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  • Journal des Quatre Vérités,XXXVII

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    Ce mardi 23 juin. – Reprenant ce matin ma Fée Valse, je suis ravi par la plasticité de ces petits tableaux et la verdeur, l’humour de leur esprit ; et cet autre sujet de satisfaction : la lecture, dans Le Persil dont mon texte intitulé Journal sans date des premières quinzaines d’une quarantaine constitue l’ouverture sur trois pleines pages, d’un poème de Quentin Mouron qui m’épate par sa vivacité tout actuelle et sa découpe rythmique :
    Il y a là comme une ballade médiévale relookée qui me touche dès sa première strophe :
    « La chevelure d’or des contes fait désormais l’objet
    De prescriptions
    On interdit au prince
    D’y passer la main
    Sous peine
    De trahir
    Son royaume »...
    Et la chute de la sixième strophe est à l’avenant mélancolique :
     
    « Il n’y a plus de boudoirs lascifs où l’or
    Se mêle aux reflets écarlates. Il n’y a plus
    Que des living rooms gluants et de plats
    Congelés qui collent sur le sol.
    Il y a des sous-vêtements Calvin Klein sales
    Sous la table basse en verre et la console de jeu
    Ne s’éteint que la nuit et nous la désinfections
    Avec du hel hydro-alcoolique. Et tes cheveux
    Et ta bouche me manquent, parfois ».
     
    Oui, c’est bien cette odeur de gel hydro-alcoolique et sa gluance sanitaire que nous rappelleront ces temps étranges,à la fois hors du temps et des lieux et hyper-réels.
    Je lui envoie donc aussitôt un texto amical sur Messenger. Ensuite de quoi, relisant les vingt premières pages de Mémoire vive, sixième volume de mes Lectures du monde (2013-2019) prêt à l’édition, je me dis que, décidément, je n’ai plus rien à prouver et me lance crânement comme nous lançait notre cher et maudit Dimitri. « On continue »…
     
    ORGUEIL ET VANITÉ. – Un auteur ou un artiste – un « créateur » quelconque, ou une « créatrice », sont-ils habilités à s’enchanter de leurs propres productions sans faire preuve de la plus douteuse vanité ? J’ose le croire, comme le pensait tranquillement une Flannery O’Connor prête à défendre becs et ongles l’excellence de ses écrits, comme elle l'aurait fait des qualités de ses enfants si elle en avait eus au lieu d’oies et de paons.
    Faut-il alors parler de légitime orgueil, au lieu de vaine vanité, et quelle différence d’ailleurs entre celle-ci et celui là ? C’est ce que j’ai demandé un jour, en notre adolescence, à notre bon pasteur Pierre Volet qui m’a répondu, sous sa moustache de crin noir, que l’orgueil se justifiait quand « il y a de quoi » tandis que la vanité consiste à se flatter quand il n y a pas « de quoi »…
    Mais l’écrivain et l’artiste sont-ils à même de juger s’ils ont « de quoi » être fiers des produits de leurs firmes ? Là encore j’en suis convaincu, et Maître Jacques partageait cette conviction. « Nous sommes , toi et moi, de ceux qui savent ce qu’ils font », me dit-il un jour, et cela valait en somme autant pour ce que nous faisions que pource que font les autres, etc.
    Ce mercredi 24 juin. – Drôle de rêve cette fin de nuit. Une espèce de jeune cadre d’apparence très lisse me demandait, dans un bus dont je graffitais la paroi , si je savais qui avait volé le béton, et je lui répondais avec impatience que je n’en savais rien, sur quoi le tendre souvenir de Ruben me revenait avec l’odeur du ciment travaillé à grande eau et je m’inquiétais de son absence avant de me réjouir, éveillé, d’avoir coupé aux terribles crampes nocturnes de ces dernières nuits - grâce probablement à une double dose de sulfate de quinine et la désormais rituelle cuillère de sucre vinaigré -, après quoi j'ai repris ma chronique sur la belle Bulgare à livrer demain…
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    PANOPTICON. – Au roman virtuel que représentait Le viol de l’ange, composé en 1995-1996 et publié en 1997, succède, vingt-cinq ans plus tard, le roman panoptique dont le titre polysémique, Les Tours d’illusion, doit quelque chose aux livres de Max Dorra, grand sourcier des associations libres du verbe à l’écoute des tréfonds psychiques présent dans la narration sous le nom d’Arnim Goldau, et dont la forme distribuée en quatre saisons et 365 séquences parodie plus ou moins celle des séries actuelles – d’où son sous-titre de serial novela – en mêlant indissolublement les éléments de la présumée réalité et de la supposée fiction, avec des personnages sortis de films ou de romans rencontrant leurs homologues issus de l’imagination du Romancier, à commencer par la tendre Ewa, soignante polonaise dans un combinat industriel ukrainien, démarquée de la protagoniste du film Import/Export de l’affreux Ulrich Seidl et qui tombe comme un ange du ciel dans la vie de l’infirme Job le Troll casé par les Services dans l’institution de l’Espérance où l’on meurt passablement en ces temps de pandémie – le roman courant entre le 15 mars et le 31 décembre de l’année 2020 parfumée au gel hydro-alcoolique. Ainsi l’Observateur du Viol de l’ange va-t-il vivre une nouvelle vie auprès d’Olga la pianiste russe feignant d’être aveugle, Jonas le fils prodigue de Nemrod sorti de mon roman inabouti (La vie des gens), Pascal Ferret le journaliste du Viol de l’ange et son compère Vivien Le Féal revenu de son exil néo-zélandais de Bluff, Tadzio le fils d’Ewa et maître Niklaus le vieil instituteur retiré dans son arche du Wunderland dont Ewa lustrera les parquets, entre autres liaisons et correspondances angéliques fondant un roman glissant imperceptiblement vers le merveilleux d’un lyrisme hyperréaliste non moins qu’onirique – le rêve cristallisant une perception extrême de la réalité panoptique ; surtout il s’agit d’un roman polyphonique de toutes les mémoires en réfraction kaléisdocipique où celle d’un maître d’école nomade plus que centenaire absolument taiseux fait écho à celle d’un jeune auteur à succès dont la porosité sensible n’a d’égale que celle de divers personnages féminins (Cécile et Lyse, Wanda et Rachel, etc.) aux mémoires à la fois affectives et terre à terre, entre autres occurrences et interférences, etc.
     
    MES PENSEURS. – Depuis ma seizième année je ne suis sensible qu’à des pensées cristallisées par le verbe ou le style et donc à des penseurs qui tous, d’Albert Camus à Simone Weil, de Charles-Albert Cingria à Stanislaw Ignacy Witkiewicz et Vassily Rozanov, de Léon Chestov et Nicolas Berdiaev à Annie Dillard, de Pascal et Montaigne à Peter Sloterdijk ou René Girard, entre tant d’autres, sont aussi, voire surtout, des écrivains ou des poètes à leur façon, à l’exclusion des philosophes à systèmes ou des idéologues.
     
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    LES ENFANTS. – Le pauvre Robert Poulet, éminent critique littéraire et misérable idéologue d’extrême-droite, me dit un jour qu’il fallait se défier absolument de la perversité cachée des petits enfants, me recommandant en outre de ne pas « entrer dans le XXIe siècle » en procréant, alors que le « mal » était déjà fait – notre première petite fille se trouvant sur la bonne voie d’une prochaiune venue au monde. Je ne sais pourquoi la fille de ce prophète de malheur, dont les jugements critiques souvent pénétrants vont de pair ave une sorte de morgue supérieure (même à propos de Céline ou de Bernanos, il y va de jugements à la limite de la condescendance), s’est donné la mort, et je présume que sa douleur est pour beaucoup dans son amertume absolue, et je ne le juge donc pas d’avoir été pour moi un si mauvais conseiller, comme l’a été le plus proche mentor de ma vingtaine, mais ce que je sais, fort de cette expérience, c’est qu’on est redevable des erreurs des autres autant que de leurs bons exemples ; et voyant les petits enfants de notre seconde fille, je me dis que rien n’est meilleur ni plus beau dans la vie que leurs yeux qui brillent.

  • Le cercle des vivants

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    Carnet nomade de René Zahnd
     
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    Toute la journée, dans la Land Rayer que conduit Abdallah, nous avons traversé des steppes dominées par les cônes de volcans gigantesques, avec de temps à autre des gazelles ou des zèbres qui regardent passer notre véhicule et son panache de poussière. Ici ou là, dans la savane, apparaissent aussi des trou-peaux gardés par leurs bergers, des masaïs longilignes, drapés dans leurs tissus aux couleurs éclatantes, blessures de vie dans un paysage de saison sèche. Herbes mortes, sables et rochers. Nous sommes en Tanzanie, dans la vallée du grand rift, berceau de l'humanité à ce qu'on dit.
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    Au bout de la route, pour l'étape, s'offre un coin de verdure. Nous nous installons près de la rivière. Nulle part. Ou alors partout, sous les yeux de quelques indigènes, même plus surpris par l'incongruité d'une telle irruption sur leur territoire. Vient alors cette impression, plus forte que jamais, d'être de passage. Juste de passage. Pourquoi venir ici ? Pour aller à la rencontre des « autres » ? De soi-même ? L'incandescence de l'instant? Comme on pourrait la trouver dans l'écriture, la lecture, l'amour ? La «vraie vie » rêvée par ce voyou d'Arthur?
    La vraie vie... Les tentes sont montées. L'air brûle. Les masaïs alentour se tiennent à l'ombre, filant d'interminables conversations que le vent emporte — de quoi peuvent-ils bien parler sans fin ? —, comme il emporte le chahut d'oiseaux aux noms fabuleux (le tisserin-moineau à sourcils blancs, un piaf robuste et familier qui mène grand tapage).
    Un des livres récemment lus qui, à sa façon, parle de la vraie vie, vient d'un ami. Les passions partagées de Jean-Louis Kuffer est là, sur la table. Et c'est un peu de Jean-Louis qui est avec moi en voyage. Ou plutôt beaucoup de Jean-Louis.
     
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    Voici saisis vingt ans d'existence, en suivant un fil rouge : la lecture. Des oeuvres sont découvertes, commentées, appréciées. Des auteurs rencontrés, interrogés (et ceci donne l'occasion de portraits magnifiques). De Georges Haldas à Milos Tsernianski, de Patricia Highsmith à l'irremplaçable Charles-Albert, c'est tout un paysage qui se dessine, s'affine, évolue. En vérité, la littérature parait une nébuleuse à explorer et Les Passions partagées témoigne d'un désir toujours intact d'y plonger, d'y découvrir de nouvelles voix. Oui, voilà déjà un élément frappant : à quel point la lecture — tout comme l'écriture d'ailleurs — est vitale, c'est-à-dire nécessaire à la vie.
    D'ailleurs ces carnets retravaillés, qui suivent un ordre chronologique, englobent dans une même coulée des notations plus personnelles, jamais pesantes. Les doutes et les crises, la famille, les amis, puis la rencontre de l'amour et la naissance du premier enfant, qui permet d'intégrer le « cercle des vivants », tout cela est restitué avec un bonheur d'expression, avec une force de pensée aussi, qui font de ces Passions partagées un livre vibrant de vie, le livre authentique de quelqu'un qui scrute d'un même regard les oeuvres qu'il lit, les gens qu'il rencontre, les événements qui l'atteignent, et qui parvient d'un mouvement à nous les restituer en déployant les ressources et les fastes du langage.
    Ici, le vent charrie des rumeurs millénaires, qui semblent dire l'obstination de l'homme à vivre debout, et je suis heureux en feuilletant Les passions partagées, en relisant certains passages, d'y mêler les bruissements qui s'en échappent. Depuis la nuit des temps, les masaïs veillent sur leurs troupeaux. Ce matin on en a vus, dans une plaine parsemée de collines, organiser une bat-tue pour débusquer un félin qui leur avait rapté un âne : leurs minuscules silhouettes remplissaient l'immensité de cris stridents. Notre vie à nous, en Europe, semble plus confuse. Nos besoins vitaux sont différents. La lecture peut en être un. Les Passions partagées en est le témoignage somptueux.
    (Lake Natron, Tanzanie, 24 août 2004)
     
    R. Z.
    Jean-Louis Kuffer. Les Passions partagées (lectures du monde 1973-1992). Bernard Campiche Editeur, 2004, 438 pages.
    (Le Passe-Muraille, No 62, Septembre 2004)
     
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