas le génie d’un Ibsen, mais on irait en vacances avec celui-là plus volontiers qu’avec celui-ci…

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    Bien entendu, comme il en va d'un Rousseau ou d'un Brecht, d'un Shelley ou d'un Marx, d’un Tolstoï ou d’un Hemingway, autres monstres avérés en leur vie privée, tels que les portraiture Paul Johnson sur la base d’une très solide documentation, les travers de l'homme n'éclipsent en rien l'apport intellectuel et artistique de ce Titan au lugubre faciès que fut l’auteur de Peer Gynt ou du Canard sauvage, de La Maison de poupée ou des Revenants, entre autre chefs-d’œuvre de la scène, mais certaines vérités « trop humaines » sont parfois bonnes à rappeler quitte à perdre un peu de ce qu’on croit posséder…


    Paul Johnson. Le grand mensonge des intellectuels. Vices privés et vertus publiques. Robert Laffont. 1993, 361p.

     

    Peinture: Robert Indermaur.

  • L'humour panique d'Amélie et Zadie

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    Quoi de commun entre Amélie Nothomb (Prix Renaudot 2021)  et Zadie Smith ? Plus qu’on ne croirait au premier regard, et d’abord par leur façon de dépasser le premier degré banal du «récit de vie», par l’imagination et la magie du langage, l’originalité du point de vue et un sens du tragique que leur écriture, déjouant le pathos moralisant, irrigue de vitalité et de fantaisie légère ou plus grave. La preuve par la lecture parallèle de «Premier sang» et «Grand Union», leurs derniers livres...

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    Deux écrivains top. Deux auteurs super. Quelque part : deux poètes. On pourrait dire aussi : deux écrivaines, deux autrices, deux espèces de poétesses-prosatrices. Ou encore : deux écrivisses, deux autorelles qui gèrent un max. Deux meufs qui assurent grave – on peut dire ou écrire ce qu’on veut.

    Ou plus exactement : elles écrivent ce qu’elles veulent. Chacune à sa façon : Amélie Nothomb avec sa vieille malice de sale gamine de bonne famille déjantée, et Zadie Smith, plus «popu» d’extraction et de fréquentations,  en grappilleuse sauvage et supérieurement éduquée. La comparaison ne sera raison que si l’on rend  à chacune ce qu’elle a d’unique, à la même enseigne d’une littérature vivifiante où l’observation du monde actuel le dispute aux coups de sonde personnels.

    S’il fallait résumer les deux derniers livres d’Amélie Nothomb et de Zadie Smith dans le langage pycho-social au goût du jour, l’on pourrait dire que Premier sang représente la «quête du père» de la première, et que les dix-neuf nouvelles du recueil Great Union de la seconde «travaillent», notamment, les multiples aspects du «relationnel familial», avec un «focus» privilégié sur la relation mère-fille. Langage d’époque, juste pour le « pitch » mais qui ne dit rien de ce qui fait l’intérêt respectif de ces deux ouvrages, à savoir leur ton, leur étrangeté, leur pénétrante intelligence des réalités humaines, leur indépendance d’esprit, leur mélange de faits très concrets et leur capacité d’abstraction sans pédantisme, leur mordant et leur drôlerie.

     Où Le «roman familial» devient conte de fées et d’effroi…

    Après une trentaine de romans dont certains, comme Stupeur et tremblements, ont un caractère partiellement autobiographique – mais à vrai dire je crois que tous participent de cette transposition - , Amélie Nothomb fait de Patrick Nothomb, son père diplomate et écrivain, le protagoniste de Premier sang, dont le titre évoque la phobie irrépressible de celui-ci, qui s’évanouit dès qu’il voit du sang.

    En tant que diplomate, Patrick Nothomb est sorti d’une prise d’otages au Congo sans verser son sang. En tant qu’écrivain, il a raconté ses expériences variées comme son propre grand-père a raconté les siennes dans une flopée de livres oscillant entre politique nationaliste et poésie plus ou moins assommante. Raconter la saga de la famille Nothomb, célèbre en Belgique bien avant Amélie, demanderait le coffre d’un Balzac. De l’arrière-grand-père ministre à l’oncle bibliste (Paul Nothomb, ancien compagnon de Malraux, est un exégète de l’Ancien testament respecté jusqu’au Japon où naquit Amélie), le feuilleton familial des Nothomb semble «romanesque» à souhait, où virtuellement saturé de curiosités « pipoles », dont Amélie à vrai dire n’a que fiche.

    De fait, Premier sang ne raconte que la détresse d’un petit garçon rejeté par sa froide et belle sorcière de mère à visage de fée  – qui a l’excuse d’avoir perdu trop tôt son  prince charmant -, sa délectable saison en enfer passée chez des oncles-enfants de son âge (la terrifiante tribu Nothomb qu’il adore illico), son aguerrissement dopé par la rage de survivre, son premier amour défiant un grand-père à dégaine d’ogre, et  enfin (j’abrège), son salut à la Schéhérazade quand, devenu diplomate (il se voyait d’abord en gardien de but pro), il empêche ses bourreaux de le tuer en leur racontant des histoires – littérature quand tu nous tiens ! Tout cela en somme ressaisi dans un conte de fées et d’effroi, avec la fulgurante rapidité et le simplisme apparent de tous les livres d’Amélie Nothomb. 

    Zadie et les punks iront au paradis

    Un critique a parlé de «réalisme hystérique» à propos des romans de Zadie Smith, et celle-ci a trouvé ça pertinent en dépit de l’apparence désobligeante de la formule, qui pourrait convenir aussi, dans une configuration de la réalité évidemment très différente, aux romans d’Amélie Nothomb ; mais je dirais plutôt : réalisme panique.

    Ces deux auteures achoppent à la douleur des gens, de quoi vous rendre fou. Mais percevoir la douleur des gens avant de l’exprimer  et peut-être l’exorciser avec des mots sera le job de l’écrivain, du conteur sous l’arbre à paroles ou de la rappeuse dépassant la platitude «réaliste» du rap-qui-dénonce.

    En dix-neuf nouvelles étincelantes de porosité sensible et de vivacité féroce ou tendre, Great Union évoque le monde actuel en ses avatars tendre ou féroces, avec une acuité qui, faisant mal, fait du bien parce que ça sonne vrai. 

    Quand Amélie semble donner dans la «quête du père» en paraphrasant malicieusement Sacha Guitry (« Mon père est un grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit »), Zadie, dans la dernière nouvelle éponyme de son recueil, évoque la rencontre nocturne d’une femme de même origine (sa mère venant de Jamaïque, comme chacune et chacun sait) et de sa mère ressuscitée le temps de fumer une clope et parlant de leurs ancêtres communs ; et ce thème de la relation mère-fille apparaît déjà dans la première nouvelle, Dialectique, évoquant l’effort que fait une mère de se raccrocher à la mouvance «animalitaire» actuelle pour se rabibocher avec sa fille adolescente, qui n’en a rien à braire.

    Le thème du langage et de ses pouvoirs, explicite ou pas, revient également dans les nouvelles de Zadie Smith, qu’on le « travaille » en atelier d’écriture (elle en est une spécialiste à New York) ou qu’on écoute de vieux punks dans le square d’à côté. Or pendant que foisonnent les «discours sur», l’écrivaine, comme l’ont fait un  Tchekhov ou un Raymond Carver, oublie qu’elle est une universitaire ferrée pour s’ensauvager, comme disait l’autre, à l’observation d’une lycéenne de 19 ans trahissant son boyfriend noir qui file la parfaite amitié avec un dealer blanc – épisode qu’elle revit vingt ans plus tard, et tant qu’à pointer la «racisme ordinaire», la voici relater la mort absurde d’un brave type affligé d’un terrible mal de pouce (ça arrive) que poignarde un poète blanc comme l’autre jour un flic blanc a flingué un jeune métis sur le quai d’une petite ville « riante » de la côte lémanique – de quoi nourrir le « discours » antiraciste, etc.     

     

    Du côté de la vie, avec ou sans prêche.   

    Amélie Nothomb et Zadie Smith sont, au regard des médias mondiaux, deux «stars de la littérature». Mais pourquoi cela ? Pour quoi le plébiscite de tant de lectrices et lecteurs ?  Par le jeu des artifices: thèmes « porteurs » et autres chapeaux rigolos, genre Harry Potter chez Amélie ou turban de sultan pour Zadie ?

    Je n’en crois rien. La première fois que j’ai rencontré Amélie Nothomb, après la parution d’Hygiène de l’assassin, son  premier roman au succès immédiat, elle traversait la cour intérieur de l’immeuble de son  éditeur (Albin Michel, donc) avec une pile de plus de cent lettres sur les bras. Depuis lors, des milliers d’autres lettres lui ont prouvé que ce qu’elle écrit, n’en déplaise à tant de critiques distraits ou de lettrés pincés, touche à quelque chose de profond en chacune et chacun, comme les contes de Madame Aulnoy, n’est-ce pas… Amélie m’annonça alors qu’elle avait plus de vingt romans à paraître dans ses tiroirs, et bien sûr elle bluffait comme lorsqu’elle prétendait relire Le rouge et le noir chaque année. Et pourtant elle disait vrai « quelque part », comme Zadie Smith dit vrai dans toutes ses exagérations métaphoriques de réaliste « hystérique ».

    Telles sont les petites filles demeurées, aux cœurs aussi purs que ceux des vieux punks de toutes les couleurs, fées de la sensibilité et sorcières de la forêt des contes que représente la Littérature…

    Amélie Nothomb. Premier sang. Albin Michel, 2021.

    Zadie Smith. Grand Union. Gallimnard, 2020.

  • Pour tout dire (40)

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    À propos de ce qu'un enfant risque en répondant à son père et comment notre voisin Müller passa de l'Opel Rekord à l'Opel Kapitän. Le suicide du petit junkie et les quartiers de nos enfances vus de la fenêtre de Simenon

    ...

    Lorsque Karl Ove, protagoniste et narrateur de Jeune homme répond à son père, celui-ci le fusille du regard ou lui bat froid ou le punit plus ou moins durement, de façon tout à fait imprévisible.
    C'est cela surtout qui effraie le petit garçon: le caractère changeant et aléatoire de la colère paternelle. Un fils ne répond pas à son père: punkt Schluss, point barre, terminé bâton. Un fils, ça se dresse, et d'ailleurs celui-ci est beaucoup trop sensible, il chiale même quand je ne le cogne pas, une vraie fille manquée mais ça se corrige. Pourtant, si la mère, sans intention mauvaise, par inattention, achète en vitesse un bonnet de bain à fleurs pour bonnes femmes au garçon qui, outré, n'en veut pas, c'est pareil pour le père: tu réponds, malappris, tu porteras ce que ta mère t'a acheté, point final ! Et si les garçons se foutent de toi à la piscine, sois un homme !

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    Quant à John, il se ramasse une gifle de sa mère parce que lui, vraiment, est d'une insolence caractérisée. John est le plus encanaillé des camarades de Karl Ove, réputé pour avoir le plus d'oncles de toute l'équipe. Or un jour qu'il se pointe chez John dont la mère est en bikini, le lascar lui lance: « Ah ah, tu regardes le derrière de ma mère ! ». Ce qui interloque Karl Ove vu qu'il n'en a rien à souder et que c'est faux. Mais la mère en bikini, qui reçoit toujours plein d'oncles à la maison, n'en colle pas moins une baffe à John, lequel ne répond pas seulement à sa mère mais aux maîtres d'école dont l'un d'eux, comme le père Knausgard , jette volontiers les récalcitrants contre les murs…

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    En lisant Jeune homme, je me suis rappelé la Lettre au père de Kafka, même si la famille petite-bourgeoise norvégienne et le père politicien de gauche sont très différents du milieu juif et du pater familias des K., mais la pétoche de l'un rappelle bel et bien celle de l'autre.

     

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    Moi qui n'ai jamais eu peur de mon père ni de nos divers oncles ou maîtres d'école , sauf un peu de Besson quand il brandissait sa baguette, je réagis moins aux petits sévices infligés par le père Knausgaard qu'au climat de méfiance et de crainte latentes évoqué par l'écrivain, qui me rappelle le climat empoisonné régnant chez nos voisins Müller, fatal à l'aîné, drogué et finissant par se jeter du fameux pont Bessières, en pleine ville de Lausanne, suscitant ce seul commentaire de sa mère à la nôtre: "J'pensais pas qu'il en aurait le courage, ce connard", etc.

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    Le monde décrit par Knausgaard n'est pas aussi sordide ou dramatique que la vie de nos voisins si propres-en-ordre d'apparence, dont le fils aîné était non désiré et qui furent « punis » du suicide de celui-ci par la mort en montagne du cadet adoré, mais l'évocation de son enfance par Knausgaard, virtuellement riche d'innombrables échos personnels chez tout lecteur, m'intéresse surtout par la qualité de son observation aux multiples focales, entre loupe et longue-vue, et surtout par son extrême porosité affective et son objectivité "sociologique" et "psychologique ».

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    Avec le même regard, je pourrais faire un plan à la fois riant et terrible du quartier de notre enfance, entre jeux interminables des nombreux enfants du baby boom des années 50-60, les soirs d'été, et comptabilité des suicides dans le même périmètre - sept à ma connaissance -, avant la construction de l'ensemble périurbain de Valmont aux trois tours de 12 étages et à la barre pourrie dont j'ai tiré la matière "sociologique" et "psychologique" d'un roman de plus de 400 pages intitulé Le viol de l'ange et qu'avec le recul je trouve trop littéraire, pas assez Simenon ou assez limpide à la Knausgaard.Simenon2.jpg


    Georges Simenon , presque mon voisin quand je créchais dans une ancienne ferme à moitié en ruine sise au lieudit Grand Chemin, en dessus d'Epalinges, sur les hauts de Lausanne, disait à peu près que le romancier soulève le toit des maisons, comme d'une boîte dont il détaillerait le contenu.
    On a parlé de « Proust norvégien » à propos de Knausgaard, ce qui se justifie à la limite extrême par sa façon de théâtraliser en 3D sa matière de mémoire, mais à cet égard , compte non tenu de l'immense frise des personnages des « romans de l'homme », l'on pourrait rapprocher la saisissante mémoire des lieux et des situations de son autobiographie de la comédie humaine du romancier, sans parler de « Simenon scandinave » pour autant.

    Cependant Knausgaard me ramène au lotissement typique du début des années 50, où mes parents ont investi notre maison familiale en 1947, avec la description « photographique » du lotissement typique de la fin des années 70 dans lequel ses parents se sont installés huit mois après sa naissance, en 1968.

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    Les maisons qu'il passe ainsi en revue, des Gustavsen (dont le père était pompier) ou des Kanestrøm (dont le père était postier), des Christensen (père marin) ou des Jacubsen (père typographe), m'ont immédiatement rappelé les maisons des Spahn (père architecte) et des Rossier (père mécanicien-brocanteur) ou des Jaton (père ouvrier, mère recevant divers oncles l'après-midi) et des Müller (père employé de banque passé en vingt ans de l'Opel Rekord à l'Opel Kapitän, et mère se tapant le facteur dit Verge d'or), et la carcasse de voiture encastrée dans un ravin dont les chenapans norvégiens se servent comme d'un bolide ou un vaisseau spatial est la réplique parfaite de la vieille Studebaker champion rose sortie de la route avant notre naissance et restée au fond du ravin voisin de la Vuachère, ruisseau qu'à l'instar de Karl Ove et ses potes fascinés par les souterrains inondés, nous aurons suivi le long de son long tunnel, de notre quartier à son débouché en amont du mythique Centre mondial de documentation anarchiste aujourd'hui remplacé par un espace arboré où les chiens sont priés de chier dans le carré de sable suisse prévu à cet effet, etc.


    Peinture ci-dessus: Chaïm Soutine.

  • Pour tout dire (39)

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    À propos de notre premier jour d'école et du langage des arbres. De l'hyper-réalisme sans pareil de Karl Ove Knausgaard. Où il est question du réel fantasmé par certains littérateurs style Régis Jauffret et de la réalité réelle transformée par la poésie.

    Est-il digne de la littérature de parler du plaisir d'un enfant à se regarder dans la glace un premier jour d'école ou de certaines chiottes souterraines dans la ville de New York, comme le fait Céline dans Voyage au bout de la nuit ? Un écrivain est-il moins écrivain qu'un autre parce qu'il raconte son envie de mettre le feu au motif qu'il a trouvé des allumettes ou détaille ce que lui disent les arbres ? Et le TOUT DIRE du réalisme ou de l'hyper-réalisme a-t-il des comptes à rendre à la la police des mœurs littéraires à la française ou à l'allemande ou style NSA ou genre KGB ?

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    Comme il fait encore nuit ce matin et que seule la rumeur de la mer toute proche accentue cette sensation particulière d'être au monde que je ressens à l'instant présent avec juste une envie de café, je me trouve en bonne disposition pour clarifier deux ou trois choses sur ce que je vois précisément maintenant (l'écran plat d'une petite télé merdique au-dessus du frigo-congélo de l'espace cuisine attenant à l'espace séjour du studio 27 que nous occupons depuis dix-neuf jours dans la subdivision locative marquée 0 de l'ensemble architectural Héliopolis avec vue imprenable sur la mer et environs trois cent mètres des vingt-trois kilomètres de dunes nous séparant de la cité portuaire de Sète, plus trois mouches qui vont se prendre une claque mortelle - mais là je me réchauffe un café avant de revenir, Tchékhov à l'appui, à mon propos d'avant l'aube.

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    Le 11 septembre 1890,à bord du navire Le Baïkal, dans le détroit de Tartarie, l'écrivain russe Anton Pavlovitch Tchékhov écrit, à son ami éditeur Alexeï Souvorine: "J'ai tout vu. La question n'est donc pas actuellement ce que j'ai vu mais comment je l'ai vu".
    Cette distinction n'a l'air de rien, alors que c'est un double programme éthique et esthétique à valeur universelle, pas moins.
    Tchékhov ne bluffe pas quand il dit qu'il a tout vu. Une enfance qui n'en fut pas une, pourrie par un père ivrogne et confit de bigoterie, soutien de famille pendant ses études de médecine, les yeux grand ouverts sur une Russie de toutes les dèches, la maladie des autres et le sang qu'il commence à cracher à vingt- quatre ans, le bagne sibérien de Sakhaline où il se rend pour en témoigner (on verra qu'il en dit tout et comment), bref la vie comme elle va et les hommes comme ils vont et ne vont pas : tout ca l'autorise, plus que certains littérateurs en chambre, à dire qu'il a tout vu, mais là n'est pas le problème ajoute-t-il: la question est de savoir comment le dire.
    Les réponses à cette question sont innombrablement variées, n'en déplaise aux petits juges et policiers autoproclamés des instances de consécration littéraire qui voudraient qu'un écrivain ne parle que de ce qu'eux ont vu, ou plus exactement cru voir avec leurs lunettes à courte vue.

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    Comme je lis toujours trois ou sept livres à la fois, je gambergeais hier, à une table de l'Hippopotamus enclavé dans l'hyper U du Grand Cap, entre Agde et le canal du Midi, après avoir acheté deux bouteilles de soupe de poisson et de gaspacho ainsi que les nouvelles de Sam Shepard réunies sous le titre d'À mi-chemin et Corniche Kennedy, un petit roman de Maylis de Kerangal que je n'avais pas encore lu, en édition scolaire éclairant la propension de l'auteur à "travailler le réel".
    La première nouvelle de Shepard, intitulée Le guérisseur, "travaille le réel" d'un kid, quelque part dans un trou de l'Amérique rurale profonde, qui assiste au sauvetage imprévu d'un hongre malappris que son père a décidé de liquider, par un inénarrable boiteux qui donne à l'enfant la preuve qu'un type à la coule peut ressusciter un cheval aussi bien que notre Seigneur l'a fait de Lazare.
    Si que tu demandes au docteur Tchékhov ce qu'il pense du "travail sur le réel " accompli par Sam le crack dans ce récit de douze pages, probable qu'il répondra en russe: "good job". Pareil à ce qu'on pourrait dire, dans un autre genre et de plus grandes largeurs, du roman Naissance d'un pont de Maylis de Kerangal, superbe ouvrage d'ingénieure littéraire "travaillant le réel" au dam des littérateurs craignant de salir les mains de la muse fameuse en sa tour d'ivoire.

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    On a lu, à ce propos, la solennelle condamnation du juge Millet (l'écrivain Richard Millet, pas le peintre des bottes de foin au soleil couchant) à l'encontre de Maylis de Kerangal, gravement coupable de "travailler le réel" autrement qu'il l'entend ou que l'entend un Régis Jauffret, dont chacune et chacun se rappelle qu'il faisait partie des rares rescapés du tsunami critique déclenché par le même Millet (alors coiffé de sa casquette d'éditeur chez Gallimard) et feu son compère Jean-Marc Roberts, concluant à l'inanité de la littérature français actuelle - sauf eux et quelques-uns s'entend.
    Or le réel "travaillé" par Régis Jauffret est- il littérairement moins entaché de "lourdeur réaliste " que celui de Maylis de Kerangal, honorant plus noblement la littérature ? Tout dépend de ce qu'on appelle littérature. Pour ma part, ce que je me suis dit, à propos des mille pages de réalisme prétendu littéraire des Microfictions de Jauffret, c'est qu'en effet ce réel fantasmagorique, systématiquement noirci par l'auteur, avérait l'expression courante selon laquelle "tout ça n'est que littérature "...

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    En lisant Sam Shepard, Réparer les vivants de Maylis de Kerangal ou Jeune homme de Karl Ove Knausgaard, je constate à présent, tandis que le jour se lève sur la mer au-dessus de laquelle plane la silhouette noire d'un mouette qui sera blanche tout à l'heure -, que ces auteurs, comme un Tchékhov ou un Amos Oz, sans rapport apparent entre eux, ont en commun un respect quasi sacré de la réalité qu'ils ne se contentent pas de reproduire comme le ferait un photomaton sans âme d'un visage, mais qu'ils transposent avec plus ou moins de précision et d'exactitude ou de justesse modulée par la patte ou la voix de chacun.

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    Je n'en finis pas de m'étonner, à la lecture du Jeune homme de Knausgaard, par la lumière qui émane de ce récit d'une enfance prodigieusement ordinaire, où le premier jour d'école est raconté comme un véritable événement à quoi contribuent la couleur et l'aspect tout neuf des effets scolaires du kid ou ses habits revêtus pour la grande occasion, avant que l'enfant ne découvre en lui l'envie plus ou moins démoniaque de mettre le feu à n'importe quoi ou détaille le langage muet des arbres, chacun selon son essence, etc.

    JLK, Martin le pêcheur. Aquarelle, septembre 2016.


    Lorsqu'un écrivain se pose en idéologue théoricien plus ou moins sectaire, décriant "l'universel reportage" comme le fit un Mallarmé ou prônant le seul "réalisme socialiste", la gratuité sublime de l'art pour l'art ou l'engagement dans la bonne troupe, il se condamne lui-même à l'étriquement au nom d'une prétendue réalité artistique plus réelle que celle de la vie, quand tout devrait se fondre et se dépasser par la poésie non dogmatique mais hyper-précise, dont la beauté se conjugue platoniquement (yes, sir) avec la bonté et la vérité, à moins de crises de dents ou de coups de sang, de révolte primaire ou de chagrins délétères , de contradictions insurmontables comme en contiennent l'art imitant la vie ou vice-versa, etc.


    Anton Tchékhov. Conseils à un écrivain. Éditions du Rocher / Anatolia,2004, 238p.
    Karl ove Knausgaard. Jeune homme. Denoël, 2026, 681 p.
    Sam Shepard, À mi- chemin. Laffont, Pavillons poche,2016, 291 p.
    Maylis de Kerangal. Corniche Kennedy. FolioPlus, 2o16, 235 p.

  • Pour tout dire (38)

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    À propos des correspondances ferroviaires et du TOUT DIRE poétique, modulés par la lecture de Lambert Schlechter, d'Olav H. Hauge et d'Adam Zagajewski, tous bien connus (!) des grandes surfaces...


    Le plus court chemin entre mon jardin suspendu et les Crêtes siennoises, via le Campo de Sienne et la Libreria senese dont le rayon poésie est au-dessous de la ceinture et suppose donc la génuflexion, serait le fil tendu du vol de missile, qui exclut hélas l'escale baroque au cimetière de Milan et le goûter de fin septembre auprès du petit Silène des jardins Boboli, donc j'opterai une fois encore pour le Pendolino et la micheline jaune aux vitesses réglées pour l'Italie variable.

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    Lorsque la dernière fois j'ai vu de loin le poète luxembourgeois Lambert Schlechter à la terrasse du bar-brasserie al Mangia, sur le Campo de Sienne, je me suis gardé de le déranger dans sa computation méditative (il annotait le dernier recueil de Guido Ceronetti, Insetti senza frontiere , du biseau de sa Plumix de Pilot) en me hâtant de rejoindre mon propre repaire de papier donnant sur cour à la pension Pianigiani.

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    Vingt ans plus tard je constate, en lisant ses Inévitable bifurcations, que notre chien fou de l'herméneutique buissonnière cite le poète norvégien Olav H. Hauge dont Karl Ove Knausgaard évoque l'interview qu'il en a faite pour un journal d'étudiants, d'abord intimidé par le revêche taiseux qui, après avoir remballé une équipe intempestive de télévision, revint tout docile et tendre au fervent garçon et à son pote photographe, pour leur accorder un entretien jugé plus tard le meilleur dde son press-book par la femme du grand poète dont la belle tête est visible sur Google Images - t'as qu'à cliquer.
    Or voici ce qu'écrit Lambert avant de citer nommément Olav H. Hauge: « on sait qu’on ne dira jamais rien de décisif, mais aux moments où se déclenche l’écriture, la plupart du temps, on pense que cette fois-ci, ça va possiblement être décisif, il y a cette sorte de remue-ménage dans les méninges, ça palpite & tremblote, il se pourrait bien que ça se déclenche, on ne sait pas encore quoi, mais ça promet, il se fait une sorte de table rase, quelque chose va commencer, peut-être, quelque chose d’inouï, littéralement quelque chose de pas encore entendu, et tout ce qu’on avait cogité auparavant, pendant des mois et des années, aura servi à préparer le déclenchement, fallait préparer le terrain, avec ses alternances d’ensemencement et ses friches, ses enchaînements de gueulerie et de mutisme, Olav H. Hauge a eu des moments pareils sans s’en rendre compte, je vis et me consume, sans rien comprendre aujourd’hui la monde qui va avec ses fleurs et ses femmes est à moi, le ciel est tout bleu, avec quelques petits chiffons blancs de nuages, puis de temps en temps une rafale de vent, au loin il se prépare sans doute un orage, d’un coup cette saloperie de parasol s’envole, avec une grosse ficelle je l’attache àma table, et je perds le fil de ma cogitation, reprends le poème de hauge, personne ici ne le connaît, il est mort il y a vingt ans, dans la solitude norvégienne, tu posséderas toute la beauté sur la terre quand moi je serai depuis longtemps parti, parti depuis vingt ans Olav, et ses syllabes viennent me contaminer la page, le monde avec ses fleurs et ses femmes », etc.
    Cela me rappelle quelques vers d'Adam Zagajewski, dans le tendre et poignant poème intitulé L'aéroport d'Amsterdam et dédié à sa mère:


    « Il faut veiller les morts
    sous l’immense chapiteau de l’aéroport.
    De nouveau nous étions des nomades,
    tu cheminais vers l’ouest en robe d’été,
    étonnée par la guerre et le temps,
    par la moisissure des ruines et le miroir où
    se reflétait une petite vie fatiguée »…


    Ce qui traluit des poèmes de Zagajewski (traluire est le verbe romand qui suggère en transparence la lumière du soleil à travers la grappe mûre) c'est la palpitation d'une âme vibrante, et voilà qu'une autre page des Inévitables bifurcations s'impose décidément à la citation: « quand à côté de moi elle dort et que je veille, regardant tout attendri dans la pénombre son visage paisible et infiniment beau, sentant le chaud de son corps dans toute sa fragilité et tout son mystère, j’ai l’impression, dans le noir de la nuit, de veiller sur son âme, si je reste en vie, écrit Chalamov à propos des camps staliniens, c’était la formule consacrée qui préludait toujours aux réflexions portant sur toute période au-delà du lendemain, anima vagula blandula, l’âme nous la sentons, mais ne la voyons pas, alors nous disons, pour simplifier, qu’elle est invisible, mais les conteurs et les peintres ont besoin de nous la faire voir, il n’est d’histoire que de l’âme, dit énigmatiquement Valéry ».

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    Ensuite, les lignes qui suivent, relatives à l'Ange de la mort et à notre âme qui tremblote, ne sont pas moins à tiroirs, mais t'as qu'à commander l'opuscule sur Amazon ou faire un saut au kiosque d'à côté où tu trouveras Tout Schlechter entre Tout Marc Musso et Tout Guillaume Dicker – et le poète aux mains brûlées conclut doucement « et quand je dis des mots d’amour, je dis parfois Séilchen qui signifie petite âme, animula, nous sortons du noir de la nuit, nous vivons, et quand elle me regarde en souriant, c’est qui tremble, c’est mon âme ».


    Lambert Schlechter. Inévitables bifurcations. Les doigts dans la prose, 2016, 161p.
    Adam Zagajewski. Mystique pour débutants et autres poèmes. Fayard/Poésie, 1999, 149p.