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  • Martyrs et papillons

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    (Page matinale d'un journal)
     
    Ce dimanche 25 avril.- J’étais revenu hier soir de l’isba sous un ciel ensanglanté et j’avais regardé la fin du documentaire consacré au martyre subi par le peuple coréen durant tout le vingtième siècle et jusqu’à ces jours, je pensais une fois de plus à l’inimaginable capacité de résilience de notre drôle d’espèce, sur quoi j’ai repris la lecture des trente dernières page du Père Goriot pour m’étonner une fois de plus de la pénétration lucide et de la compassion frottée d’humour sardonique de ce trentenaire pansu de Balzac qui avait tout vu de la société et des ses plus subtils rouages de pouvoir et de cœur, d’envies de domination et de relents de psychologie, qu’il s’agisse de jeunes gens à la Rastignac - et les connards motorisés faisaient à l’instant même pétarader leurs moteurs sous nos fenêtres ouvertes aux premières douceurs annonciatrices d’été - ou de femmes rusées ou de vieilles filles à la Michonneau; et Goriot fou de douleur quasi sénile désespérait devant le désarroi futile de ses deux filles plumées par leurs maris et autres amants, et le subtil Eugène découvrait le Paris babylonien des ambitions et des séductions retorses dont instinctivement, me disais-je, je me suis tenu à l’écart dès mes premières incursions parisiennes, au dam de certains amis me reprochant de ne pas m'y plonger - et moi n’en faisant comme toujours qu’à ma tête et me disant, à l'in star du Docteur Tchekhov ou du Docteur Cha Yo-han, que seule la compassion sauve ceux qui préservent égoïstement leur immunité, etc.
     
    °°°
    Parler vraiment de sexe est donc l’une des impossibilités observées par Martin Amis en littérature, compte évidemment non tenu des traités techniquement les plus raffinés (à la façon du Kama Sutra) ou les plus idéologiquement marqués ( Œuvres complètes de Sade en réponse au Guide du confesseur catholique), et même sans relation directe avec ce que d’aucuns, à la Julius Evola, tiennent pour une métaphysique du sexe.
    Dans l’inflexion de mémoire suggérée par Martin Amis, je me rappelle alors le souhait de ma première girlfriend teenager me proposant de parler clairement de sexe toute la nuit avant de faire l’amour pour la première fois, à quoi je répondis lâchement en lui fermant la bouche d'un french kiss impérieux pour lui signifier sans mots ma propre impossibilité...
     
    °°°
    Hier soir encore, alors que je poursuivais mon exploration virtuelle tardive de la Corée du Sud, un courriel m’arrive de Bernard Deson qui me transmet le PDF de sa revue Instinct nomade consacrée à Marguerite Duras, avec une impressionnante collection de textes de connaisseurs avisés du Durassic Park, un choix remarquables de dessins et de photos et mes deux contributions : la relecture d'Un barrage contre le Pacifique et mon pastiche gratiné - cela pour ne pas quitter l’Asie des périphéries malmenées par l’impérialisme occidental, etc.
     
    °°°
    Et me voici, ce dimanche matin clair et vif, après avoir trié la centaine de CD retrouvés dans sa chambre d’hôtel enfin accessible sur notification des Services officiels, devant le tas de chemises à carreaux de notre cher disparu, et ce coffret de papillons que, d'entente immédiate avec Lady L., nous avons décidé de transmettre à nos petits-fils; de fait quelle meilleure façon d’envoyer les papillons de leur grand-oncle, par manière d' ambassade posthume, au monde d’après ? En revanche je me garderai les chemises de coton bariolé de notre cow-boy urbain, histoire d'en endosser une part de douceur...
     
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  • Martin et son double

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    (Extrait d'un journal en cours de journée)
    Ce samedi 24 avril. - Je tombe réellement des nues à la lecture de l’Inside story de Martin Amis, qui relève a la fois de l’autobiographie réinventée et de la bio dédoublée en décalage diachronique, comme si je me racontais moi-même en passant en revue les personnage que j’ai été et qu’ont été chacune et chacun d’entre vous dont je prendrais à témoin celles où ceux en qui j’ai le plus confiance pour détailler ou commenter ( je vous laisserais donner votre avis) telle ou telle situation et décider si je l’aborderais aujourd’hui, ou pas, de telle ou telle autre façon...
    Comment se débarrasser de ce qu’on appelle la religion au profit de ce que William James, frère du fameux Henry, préférait appeler l’esprit religieux, et comment parler vraiment de sexe dans un roman - ou comment raconter ses rêves ?
    C’est ce que se demande Martin qui cite bientôt Kingsley (son père écrivain en vue) comme un personnage du roman qu’il est en train d’écrire, dont il évoque l’antisémitisme «mécanique « en des termes qui me rappellent, entendus de sous la table du salon de mes grands-parents paternels, les propos de mon père et de mes oncles d’accord avec mon grand-père pour estimer qu’«ils sont partout», propriétaires de grands magasins lausannois et surtout influents en cercles fermés partout où il y a de l'argent - et j’entends et j’enregistre bien avant de poser à mes parents l’inévitable question des camps, à savoir : savaient -Ils ou pas ?
    Martin Amis avait entrepris la composition de ce roman sur «sa vie» en Uruguay, il y a des années de ça, et le résultat l’avait navré : c’était un livre mort, faute sans doute de fiction – faute d’être un roman.
    Est-ce à dire qu’une vie «romancée» s’impose ? Pas du tout. Le roman est une résurrection ou il n’est rien qu’un livre mort, même pas une biographie. On le comprend en lisant Inside story, qui suit un fil invisible mais solide, me rappelant ce que disait Roland Barthes, selon lequel le roman fait d’une vie un destin.
    On pourrait dire alors que dans le véhicule du roman, Martin a pris la place du mort et commente la façon de conduire et les options directionnelles du chauffeur en train de nous conduire tranquillement « à tombeau ouvert ».
    Jusque-là, se dit le Martin passager, trois choses ont été difficiles pour les romanciers et c’est de parler du sexe, de la religion et des rêves.
    Trois sujets impossibles, illicite pour le premier jusqu’à la légalisation de L’Amant de Lady Chatterley, mais d’après le Martin romancier même là D.H. Lawrence n’a pas parlé de sa vraie voix…
    Donc on s’attend (on n’en est même pas à la page 33) à ce que le romancier casse le morceau à sa façon, et ça commence bientôt avec le récit de ses premières «affaires», à commencer par celle qui lui fait rencontrer Phoebe au seuil d’une cabine de téléphone…
    Or la première «description» physique de Phoebe est d’une «poésie» de vrai roman nabokovien, mélange de sensualité sémantique et de grâce ailée, de malice et de semi-obscénité (comme on parlerait de semi-obscurité) qui fait réellement apparaître en 3 D cette femme terriblement attirante en fonction de critères échappant aux clichés de la « terrible attirance » conventionnelle...

  • Faits et fiction

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    (Pages d'un journal)
     
    À la Maison bleue, ce mercredi 21 avril, au soir. – Après avoir envoyé ce matin, à mes amis de BPLT, mon journal de lecture du Monde d’avant, j’ai décidé de mettre de l’ordre dans mes propres « journaliers » et autres travaux en chantier, de compléter mes carnets de L’Année zéro, à savoir 2020, et de réviser l’édition définitive de Czapksi le juste et celle de Mémoire vive (journal 2013-2019) , plus mes deux recueils de poèmes (La Chambre de l’enfant et Le Chemin sur la mer), mes chroniques et Le Grand Tour, en attendant de revenir au roman en cours, etc.
    Si la publication prochaine de mes divers textes ne m’inquiète pas autrement, ni moins encore ne m’obsède, je tiens cependant à la préparer soigneusement, d’une part en achevant tous les manuscrits, disponibles sur le CLOUD, et ensuite en prenant une certaine nombre de contacts avec des éditeurs prêts à entrer en matière de façon sérieuse...
     
    Ce jeudi 22 avril. – Ainsi aurai-je passé des plus de 800 pages du journal de l’ami Roland aux plus de 500 pages du nouveau roman autobiographique de Martin Amis, me suis-je dit tout à l’heure en faisant du surplace dans ma Honda Jazz bloquée par l’encombrement matinal alors que j’avais rendez-vous à huit heures avec la nouvelle dentiste au nom sûrement portugais m’évoquant à la fois celui de la peintre Vieira da Silva et le village de Carvoeiro, et la vague crainte de la douleur prochaine m’a rappelé les douzième et treizième épisodes de la série coréenne vue hier soir dont le double thème est l’euthanasie et cette maladie effrayante du médecin protagoniste Cha jo-han caractérisée par l’incapacité totale de ressentir aucune douleur.
    Comme nous étions arrêtés à la hauteur du collège des Chamblandes (longue file de jeunes gymnasiens masqués sortant du bus bleu), je me suis dit qu’un prof pourrait faire, de cette fiction médicale, un cours passionnant sur ces deux thèmes modulés par quelques situations bouleversantes, avec des acteurs mieux individualisés et plus attachants les uns que les autres, sur quoi j’ai appelé Lady L. pour la prier d’avertir le cabinet dentaire de mon retard, et un quart d’heure plus tard j’y étais, pour une intervention d’une heure (anesthésie parfaite) qui s’est soldée par ce constat lamentable: deux de mes trois dernières dents à arracher, donc N’A qu’Une Dent sera mon surnom de demain… et j’avais encore la mâchoire insensible quand, sur le chemin du retour, j’ai commandé un grand crème à la terrasse ensoleillée du Major Davel, à Cully, avant de proposer à Jackie de me rejoindre, avec laquelle nous avons passé deux heures à clabauder et à rire beaucoup tandis que Tonio faisait des longueurs à la rame sur son esquif, à deux ou trois cents mètres du rivage…
    La pensée de la mort l’angoisse, me répète J., surtout par rapport à ses enfants, elle me dit en outre cotiser à l’association EXIT, mais elle se récrie quand je lui recommande ma série coréenne en prétextant le goût écœurant de son père pour le feuilleton américain Top Model jusqu’au dernier jour de sa vie, et j’ai beau lui jurer que ça n’a rien à voir, je la sais têtue comme un mulet jurassien et ce qu’elle a vécu en tant que soignante durant ses années passées aux soins palliatifs lui donne en somme le droit d’ignorer ces horreurs, donc nous en évoquons d’autres, l’imbécillité de celui-ci et les extravagances de celui-là ou les derniers jours comparés de nos chers disparus plus que jamais présents, etc.
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    Dès les premières pages d’Inside story, Martin Amis affirme qu’il en a plus dit sur lui-même dans ses romans qu’il ne le pourra dans aucun écrit autobiographique, sauf à passer par la fiction, car la fiction représente à ses yeux la liberté, et je surabonde en me rappelant Le viol de l’ange où je me suis impliqué de façon beaucoup plus libre et profonde que dans mes propres «journaliers», quand bien même mon roman serait resté virtuel dans sa conception… Tout est dans le décalage subtil entre faits et fiction, et les livres de Tonio procèdent de la même transposition...
    Et cela encore à propos de Jackie : qu’elle me dit que les grands écrivains, de toute façon ne meurent pas, et je le prends pour moi puisque je vis avec Charles-Albert et Witkacy depuis ma première vingtaine, avec feu Marcel Proust autant qu’avec la toujours vivante Annie Dillard, entouré de milliers de morts qui me sont plus vivants que pas mal de morts-vivants pas encore clamsés, etc

  • Le Grand Tour

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    58. La Frau Doktor et les nudistes
     
    De la Frau Doktor en knickerbockers. De la culture alternative ou alternée sur jachère. Où l’utopie se trouve recyclée en séminaires coûteux. Des vérités du Monte Verità.
    Ascona, Monte Verità, ce mercredi 13 juin 2007. - La Frau Doktor en knickerbockers remontait au pas de charge les allées fleuries du Monte Verità, me rattrapa sur un faux plat et me débita, sans reprendre son souffle, le récit du Programme qu’elle s’était imposée depuis une semaine avant de rallier le séminaire de culture alternative qui se donnait en ces lieux.
    La Frau Doktor avait « fait » la veille la Casa Nietzsche de Sils Maria, le jardin du Palazzo Salis, à Soglio, où elle avait identifié le séquoia qui avait vu passer Rilke, le musée Giacometti de Stampa et le château de Castelmur qu’elle avait trouvé d’aussi mauvais goût que le disait son guide, ce qui l’avait fait rire, « ah, ah », car son guide aventurait souvent des considérations oiseuses.
    Il n’y avait point de place, dans le discours précipité de la Frau Doktor en knickerbockers, pour les considérations oiseuses, pas plus qu’il n’y avait d’hésitation dans les sarcasmes formulés par l’anarchiste Erich Mühsam, auquel son grand-oncle Friedeberg avait été lié en 1906, contre les végétariens auxquels manquait décidément l’esprit révolutionnaire. Elle-même avait étudié à fond les écrits de Mühsam, liquidé en 1934 dans le camp de concentration d’Oranienburg, et c’est avec pétulance qu’elle me cita par cœur un sien quatrain satirique :
    « Wir essen Salat, ja wir essen Salat
    Und essen Gemuse früh und spät
    Auch Früchte gehören zu unsrer Diät
    Was sonst noch wächst, wird alles verschmähht »…
    Puis ce fut la minute de nostalgie béate à deux voix, immédiatement suivie, de son côté, par un sursaut à caractère alternatif, auquel j’opposai discrètement ma conception d’une culture alternée sur jachère.
    Ainsi donc, nous rappelions-nous, mutuellement, tout ce que l’Europe avait compté d’idéalistes venu faire sa cabane et ses dévotions au soleil en ces espaces ensauvagés.
    Hermann Hesse y avait séjourné dans une anfractuosité de rocher et s’y était exposé tout nu à l'astre solaire tandis qu’Isadora Duncan ondulait sous la brise juste vêtue d’une écharpe de soie mauve. Des hippies avant la lettre y avaient construit des cahutes, lesquelles étaient devenues de coquettes villas au fur et à mesure que l’idéal s’émoussait, avant les hôtels de luxe et l'actuel Centre de Rencontres multimondial.
    Un commissaire local avait été mandé sur les lieux pour vérifier que les orgies qu’on y évoquait relevaient du racontar populaire. Un sanatorium y accueillit des poumons ravagés de toutes nations. Des théosophes crurent y entrevoir un avatar de la mythique Lémurie, le peintre Elisar von Kupfer y figura le Paradis, des jeunes filles dansaient sur des airs de Wagner - il ne pourrait plis y avoir de guerre dans un tel monde.
    Mais la Frau Doktor en knickerbockers regardait sa montre : le séminaire reprenait à l’heure punkt, où il serait question du génial Harald Szeeman, concepteur de la relance publicitaire du Monte Verità et de l’exposition de 1975 rachetée par la Fondation que je ne pouvais manquer de visiter, pas plus que je ne saurais m’abstenir d’une visite à la pittoresque Hetty Rogantini-De Beauclair, figure tutélaire des lieux et vestale de la Casa Anatta.
    Alors, comme je faisais valoir à l’exténuante Frau Doktor que j’avais prévu, de fait, ces dévotions variées, elle consacra les cinq dernières minutes qui lui restaient à me sonder sur mon aperception de la culture alternative, puis à s’inquiéter de ce que je me réclame plutôt de la culture alternée sur jachère.
    Je ne le lui dis pas, pour ne pas la peiner, mais je n’avais envie ici que d’oublier ce qu’on idéalisait du temps des idéalistes du Monte Verità, pour mieux le retrouver en mon for privatif. Son devoir culturel, je le lui laissais ; cette culture recyclée en séminaires coûteux ou en voyages instructifs ne me disait rien. Je lui dis en revanche que la culture alternée passait par des voies imprévisibles, qu’aucun guide n’indiquerait jamais. Et que pensait-elle, au fait, de la tradition perdue consistant à ne choisir les jeunes filles au pair qu’à proportion de leur capacité d’amuser les enfants ?
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    La Frau Doktor me considérait maintenant d’un air à la fois interloqué, sincèrement perplexe et navré. Etais-je bien sérieux ? N’était-il pas indiqué que nous nous retrouvions après le séminaire afin de travailler ensemble le sujet ?
    Je déclinai poliment, tout en me figurant la Frau Doktor en knickerbockers et peinant à se dépouiller de ceux-ci pour danser un peu… mais non : la tête pesait trop sur ce corps voué à la seule marche forcée.
    Hélas, il lui faudrait encore du temps, à la Frau Doktor en knickerbockers, avant de vivre enfin selon les vérités du Monte Verità…