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  • Offrande de l'aube

     

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    Autour de la chambre du temps,

    on n’en a pas fini

    d’appareiller sous le vent,

    debout sur le petit

    esquif qui s’en va s’esquivant

    au défi des récifs...

     

    Les lointains nous sont familiers,

    et c’est à vue de nez

    que nous parcourons les étoiles

    en filant à la voile

    ou à la rame, les envolées

    dont vous lirez les trames

    quand le temps sera revenu

    de toutes ces allées...

     

    Les enfants rêvent à la mer

    les dimanches matins

    des printemps de douce lumière,

    quant le grand rideau du sommeil

    se lève en découvrant,

    dans le miroir sans tain du ciel,

    le ciboire de vermeil...

  • Ludmila au tricot

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    Ludmila tricota pas mal ces années-là, et peut-être s’y remettra-t-elle ces prochains jours alors que tous les voyants de l’économie sont au rouge, selon l’expression répandue, Ludmila tricotera comme nos mères et les mères de nos mères ont tricoté, et le monde tricoté s’en trouvera conforté en son économie.
    Le monde actuel se défaufile, me disait déjà Monsieur Lesage quand j’allais le rejoindre au Rameau d’or. Tout s’effondre de ce qu’on a construit sur la haine et le vent. Tout a été gaspillé pour du vent. Tout a été pillé et part en fumée, disait Monsieur Lesage en tirant sur sa clope ; il en était à sa troisième chimio et ses traits s’étaient émaciés au point de m’évoquer ceux du poète Robert Walser qu’il aimait tant, soit dit en passant, lesquels traits me rappelaient à tous coups les traits de Grossvater et non seulement ses traits mais aussi sa posture et sa façon de se tenir modestement au bord d’une route de campagne, sa façon aussi de traiter des questions d’économie.
    Jamais je n’avais vu Monsieur Lesage ailleurs que dans son siège curule du Rameau d’or ou sur le pont roulant de sa librairie, immobile et songeur, à lire en tirant sur sa clope, mais il y avait chez lui quelque chose du promeneur jamais chez lui, tout semblant dire chez lui que la vraie vie est ailleurs, cependant il me criblait à présent de questions sur l’enfant, sans prêter trop d’attention à mes récits de père niaiseux : l’enfant parlait-il déjà ? L’enfant s’était-il mis à lire ? L’enfant écrirait-il bientôt ?
    Puis il revenait aux questions qui le préoccupaient à l’époque, alors que progressait sa maladie sans le dissuader pour autant de tirer sur sa clope – ces questions liées à ce qu’il appelait la Guerre des Objets, questions de pure économie à ce qu’il me disait.
    Vous verrez, mon ami, me disait Monsieur Lesage en ces années déjà, vous verrez qu’ils iront dans le Mur. Ils auront des voitures toujours plus puissantes et cela les fera jouir de foncer dans le mur. En vérité, en vérité, prophétisait parodiquement Monsieur Lesage, me rappelant les sermons pesamment ingénus de Grossvater en nos enfances, en vérité ce monde est juste bon à s’éclater, et vous verrez qu’il en éclatera.
    Monsieur Lesage grimaçait de douleur, tout en me souriant à cause de l’enfant ; et c’est en souriant, sans cesser de tirer sur sa clope, qu’il m’entendit lui évoquer le dernier état de ma Mère à l’enfant et mon autre intention de peindre Ludmila tricotant.
    La femme a toujours tricoté, me disait Monsieur Lesage en tirant sur sa clope, je ne dis pas qu’elle ne sait faire que ça, je n’ai jamais dit ça, vous savez combien j’ai aimé les femmes, dont aucune ne tricotait que je sache, mais la femme en tant que femme, la vraie femme, la femme originelle, la fileuse qui s’active dès l’aurore n’est en rien à mes yeux l’image d’une imbécile juste bonne à faire cliqueter ses aiguilles, car c’est avec elle que tout commence, du premier geste de choisir le fil à celui de le couper, suivez mon regard, et Monsieur Lesage allumait sa nouvelle Boyard au mégot de la précédente.
     
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    °°°
    Ludmila tricotait dans la douce lumière de l’impasse des Philosophes, à longueur d’après-midi, surveillant d’un œil l’enfant à son jeu, et c’était son histoire, et c’était son passé et notre futur qu’elle tricotait de son geste expert, une maille à l’envers puis à l’endroit.
    Le fil du Temps courait ainsi sous les doigts experts de Ludmila et nos mères s’en félicitaient et se remettaient elles aussi à tricoter en douce au dam de l’esprit du temps, selon lequel tricoter est indigne de la Femme Actuelle faite pour le secrétariat et le fonctionnariat ; Ludmila tricotait en écoutant La Traviata ou, la fenêtre ouverte dès le retour du printemps, la simple musique des jours à l’impasse des Philosophes, les canards qui passaient en petite procession ou le chat, le docteur, le facteur ou le brocanteur – Ludmila tricotait et le temps passait, Ludmila tricotait les paysages et les paysages changeaient, il y avait des chemins là-bas où des enfants s‘en allaient, enfin une après-midi je m’en fus seul au cimetière jeter une poignée de terre sur le cercueil de Monsieur Lesage, Ludmila venait de couper son fil sur sa dent et je murmurai les derniers mots que mon ami avait murmurés avant son crénom de trépas : J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas, les merveilleux nuages…
     
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    (Extrait de L'Enfant prodigue, paru aux éditions d'autre part en 2011).
    Dessin de Richard Aeschlimann
    Image JLK: Lady L. et l'un de ses plus beaux tricots...

  • Ainsi allant toute vie

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    Les choses se sont rapprochées
    sous cette autre lumière:
    on les dirait plus familières,
    elles ont l’air d’avoir autre chose
    à nous dire qu’hier ,
    et pourtant elles n’ont pas changé...
     
    Quant à toi tu ne sais que dire
    en cette circonstance:
    ce qui arrive est imprévu,
    on dit: la faute à pas d'chance,
    et faute de sourire
    tu soupires entre deux fous rires,
    sans conclure à malchance;
    vous avez accueilli la vie,
    et dansez maintenant...
     
    Vu du ciel on ne dira pas
    le spectacle banal,
    car au ciel on a des égards:
    on sait la différence
    entre le miel et la maldonne,
    on sait la belladone
    et ce qui fait la vie meilleure
    en vos plus belles heures -
    on sait mieux que personne
    ce qui passe ou demeure...
     
    Peinture: Joseph Czapski.

  • La plus douce alliance

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    (À nos enfants, et pour L.)
     
    Prends garde à la lumière,
    ne laisse pas l’ombre gagner:
    elle est en toi, elle est en vous
    qui restez éveillés
    au secret de votre clairière...
     
    Gardez en vous ce don précieux
    des larmes et de ce lent courage
    que vous avez en partage
    en ce jour lumineux,
    malgré l’ombre au sombre visage...
     
    Le temps imparti vous advient,
    que vous vivrez ensemble,
    liés par le plus tendre lien
    que rien ne désassemble...

  • La maladie de vivre

     
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    À la Maison bleue, ce mercredi 28 avril. - Faut-il vivre comme si l’on était immortel ou comme si l’on vivait son dernier jour ? La question relève le plus souvent de l’abstraction jusqu’au jour où, crac dans le sac, tu te trouves confronté à la mort de ton meilleur ami ou au verdict des médecins qui t’annoncent tout à coup qu’il te reste un mois ou une année à vivre, comme l’ont raconté Tolstoï dans La mort d’Ivan Illitch et Kurosava dans Ikiru, l’incomparable blues cinématographique de Vivre.
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    Encore sonné par le coup d’assommoir d’hier matin, je me dis et me répète que rien ne doit en filtrer hors du cercle étroit de nos tout proches, et que c’est en petit clan que nous mènerons ce nouveau combat.
    Cela réactualise, de façon tout à fait impérative, ce que je me suis dit et répété à travers les années, à propos des milliers de pages de carnets que j’ai publiées ; je me le suis rappelé en découvrant, dans son journal intégral, les moindres détails de la vie privée de Julien Green, qui en avait interdit la publication de son vivant, mais aujourd’hui l’étalage de nos vies est d’une autre nature par le truchement des réseaux sociaux, où la curiosité fébrile de la meute rompt décidément le pacte d’une certaine réserve et d’un certain respect humain, notamment en ce qui concerne la privacy affective et nos états de santé.
    Il n’est pas de jour, ainsi, qu’on ne découvre sur Facebook le dernier bulletin de santé de tel ou telle, et j’ai constaté moi-même, lors d’un séjour à l’hôpital dont j’ai peut-être trop parlé, l’afflux soudain de témoignages de gens qui m’étaient lointains ou carrément inconnus et qui me disaient leur compassion et m’encourageaient à lutter comme si nous participions ensemble à un concours sportif de guérison…
    Or je ne préjuge en rien de la sincérité feinte ou réelle des uns et des autres, mais cette fois c’en est assez me dis-je ce matin, et je n’y reviendrai pas, ou tout autrement, par le truchement d’images ou de fictions...
     

  • Que la lumière soit...

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    (Alla luce di Lucia)
     
    Tout à coup tout est arrêté
    dans le monde entier:
    tu es là dans le blanc du temps,
    ou vous seriez face aux écueils -
    mal barrés, même médusés,
    ou votre cœur lancé
    dans l'effusion de ces hauteurs
    se serait essoufflé...
     
    Mais à l’instant vous découvrez,
    dans le vent en suspens
    le monde soudain tout offert
    par delà les hautes vallées
    et plus loin vers la mer,
    et vous voilà revigorés
    par l’afflux de lumière...
     
    Image: Lucia K.

  • Cette offense sans raison

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    (En pensée avec toi)
     
    La menace est là dans le noir,
    et par son grand silence
    nous la savons sans rien savoir
    dans la durée intense
    de ce qui ne se conçoit pas...
     
    Cette douleur soudain perçue
    au secret de nos cœurs
    nous surprend en son advenue
    à l’insu de tous les pouvoirs,
    quand elle seule est sûre
    de cela qu’elle est là...
     
    Mais nous la tenons en respect:
    comme une joie tenace
    nous a fait retourner l’épée
    et retrouver la grâce
    de l’affronter comme, en enfance,
    le déni de notre innocence...
     
    Image: Philip Seelen

  • Notre secret

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    (Pour L.)
     
    T’as quelque chose à me dire,
    je t'entends bien.
    J'veux dire: je m’entends bien avec toi,
    et je m’entends mieux avec moi quand t’es là.
    Partout où je te retrouve sur mon chemin
    je m'retrouve en même temps.
     
    J’sais pas pourquoi mais c’est comme ça :
    même quand y a pas de lumière y en a quand t’es là.
    D’ailleurs c’est normal vu que ton prénom veut dire ça,
    et que c’est pour ça que tes yeux m’éclairent,
    et que ce que je regarde avec tes yeux,
    me paraît plus lumineux.
     
    Mais là j’sens que t’as quelque chose à me dire,
    ici et maintenant,
    et ça aussi c’est normal,
    vu que moi aussi j'te le dis...
     
    Papier découpé: Lucia K.