À la Maison bleue, ce mercredi 28 avril. - Faut-il vivre comme si l’on était immortel ou comme si l’on vivait son dernier jour ? La question relève le plus souvent de l’abstraction jusqu’au jour où, crac dans le sac, tu te trouves confronté à la mort de ton meilleur ami ou au verdict des médecins qui t’annoncent tout à coup qu’il te reste un mois ou une année à vivre, comme l’ont raconté Tolstoï dans La mort d’Ivan Illitch et Kurosava dans Ikiru, l’incomparable blues cinématographique de Vivre.
Encore sonné par le coup d’assommoir d’hier matin, je me dis et me répète que rien ne doit en filtrer hors du cercle étroit de nos tout proches, et que c’est en petit clan que nous mènerons ce nouveau combat.
Cela réactualise, de façon tout à fait impérative, ce que je me suis dit et répété à travers les années, à propos des milliers de pages de carnets que j’ai publiées ; je me le suis rappelé en découvrant, dans son journal intégral, les moindres détails de la vie privée de Julien Green, qui en avait interdit la publication de son vivant, mais aujourd’hui l’étalage de nos vies est d’une autre nature par le truchement des réseaux sociaux, où la curiosité fébrile de la meute rompt décidément le pacte d’une certaine réserve et d’un certain respect humain, notamment en ce qui concerne la privacy affective et nos états de santé.
Il n’est pas de jour, ainsi, qu’on ne découvre sur Facebook le dernier bulletin de santé de tel ou telle, et j’ai constaté moi-même, lors d’un séjour à l’hôpital dont j’ai peut-être trop parlé, l’afflux soudain de témoignages de gens qui m’étaient lointains ou carrément inconnus et qui me disaient leur compassion et m’encourageaient à lutter comme si nous participions ensemble à un concours sportif de guérison…
Or je ne préjuge en rien de la sincérité feinte ou réelle des uns et des autres, mais cette fois c’en est assez me dis-je ce matin, et je n’y reviendrai pas, ou tout autrement, par le truchement d’images ou de fictions...